SOINS Le corps médical tente de soigner celui de Gérard. Une batterie de médicaments que l’on vous laisse découvrir dans TRAPPES, le roman-feuilleton imaginé par Joël Cerutti et Ludovic Dabray. Chacun y rédige un chapitre fort embarrassant pour l’autre…
7.
Quand les médics sont génériques, pas loin est la fin.
En fulgurante synthèse, le corps médical s’en tapait le coquillard à l’infini de ce qui arrivait à son esprit. Sa rare maladie sans nom – «dysfonctionnement entre l’Aire de Broca et celle de Wernicke» – se voyait orpheline de juteux potentiels commerciaux. Vous voyez des groupes pharmaceutiques investir des milliards en recherches pour trois pelés et deux tordus aux pensées libidineuses et à la langue trop pendue ? Misons sur ce qui douille ! A ce sujet… A la pharmacie de l’hôpital, Gérard corsetait ses pensées. Sur des objets. Inanimés. Ceux qui n’ont pas d’âme. Pas de cul, pas de seins, pas de chattes, pas de cuisses, pas de courbes. Du néant. Il bourrait son mental de trucs nuls. Cendrier. Brique. Crayons. Tondeuse à gazon. Non, pas le gazooooon ?!
– Vous voulez brouter quoi ? demanda l’aide en pharmacie qui empilait sur le comptoir une impressionnante série de boîtes aux formats divers et aux prix astronomiques.
BRIQUE. CENDRIER. CRAYONS.
– Je ne vous propose pas les génériques, Monsieur Pierlot, ils n’existent pas dans les catégories prescrites par votre médecin. Il faudra lui en toucher un mot.
ORNITHORYNQUE. SCRABBLE. MONOPOLY. TELE TUBIES.
– On se résume, Monsieur Pierlot. Le Systemax, au matin, 3 pastilles. A jeun. Le Pholyglutol, juste après, 6 pastilles. Le Zyzominium, vers midi, 2 fois 5 gélules première série avec l’entrée, la deuxième juste avant la verveine. On vous déconseille le café et bien sûr les boissons alcoolisées. D’ailleurs, le docteur vous a ajouté de la Synobuse qui devrait vous modérer en ce domaine. Vers 16 heures, je sais que ce n’est pas pratique, vous avez trois Quadrolex à prendre par voie annale. Ils préparent le terrain pour le soir pour la Glanzérine. Une demi-pastille, j’insiste, une demi-pastille. Il s’agit d’un traitement de pointe. Important, aussi le soir, du Bioflorex, un probiotique qui permettra à votre flore intestinale de ne pas trop souffrir. Il vous faudrait autre chose ?
BRIQUE. CENDRIER. CRAYONS. ORNITHORYNQUE. SCRABBLE. MONOPOLY. TELE TUBIES. TOPINAMBOUR. TOPINAMBOUR ?
– Monsieur Pierlot, je n’ai strictement aucune envie de mettre ces boîtes où vous me l’indiquez. Le Dr Purgon nous a prévenu de vos symptômes. Je ne peux que vous suggérer de prendre au plus vite vos médicaments. Sous peine de certaines… complications sociales.
Elle bourra cette Grosse Bertha de psychotropes dans un sac en papier. Gérard s’éloigna prudemment de la demoiselle, imposant un gros morceau de Gruyère (surtout pas de l’Emmental) au fil retors de ses pensées. Juste avant la sortie, un quinqua, très digne dans un strict complet aussi gris que ses cheveux, l’enjoignit de s’approcher.
– Pardon monsieur, je m’excuse de vous aborder ainsi mais j’ai vu ce qui vous était prescrit… Je vous en conjure, faites attention ! On vous donne de quoi terrasser un troupeau de mammouths en deux secondes. Je sais de quoi je parle, j’en suis à mon sixième burn out dans la finance. Trader contrarié que je suis, monsieur ! Ce que vous avez dans votre sac, là, vous allez comprendre ce que c’est un autre effet de serre. Une vraie culture de légumes que vous allez devenir ! Je ne vous raconte pas les effets secondaires ? Si, je vous les raconte ! Le Systemax, vous mettez votre zigounette en berne pour six mois, ma femme m’a quitté à cause de ça. Libido zéro assurée ! Le Pholyglutol vous flanque des plaques rouges un peu partout et vous les grattez jusqu’au sang… Le Zyzominium vous rend boulimique, j’ai pris 25 kilos en trois mois avec cette cochonnerie. Le Quadrolex facilite le somnambulisme presque instantané, je vous conseille de remonter très vite votre pantalon. La Glanzérine… Vous l’avalez, votre cerveau devient un trou noir qui absorbe votre conscience. S’en suivent des migraines effroyables qui se calment uniquement devant les chaînes de télé achat… Je voulais juste vous prévenir… Je viens tous les jours ici pour guetter des ordonnances comme la vôtre !
Gérard crut nager en pleine Quatrième Zone, une dimension parallèle où, en physique quantique, folie et raison flottent dans des bassins équivalents. L’homme paraissait censé, ne vouloir, sur le fond, que son bien. Il transpirait la sincérité. Gérard zappa le Gruyère de son crâne. Entrer dans le cercle infernal des drogues chimiques ? Avoir le cortex mou comme une endive trop cuite ? Il devait y avoir d’autres moyens de se soigner. Gérard fit demi-tour, revint vers la caisse enregistreuse de la pharmacie, posa le sac avec douceur. Il dit : – Pour le personnel… Il repartit les mains vides vers le hall d’entrée de l’Hôpital. Il tâchait de ne regarder que dans le lointain, s’abstenant de mater ce qui de trop près ou de pas assez loin ressemblait à une douce créature féminine. Focalisé sur ses œillères visuelles, il n’aperçut pas celle qui déboulait de façon latérale, à sa droite.
– Gérard ! Gérard ! Attends ! Tu sors déjà ? A la réception, on nous a dit que tu venais de partir.
– Ne marche pas si vite, on dirait que tu nous fuis ! ajouta une autre voix…
Brigitte et son mari adoré, le presque cocu Olivier.
– Comment ça, je suis cocu ?
Houps!
(à suivre)