PEU URBAINS   Dans un petit hôtel de Saint-Médard-le-Vieux, chambre 7, celle qui donne sur la prairie, il se passe de ces choses… Le suspense existe même en Province, dans des lieux reculés, et très peu urbains. Un constat de Ludovic Dabray et/ou Joël Cerutti.

62.

Il était une bergère qui revenait du marché…

 À la sortie de la riante bourgade de Saint-Médard-le-Vieux, sur la nationale qui, en été, voyait défiler les touristes lorsque l’autoroute voisine s’était rebellée contre deux familles qui n’avait pas imaginé le début ou la fin leurs vacances comme ça, s’était établi un petit hôtel tenu par Monsieur et Madame Lesauveur.

À part un cloître du seizième siècle et le boulodrome sur la place du village, il n’y avait pas grand-chose à voir ni à faire à Saint-Médard-le-Vieux. La clientèle des Lesauveur était surtout de passage. Des routiers, des voyageurs de commerce, des couples qui venaient y chercher un lieu pour s’aimer, le temps d’une nuit, puisque la vie tardait à leur promettre des jours à deux.

Huguette Lesauveur était un véritable cordon bleu. Et ceux qui connaissaient cette auberge ne se faisaient pas prier pour honorer cette très ancienne maxime qui veut que « qui dort, dîne ». La veille au soir, elle avait mitonné un ragoût d’agneau, une pure merveille.

Elle avait pris soin, comme toujours, de préparer chaque légume séparément. Elle arrivait à les caraméliser, ce que faisait que, mis en commun, ils conservaient leur saveur tout en aromatisant le jus de cuisson dont la viande se nappait.

C’était somptueux.

Huguette aimait ces plats à réchauffer. D’abord, ils lui permettaient d’en servir quelques jours de suite et comme le nombre de convives était rarement connu d’avance, elle évitait de gaspiller. Ensuite parce qu’elle pouvait ainsi satisfaire son côté «mamma italienne», elle proposait une repasse à ses clients. Et généralement, ils ne se faisaient pas prier.

Hier soir, seul un couple s’était présenté. Ils avaient demandé une chambre et elle leur avait offert la meilleure, la 7, celle qui donne sur la prairie, à l’arrière de l’hôtel. De là, les bruits de la route étaient estompés. La fenêtre s’ouvrait sur la campagne, quelques vaches à cloches, quelques oiseaux enchanteurs, et ce matin une légère brume qui s’attardait comme pour voiler un monde qui en avait bien besoin.

À la fin du dîner, le couple de la 7 ne tarda pas à prendre congé de Huguette et Marcel qui tenta sans succès d’offrir les digestifs. Mais ils avaient de la route à faire demain, et ils souhaitaient se lever en forme. Marcel pensa d’abord que les deux amants voulaient profiter de la nuit et lorsqu’ils s’éloignèrent, il dit à sa femme :

– Tu aurais dû les mettre dans la 5 !

– Elle donne sur la nationale…

– Je sais, mais le plumard ne grince pas !

– Et puis ?

– Ben, là, on va les entendre de notre chambre…

– Si ça pouvait te rappeler des bons souvenirs !

Mais le sommier de la 7 ne formula aucune plainte. Visiblement, les voyageurs s’étaient mis au lit pour en faire un usage reposant. Marcel ne se remémora rien. Il y avait tellement longtemps que cette brave Huguette s’endormait après avoir lu son roman de la collection Charles Quint.

La table était dressée quand le couple émergea de la chambre. Une nappe blanche, de la vaisselle en porcelaine, des confitures maison, quelques salaisons.

Huguette proposa le choix entre différentes boissons chaudes. Il demanda un grand café. Elle se fit servir un thé au citron.

Ils déjeunèrent en silence. Le même mutisme qui avait été de mise, la veille, lors du repas du soir. Ils ne se parlaient pas, Huguette s’en intriguait. Femme discrète, elle n’osa poser aucune question. D’ailleurs, ça faisait partie de ses marottes d’hôtelière : essayer de deviner ce qu’était la vie de ses clients. La vraie.

Ici, elle ne possédait aucun indice. Le lit de la 7 n’avait pas révélé une folle passion. Elle et lui se tenaient à table sans aucun signe de connivence ou de tendresse. Face à face glacial. Comme si Marcel avait fait s’asseoir à la même table deux parfaits inconnus timides.

L’homme demanda à Huguette s’il pouvait encore avoir du café. Elle s’en fit une joie. Il parlait posément, s’exprimait dans un français parfait, ses requêtes étaient toujours assorties de respect et il marquait gentiment son contentement.

La femme refusa la proposition de voir doubler son thé. Elle en avait d’ailleurs bu la moitié. Elle avait grignoté deux toasts à la confiture aux cerises.

Lui avait mangé un peu plus. Il avait chargé quelques tranches de pain avec du jambon. Un œuf dur trempé dans une pincée de sel était venu servir de dessert à son déjeuner, pas si petit que ça.

Ils quittèrent la table en remerciant de l’accueil. Ils retournèrent dans leur chambre, en revinrent avec les deux valises qui les avaient suivis la veille. L’homme demanda à Huguette la note. Elle était déjà rédigée. Il régla le montant qui figurait au bas du décompte manuscrit en l’arrondissant à la dizaine supérieure.

Il prit congé en priant Huguette de saluer Marcel, qui était parti au ravitaillement au marché du village.

Les valises trouvèrent place dans le coffre d’une voiture couleur framboise, petite familiale. La femme se mit au volant. L’homme s’assit à sa droite. Comme un ballet bien réglé. Comme si c’était leurs habitudes.

Le véhicule s’engagea prudemment sur la nationale.

(à suivre…)

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