LANGUE PENDUE Frappé d’une maladie très orpheline, Gérard voit sa vie sociale devenir un calvaire. La preuve par quelques exemples dans ce chapitre 6 du lundi… Bienvenue dans « Trappes » le roman-feuilleton conçu à quatre mains par Ludovic Dabray et Joël Cerutti, chacun rédigeant un chapitre.
6.
Comme disait Robinson, ce n’est pas tous les jours vendredi.
Avant que le corps médical s’esbigna de sa carrée hospitalière, Gérard posa quelques questions à l’homme de l’art.
Il apprit ainsi que la maladie qu’il venait de contracter était très peu documentée et que seuls quelques cas étaient recensés dans le monde. Il était victime d’une maladie orpheline de mère, de père, du fils et du Saint-Esprit.
Personne ne savait comment on l’attrape, nul ne savait comment on la soignait. Ce n’était pas contagieux. Les malades atteints de cette joyeuseté étaient en pleine forme, comme si le fait de dire tout haut ce que tout le monde, sauf eux, pensait tout bas semblait bénéficier à leur organisme.
Bien sûr, quelques fâcheries se faisaient jour dans leur entourage, mais ne se seraient-elles pas provoquées de toute façon un jour où l’autre ?
Gérard apprit que, contrairement à ce que tout le monde pensait, y compris les médecins, il n’avait pas développé un réel problème cardiaque et qu’en fait son cœur avait eu un coup de foudre. La première alerte était due à l’abordage de Brigitte dont la sensualité, pour employer un mot très en dessous de la vérité, avait eu des effets démultipliés par l’alcool sur son organisme.
En fait, tous les hommes et toutes les femmes du monde éprouvaient ce genre de montée hormonale qui leur portait aux entrailles. Chez Gérard, le phénomène s’était attaqué à son cœur, lui faisant présenter les symptômes d’un problème cardiovasculaire.
Une fois revenu à lui, dans sa chambre d’hôpital, la simple évocation du regard de Brigitte avait provoqué une rechute. Heureusement qu’une infirmière passait par là, parce qu’il en serait mort, de cette commémoration d’un coup de foudre impromptu.
– Vous allez me soigner, Docteur ? Vous n’allez pas me laisser sortir ainsi ?
– Écoutez, monsieur Pierlot, je viens de vous expliquer que c’est une maladie orpheline. Donc, ça veut dire qu’il n’y a pas de traitement.
– Je vous ai bien compris, mais mon cœur, il va se faire la belle dès que je vais croiser une femme qui va me plaire !
– Oui, c’est possible. Ça peut même vous arriver avec une locomotive si vous êtes ferrovipathe, avec un poisson rouge si vous êtes aquariophile ou avec une carte à jouer si vous êtes ludocartophile.
– Et une heure plus tard, je suis de retour dans votre service.
– Mais non, nous allons vous donner des bêtabloquants et dès que vous aurez une émotion de ce type, vous ingérerez une gélule. Ça semble contraignant, mais vous allez vous habituer, tout d’abord à prendre vos cachets, comme toutes les personnes malades, puis vous allez aussi restreindre vos sensations, comme si vous étiez vraiment cardiaque.
– Je serai quand même plus à l’abri ici !
– Pas si j’en crois ce que vous venez de dire à propos de mon assistante.
– Qu’est-ce que j’ai dit ?
– Vous le savez très bien et vous avez raison, c’est une bonne affaire et je peux en témoigner !
– Pourquoi, c’est votre maîtresse ?
– Non, c’est mon épouse ! Bon, sur ces bonnes paroles, dont je vous remercie, je vais poursuivre ma tournée des chambres. Passez une bonne nuit. Essayez de ne pas faire de trop beaux rêves. Nous nous retrouvons demain en début d’après-midi pour faire un dernier bilan avant votre sortie.
Le docteur Purgon, c’était un descendant de l’autre, emboîta le pas de sa belle assistante et ils se dirigèrent de conserve vers la porte.
– Oui, monsieur Pierlot, je suis bien d’accord avec vous, ma femme a un superbe cul et c’est moi le gros porc enfoiré qui se la tape. Désolé, mais je l’avais vue avant vous ! Bonne nuit.
« Ils sortent » (indication de mise en scène de Barilet et Grédy dans « Le Don d’Adèle », particulièrement adaptée aux circonstances).
Gérard resta coi dans son lit. L’infirmière qui étaient venue à son secours entama son détuyautage.
– Je vous enlève tout ça parce que ça ne sert plus à rien.
– Mais, je ne vous ai rien demandé !
– Si. Et ce n’était pas respectueux envers quelqu’un qui vous a sauvé la vie. Et si vous voulez savoir la vérité, je ne porte effectivement rien sous ma blouse verte et je n’ai nullement envie d’avoir une relation sexuelle avec vous. Mais vous feriez franchement mieux de penser à autre chose, votre vie en dépend !
– Pourriez-vous faire en sorte que les visites dans ma chambre soient interdites ?
– Oui, bien sûr. Pourquoi ? Vous voulez vous reposer ?
– Pas du tout, je me sens en pleine forme. Mais je préférerais attendre demain pour me fâcher avec mes amis. Et puis je redoute surtout la venue de Brigitte.
– Vous avez envie de vous la faire, n’est-ce pas ?
– J’ai dit quelque chose ?
– Non, mais je le vois dans vos yeux ! Allez, monsieur Pierlot, passez une bonne nuit. Et pensez plutôt à des choses qu’à des gens, ce sera mieux pour tout le monde, et surtout pour vous !
– Merci, bonne fin de service !
– Ah oui, nous avons rappelé une de nos infirmières retraitées pour s’occuper de vous. Elle est sourde qui plus est. Donc, vous pourrez en dire ce que vous voulez, ça ne la dérangera pas. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour vous ? Et cessez de penser que je vais succomber à votre charme !
(à suivre)