A TOMBEAU (PRESQUE OUVERT) La main au-dessus du buzzeur. Voici la question: « Dans mon coffre, je cache un corps un peu beaucoup à l’agonie, je conduis très vite pour m’éloigner de la scène de crime, qui suis-je? » Seuls Ludovic Dabray et/ou Joël Cerutti connaissent la solution. Une énigme qui mérite à elle seule la lecture de ce 60.
60.
La fuite du programme dans quelques instants…
Puisque les constructeurs allemands n’ont pas voulu de nous, il y a quelques chapitres, nous allons opter pour une berline française. Nous ne donnons pas la marque parce que ce sera au plus offrant !
Donc, cette voiture fonce sur les petites routes. Son conducteur a bien soin de ne pas écouter les recommandations de madame Gépéhesse qui s’empresse de vouloir le remettre sur le droit chemin des autoroutes. Il a machinalement encodé sa destination. Il y serait bien parvenu les yeux fermés, mais il craignait les barrages que la police n’allait pas tarder à placer sur les routes de la région, puis de la nation. Il comptait sur cette compagne pour obvier ces pièges.
Avec le contenu de la malle à bagages, un être humain rougeoyant de son jus de raisin dans ses hardes écarlates, la fouille du véhicule aurait viré au pur purin pour ses occupants.
Il fallait se mettre à l’abri.
De Weinbrouck avait diffusé la plaque de la voiture, l’identité de son propriétaire, un certain Louis-Marcel Thulle, un fou dangereux, qui n’avait pas hésité à tirer sur un de ses contemporains pour couvrir sa funeste passion pour l’essaimage d’extraits de macchabée… macchabée… macchabée… tsoin-tsoin !
Ce même Thulle qui avait assassiné Olivier Vaucresson, pour un mobile qui restait à déterminer, était un tueur. Un fou qui avait découpé celui-ci selon les pointillés laissant sa partie sommitale dans le coffre d’une pendule. Peut-être les autres morceaux de l’horloger se trouvaient-ils dans ce frigo. Ou déjà ailleurs.
Ping et Pong avaient alerté la police. Enfin, non. Ping avait prévenu la police parce que sa jumelle et maîtresse restait paralysée devant la scène. Elle était debout face à la baignoire, regardant les quatre membres, soigneusement emballés, qui jonchaient l’émail. Le livreur avait eu le bon goût de dégager les pieds et les mains congelés hors des colis. Dans la douce température de la salle d’eau, ceux-ci avaient commencé à se réchauffer laissant s’échapper peu à peu un liquide brunâtre qui ressemblait à une sauce chasseur diluée. Ce n’est pas dégoûtant, c’est pour que vous vous fassiez une idée, vous qui n’avez jamais vu des membres se décongeler dans une baignoire.
La police avait répondu qu’il ne fallait toucher à rien, mais la précautionneuse phrase était inutile. Elle allait arriver, la police, mais ils étaient déjà sur une scène de crime prometteuse et elle voulait en profiter pleinement, la police. Donc elle viendrait bientôt, mais pas tout de suite, la police. Ping, qui n’avait pas pris le temps de planquer ses modestes attributs avant de décrocher le téléphone revint dans le même appareil pour tenter d’extraire sa sœur à cette vision d’horreur.
Il dut finalement employer les grands moyens et la porter jusque sur la couche qui tiédissait depuis l’issue de leurs ébats et l’évacuation de celle-ci dictée par des aléas indépendants de leurs volontés.
Bien que le coffre de la voiture soit fermé et que le blessé ne soit pas encore mort, le conducteur roulait quand même à tombeau ouvert. Son passager se comportait en parfait équipier de rallye. Il avait empoigné un atlas routier qui gisait dans la boîte qui n’était donc pas qu’à gants et parlait haut pour couvrir sa concurrente électronique. Il avait déniché une succession de petites routes qui slalomaient le long de l’autoroute passant parfois par-dessus celle-ci, se glissant plus rarement par-dessous. Le genre de voies lentes qui aurait fait la joie d’un couple de Bataves caravanés partis à la découverte du sud du continent.
Sur le GPS, l’heure d’arrivée ne cessait de reculer. La dame hésitait entre les « faites demi-tour », les « au rond-point, prenez la quatrième sortie », elle beuglait des alarmes de vitesse, elle trahissait des radars campagnards. Le centre de traitement automatique des prunes allait ne pas en croire sa cueillette. Et la prochaine tournée de Patrick-Armand de Muhleisen, le facteur en charge de l’immeuble de Louis-Marcel Thulle, allait être copieusement chargée !
Mais le conducteur s’en moquait pas mal. Il fallait se mettre à l’abri. Planquer le contenu du coffre. Espérer que ce bagage présenterait encore un souffle de vie à son arrivée à destination. Parce qu’ils savaient où ils allaient, le Loeb de circonstances et son copilote. Un seul endroit était dans leur pensée. Une cachette. Un lieu où personne ne songerait à les rechercher. Dans la campagne. Au calme. Le temps de faire ce qu’il y avait à faire avec cet homme qui fréquentait l’antichambre de la mort hésitant à franchir la porte des ténèbres.
Passant de l’inconscience à la conscience, le pré-défunt ou le post-vivant était bien décidé à survivre et à comprendre ce qui était arrivé. Comment avait-il pu se faire flinguer comme un con, alors qu’il avait la situation en main ?
Ils parvinrent enfin à destination. La voiture s’immobilisa. Deux hommes en descendirent. Ils ouvrirent le coffre. Le conducteur prit ce qu’il restait du pouls de l’ensanglanté.
– Il est encore vivant, dit Gérard.
– Tant mieux, répondit Charles.
(à suivre…)