PETITS CHATS Grâce au retour d’une cinglée et quelques hectolitres de bière, le mystère des petits chats morts trouve une solution… On ne vous en dit pas plus, pour vous appâter, on vous en a déjà trop dit!
69.
Un petit chat ne fait pas une grande énigme
Cela tournait en rond. Et quand ça tournait en rond, le commissaire Albert de Weinbrouck tournait en rond comme les pensées dans sa tête ou l’ours en cage. Il tournait en rond sur son tapis – devant son bureau miteux – qui présentait des traces d’usure circulaire. Des suspects en cavale qui le tournaient en bourrique, cela lui retournait les sangs. Albert de Weinbrouck tournait aussi en rond les poils de sa barbe. A la fin de longues réflexions, parfois, son système pileux tirait vers les torsades d’une branche de gui. Quand ça tournait en rond, les petites boules prenaient une texture plus compacte. Agacé comme il l’était, cette fois, on se rapprochait du cochonnet, de la boule de billard ou de golf. Ah ! Qu’il n’aimait pas tourner en rond. Le chef, quand il a d’autres boules (parce que ça tourne en rond), se décharge, ou plutôt se défoule, sur ses inférieurs. Ceux qui gagnent des clopinettes pour abattre quatre fois plus travail. Sans tourner en rond, eux. Sommé de se présenter avec arme (de service) et bagages (sa veste en cuir), Erasme Ocontwar ouvrit la porte avec lenteur.
– Cela tourne pas rond, chef ? devina-t-il, ayant deviné la douzaine de répétitions de ce paragraphe (13, là) autour de cette expression.
– Erasme, on ne résout rien. Si vous alliez vous bourrer la gueule ?
– Open bar sur la caisse noire ?
– Sur la caisse noire.
Quand cela ne tournait pas rond (14, au final), Albert de Weinbrouck se montrait généreux par nécessité.
Brigitte ne se reconnut pas. Le but escompté était marqué, sa physionomie avait changé dans la ligne des seize mètres. Cheveux coupés plus courts, blonds. Des prothèses arrondissaient son visage, sa silhouette («Avec ça, j’ai pris 23 kilos…»). Habillement plus classe – fini le post neo baba cool – les pistes se brouillaient, elle pouvait avoir droit à l’oubli.
L’agence prit des photos et lui demanda quelques heures de patience avant de repartir avec des papiers bidouillés. Les humbles locaux investissaient un centre ville italien, rues pavées, restos aussi petits et serrés que les ristretti balancés sur les tables à nappes carreaux rouges et blancs. Brigitte, à la minuscule terrasse, se vidait l’esprit, le regard errant sur les passants, leur imaginant des passés absurdes. Soudain, un cri de joie lui vrilla les deux oreilles en stéréo surround dolby avec un max de basses.
– MAIS NON, J’Y CROIIIISSSS PAAASSS !!! BRIGITTE !!! MAIS QU’EST-CE QUE TU FAIS LA ??!!!!
– Que ?
– Inès, Lycée Valjean, tu me remets ???!!!! Inès Heine… Qu’est-ce qu’on a pu tricher ensemble ! Ah, mais qu’est-ce que ça me fait plaisir de te voir ! Attends, je te présente Helmut, mon mari (Un long pic grisonnant et mou avec le ventre qui commençait à pousser au-dessus de la ceinture lui fit un faible signe de la main).
– Mais…
– Tu n’as presque pas changé, ça fait plaisir. Un peu de poids, mais passé un certain âge, c’est notre gros lot à toutes, hein ? Hein ? (grande claque complice) Mais tes yeux, Brigitte ! Tes yeux ! Tu pouvais encore prendre 23 kilos, je t’aurais reconnue QUAND MEME… Tu permets ?
D’office et sans gêne aucune, Inès et Helmut Le Mol prirent deux chaises, commandèrent des coupes de prosecco et lui tinrent la jambe durant des plombes.
Furieuse, défrisée, Brigitte se vengea sur la réceptionniste de l’agence. Exigea une troisième identité, la seconde ayant tenu en gros 8 minutes après son baptême.
Autre part, plus au Nôôôrd, à côté d’Erasme, une blonde se cuitait avec une brune noire. Pas si mal, de prime abord, si l’on écartait les lueurs folles qui pétillaient par intermittence derrière les foyers de ses lunettes. Au bar, elle s’était très vite liée de langue avec Erasme, pressentant un compagnon attentif de conversation.
– Les petits chats, ils ne le restent jamais comme sur les calendriers. Ils y sont beaux à croquer – que avec les yeux… (elle disait «zieux»). Sur Facebook, j’ai fait un groupe secret. Eh bien, nous sommes 589’329 à liker les photos que tout le monde trouve. Moi, ces petites boules de poils, je craque !
L’intellect sur «off», Erasme approuvait du menton, expédiant de fortes vagues d’empathie vers son interlocutrice. L’ivresse abaissait ses barrières de protection, il s’ouvrait à l’univers du bistrot, il absorbait les énergies autour de lui, captait, capturait les conversations.
– Cela se gâte quand elles grandissent. Elles deviennent grasses, peu intéressantes, elles gâchent leur potentiel…
– Il ne faut pas généraliser, madame. Madame ?
– Pranmwadoncq. Germaine, pour vous.
– Et vous faites quoi, avec les anciens petits chats?
– Je leurs rends service avant qu’ils ne dégénèrent. Je repère les spécimens les plus décadents et je mets fin à leur calvaire. Je les balance dans les caves de mon quartier. Vous savez quoi ? Personne n’en parle ! Je m’attendais à une belle couverture médiatique, des surnoms atroces, et c’est le silence complet.
Germaine commanda un demi litre de Guiness et s’en mouilla les lèvres et les narines.
– C’est à vous dégoûter de prendre des initiatives.
Grâce à l’Effet Comptoir, Erasme venait d’élucider un mystère. Ce n’était pas le bon, d’accord. Mais vous n’allez pas commencer à faire les pénibles ????
(à suivre…)