LAVABOS Un des personnages principaux prend la fille de l’air. Quand on a les mains sales, on part de les laver dans des lavabos étrangers… Une observation née dans l’esprit de Joël Cerutti et/ou Ludovic Dabray.
63.
Disparaître dans, tout en gardant la sienne, de nature…
St-Médard-le-Vieux, Huguette, Marcel, la chambre 7, devenaient des petits points dans le rétroviseur.
Brigitte enleva ses épaisses lunettes de soleil face aux nuages gris qui assombrissaient le paysage. Des gouttes strièrent le pare-brise. Son chauffeur, d’une amabilité professionnelle, ne se formalisait pas du silence.
Depuis leur départ, ils avaient sans doute échangé 45 mots.
(Bonjour, bonjour, vous montez à l’avant, la fumée vous gêne, on s’arrête ici, vous voulez quel côté du lit, c’est l’heure de manger, c’était bon, bonne nuit, bonjour, bonjour, vous avez bien dormi, vous allez en premier dans la salle de bain, on y va)
Brigitte ne le payait pas pour sa conversation ou autres prestations plus intimes.
Brigitte avait versé une somme conséquente – 60% d’avance et le 40% au final des opérations – dans un but précis.
Disparaître.
Il n’existe rien d’illégal à se vaporiser dans la nature et repartir à zéro quand sa vie devient trop inconfortable. Des milliers de personnes plaquent tout du jour au lendemain, ne supportant plus des fardeaux fiscaux, familiaux… Après quelques dizaines d’années, les prescriptions tombent. La police se trouve mise devant cette réalité sans pouvoir agir. Seule restriction à ce Grand Zapping Existentiel : ne pas être recherché(e). Inutile alors d’essayer de franchir les frontières sous sa vraie identité. Les mandats internationaux vous collent aux basques et les extraditions vous concernent au premier chef.
Ce que voulait éviter Brigitte.
On ignorait beaucoup de choses sur le couple qu’elle formait avec Olivier Vaucresson. Les infidélités de son mari la laissaient (presque) indifférentes. D’autres agissements frappaient directement son intégrité de femme. En privé, Olivier l’humiliait devant leurs enfants, il la rabaissait pour la moindre broutille. Au début, elle en riait, se connaissant assez elle-même. Elle trouvait risible que son époux lui cherche sans cesse des poux. Elle tiquait. Sans plus. A force, Olivier parvint à ses fins, comme l’eau de mer use le roc le plus ferme.
Olivier étendit le champ de ses actions, l’isolant tactiquement de ses proches, les dénigrant, estimant «qu’ils n’étaient pas digne de toi, ma chérie que j’aime tant…».
Ses défenses tombèrent, Brigitte se laissa aspirer dans une spirale mentale, la torture quotidienne annihila sa personnalité, sa force prit la texture d’un papier de cigarette. Brigitte n’était plus elle, elle envisageait des moyens ultimes d’en finir. Tirer sa révérence dans cette arène de cirque dont la poussière amenait trop souvent des larmes à ses yeux.
Elle donnait le change, essayant de rendre la monnaie de sa pièce à Olivier.
Entrée de Gérard dans sa vie.
Elle y puisa une énergie dont elle ne se croyait plus capable. Avant de pactiser avec Satan qui ne s’y attendait pas. Louis-Marcel Thulle se révéla autant un piètre PDG qu’un vengeur minable. Brigitte le repéra dans ses tentatives de filature. Elle nota son numéro de plaque minéralogique, se pointa chez lui un mercredi après-midi. Elle le laissa dévider ses diatribes acides envers l’Infâme Gérard qui lui avait creusé un caveau familial si profond que même la réputation de ses ancêtres ne s’en remettrait pas jusqu’à la 20ième génération. Après 58 minutes de monologue, elle interrogea Louis-Marcel Thulle : «Et à part ça, on fait quoi?» Leur union tactique donna ceci. Elle s’occupait d’Olivier, elle sublimerait son rôle d’Autre Dieu, attribuant la création de tous les meurtres à Gérard. Que voilà un coupable désigné volontaire, celui qui tue le mari de sa maîtresse, qui tente ensuite de mettre le reste de la boucherie sur le dos d’un tueur en série…
Brigitte remplit sa part de contrat.
Un soir où Olivier leva une fois de trop la main sur elle, elle le massacra avec un coupe volaille en acier forgé. Olivier ne comprit pas comment l’ustensile ménager, censé débiter la volaille en aiguillettes, finit dans son cœur. Qui lâcha en moins d’une minute. Elle convoqua Louis-Marcel Thulle qui se chargea ensuite de débiter Olivier.
Tout aussi foireux que soit ce plan, il aurait pu un peu mieux marcher si Louis-Marcel Thulle n’en avait pas fait des tonnes.
Ses fascinations bibliques le prédisposaient pour l’exagération, il ne s’en priva pas. Brigitte et lui brouillèrent les pistes avec un enlèvement où, là encore, Louis-Marcel Thulle ne trouva rien de mieux que de la droguer, la kidnapper à poil, ligotée sur une chaise roulante. Devant De Weinbrouck, elle campa une éplorée, sans cesse dans les pommes, une tarte de la conscience. Le comble étant que son manège ne marchait pas avec De Weinbrouck lorsque le bipolaire se congelait au Pôle Nord de l’amabilité.
Brigitte obliqua vers la fuite, sentant bien que la situation exhalait des parfums de pinède calcinée. Une agence spécialisée en disparition totale – pistes brouillées, fausse identité, papiers l’attestant – la prit en charge.
St-Médard-le-Vieux et plein d’autres bleds à peine connus des cartes routières incarnait la première étape de sa fuite. Loin de Gérard. Les amours, ça s’en va, ça ne revient jamais…
(à suivre)