SOURD Où l’un des personnages principaux tente, dans un vain essai, de faire entendre raison à son ami. Aller trouver les flics serait si simple. Un langage de sourd où les piles des prothèses auditives sont à plat…
68.
L’anticyclone des Açores est à la météo ce que la démocratie est aux peuples : une jolie promesse.
Gérard et Charles se lancèrent dans un interrogatoire serré des jumelles. Les questions fusèrent d’abord sur un ton cordial et aimable : discussion pour salon de thé. Les deux amis n’étaient pas du style à brutaliser une adversaire prompte aux aveux.
Et c’était le cas, Ping et Pong s’allongeaient gentiment, il faut bien dire que l’essentiel était déjà fait, ligotées qu’elles étaient sur le pageot qui contenait difficilement la carcasse de Thulle, mais qui permettait aux deux Asiatiques de trouver leurs aises.
Ping était attachée par les poignets et chevilles droits sur le bord « cour » du lit. Pong était également assujettie par ses membres tribord, mais du côté « jardin ». Les bras restés libres avaient été ligotés entre eux. Quant aux pieds gauches, ils avaient été amarrés au sommier.
Une sorte de double X. N’hésitez pas à vous dessiner la scène.
Ainsi disposées, les deux demoiselles, car Ping avait repris son masque féminin, se trouvaient avec leur visage au centre du lit.
Cette position aurait pu favoriser le questionnement entre quatre yeux, mais il y en avait toujours deux de trop. Et puis, il y en avait deux qui étaient à l’envers de l’autre paire. En y ajoutant le bridage congénital, la vision était déroutante.
Les demoiselles avaient gentiment avoué avoir été les complices de Louis-Marcel Thulle moyennant une plantureuse rémunération qui allait leur permettre de couler des jours heureux sur leur continent d’origine.
Un peu plus délicat fut l’accouchement au sujet des balises qui équipaient Brigitte et Thulle. Mais les inquisiteurs avaient bien compris qu’il y avait de l’électronique là-dessous.
Ping balada ses interlocuteurs sur les détails du fonctionnement de ces traceurs jusqu’à ce que Charles en conçoive une certaine lassitude et que Gérard transforme l’essai en agacement.
– Elles vont nous la jouer ainsi longtemps ? demanda Gérard.
– On ne va quand même pas les torturer pour leur faire cracher le morceau !
– On va se gêner. Elles se sont embarrassées, elles, pour commettre leurs funestes forfaits.
– Non, mais nous n’allons pas entrer dans leur jeu.
– Je te signale que Brigitte est en danger et que nous ne savons pas où elle est ! Que Thulle est en cavale et qu’il ne va pas tarder à lui mettre le grappin dessus.
– Dites donc, les filles, vos traceurs, qui en est équipé ?
– Thulle et Brigitte ! répondit Ping.
– Et nous ?
– Je ne pense pas, hésita Pong.
– Et vous ?
– Il n’y a pas de raison, esquiva Ping.
– Mais l’appareil qui vous permet de pister les balises, il se trouve où ?
– Chez un prestataire de services qui loue le matériel et assure le suivi, avoua Pong.
– Et vous ne connaissez pas le nom de ce prestataire, bien entendu.
– Non, monosyllaba la monosyllabique Ping.
– On n’arrivera à rien avec ces deux bonnes femmes. Soit, elles ne savent pas. Soit, elles ne veulent rien nous dire, s’épuisa Charles.
– Aux tarifs pratiqués par Thulle, elles doivent avoir plus à gagner en se taisant, même moyennant quelques souffrances, qu’à parler. Et je ne peux pas me résoudre à torturer des jeunes femmes.
– Alors, on les livre à la justice ?
– Pour les remettre à la police, il faut aller voir les flics. Pour nous deux, ça signifie « game over ». Ils vont nous garder aussi et nous serons bien avancés.
– Si on les laisse là, Thulle ne va pas tarder à venir les libérer et le trio sera reconstitué.
– La solution : les emmener avec nous.
– Comment ?
– Elles possèdent un coffre, nos voitures de location. Alors, soit on prend un seul véhicule, et on les met toutes les deux dans la malle arrière, ça doit pouvoir entrer facile. Soit, on continue l’aventure avec deux bagnoles !
– Tu sais, moi, l’histoire, elle peut s’arrêter ici. Je commence à en avoir classe de cette histoire. Je ne vois pas ce que nous fichons là-dedans.
– Ben, Charles ? Nous devons retrouver Brigitte !
– Tu cherches Brigitte. Moi, je suis venu à ton secours, mais Brigitte, je n’en ai pas grand-chose à faire.
– Tu me laisserais tomber ?
– Et tu devrais abandonner aussi !
– Jamais !
– Tu vas te rendre à de Weinbrouck. Tu lui racontes tout. Il sera tellement content de tenir enfin un brimborion de piste qu’il va t’accueillir avec le champagne, les zakouski et te prêter sa secrétaire pour un week-end.
Une sonnerie en pseudo morse prévint de l’arrivée d’un SMS.
– Tu as rallumé ton portable, Charles ?
– Non. C’est le tien !
– Le mien est éteint aussi. Dites, les filles, ils sont où, vos téléphones ?
Gérard et Charles entamèrent la fouille au corps des deux allongées. Gérard se chargea de Ping, Charles de Pong. En palpant Ping, Gérard constata que l’entrejambe de son explorée était plus protubérant qu’un mont de Vénus normal. Il pensa un moment avoir mis la main sur l’appareil recherché. Il enleva les vêtements de Ping, pantalon, culotte et tomba, sans se faire mal, sur une sorte de strozzapreto aux œufs frais.
– Mais, tu es un homme ?
La découverte du portable dans le soutien-rien de Pong distribua l’intérêt ailleurs. Le message reçu indiquait que les coordonnées concernaient la cible JD080770.
(à suivre…)