L’ENIGME DES CUITES   Quand l’abus d’alcool favorise les synchronicités pour résoudre les énigmes… Un cas de figure qu’un certain Jung n’a pas forcément prévu dans ses écrits. TRAPPES, roman feuilleton, y a pensé, lui!

53.

 

L’alcool, (l’alcool)
Voilà l’alcool (l’alcool)
L’affreux vitriole (l’alcool)
L’odieux pétrole (l’alcool)
Qu’on s’jett’ derrière le col (l’alcool)
L’alcool, (l’alcool )
Partout c’est la triste farandole
De l’alcool !

Tiré de  « L’alcool », paroles de Francis Blanche sur l’air de la rapsodie N°2 de Franz Liszt et chanté par les Quatre Barbus.

 

Erasme Ocontwar avait trouvé d’où venaient les cadavres. L’énigme du puzzle macabre n’avait plus de secret pour lui. Il devait juste se rappeler la solution ! Le cerveau paralysé par une sévère gueule de bois, la mémoire au ralenti, il maudit pour la énième fois son don.

L’Alka Seltzer semait ses bulles dans le verre de bière blanche (radical pour se remettre les idées en place), Erasme attendait que ça revienne. Cela remontait toujours en surface, il suffisait de dissoudre son mal de crâne dans des litres de patience.

Les parents d’Erasme Ocontwar désespéraient depuis longtemps. Son prénom, à lui seul, l’aurait prédisposé à des études en philo, matière de vivre enseignée par Ocontwar mère (Heloïse) et père (Abélard, prédestinés à s’unir !) en chaire universitaire. Cet abruti de gamin, pourtant pas feignant sur les bancs d’école, avait préféré l’Ecole de Police. Opter pour la matraque plutôt que Plutarque, cela mettait le moral en berne à ses géniteurs.

Deux décennies et quelques avancements plus tard, Erasme en venait à regretter d’avoir plus potassé le code que Nietzsche.

Il payait ses résolutions d’enquête.

Cher.

Ses divers supérieurs remplissaient leurs rapports d’évaluation avec des allusions peu élogieuses envers sa propension certaine à lever le coude.

Ce qui lui torpillait ses possibilités d’avancement et lui annonçait une retraite merdique. Il hésitait à en expliquer les raisons. Une fois – et la seule dans la dernière – il avait tenté une approche.

Il en avait parlé avec Albert de Weinbrouck… un soir où il avait basculé du Côté Obscur de la Bipolarité.

–  Tu sais, quand je dois résoudre un truc, je coince dans la rationalité. Surtout si je bute sur des éléments pas faciles, avait commencé Erasme.

– Bon, alors tu bois pour oublier que tu es gros naze du raisonnement !

– Non, quand je bois, il se passe plein de trucs bizarres dans la synchronicité.

– Des éléphants roses qui font une chorégraphie avec Rihanna ?

– Laisse tomber !

Erasme commanda la 4e tournée générale de l’heure et ses confessions en restèrent là. Pourtant sa confession ne se voulait pas un paravent futile pour justifier son éthylisme. Erasme résolvait des mystères grâce à ses cuites. Personne n’avait réalisé de rapprochement entre ses monumentales bitures et le classement de certains dossiers épineux dans les jours qui suivaient.

Au fur et à mesure, l’accoutumance «aidant», Erasme se voyait contraint d’augmenter les doses.

Prenons celle de la veille.

Depuis des jours, toute l’équipe se bouffait le nez autour des cadavres semés de ci de là. Cultiver les choux blancs rendait les egos de flics irascibles. Les injures de Weinbrouck envoyaient des décharges supplémentaires dans une ambiance électrique. Erasme savait ce qui lui restait à faire.

Cap sur «Chez Paupaulette et Compagnie» dont le zinc avait moult fois favorisé son hasard. Ce que justement Erasme présentait comme une Synchronicité Criminologique. Environ deux heures plus tard – et presque trois litres d’alcool divers dans le sang – Erasme se fit un pote à la vie d’une nuit. Un Italien, Ignazzio. Un jeunot acnéen en 4e année de médecine qui venait achever 72 heures de garde aux urgences à coup de canons. Seule façon pour lui de ronfler avec les tensions des grands ou des petits bobos.

– Et tu viens d’où ? interrogea Erasme dont l’instinct lui hurlait que des vérités nues remontaient prestement vers la sortie du puits.

Autour d’eux, la musique jazzy d’ambiance lustrait les bois, la lumière tamisait les timidités, des taches rondes marquaient les tables de perles humides. Au comptoir, Erasme ne quittait plus Ignazzio des yeux.

– Milan…

– Si tu fais gaffe à ton porte-monnaie autour du Dôme, c’est une calme ville polluée, Milan.

– Tu parles… On est dans un monde de stronzi comme ailleurs… Tu es flic, non ?

– Je te l’ai dit il y a deux tournées.

– Tu as entendu parler du Casse des Cadavres à notre faculté de médecine ?

– Tu vas m’en parler tout de suite…

Albert de Weinbrouck fixa Erasme Ocontwar comme s’il avait en face de lui Harry Potter en train de foirer un tour de magie. Les cheveux qui avaient perdu toute bataille contre un peigne, la barbe clairsemée, l’haleine chargée tel un troupeau de bœufs, Erasme restait droit dans ses santiags. Il ne se démontait pas et maintenait sa suggestion.

– Je résume, dit Weinbrouck, nos cadavres proviendraient de corps donnés à la science et volés, voici trois mois, à Milan.

– C’est une piste surprenante, peut-être improbable, mais ça expliquerait beaucoup de choses. Qu’on ne puisse les identifier sur notre territoire, entre autres. Même s’ils sont anonymisés, les macchabées légués à la science, il devrait y avoir une traçabilité possible depuis l’Italie.

– Cela a l’air tellement ravagé que cela mérite d’être contrôlé.

– Je te laisse la piste…

Agnès Arnolphe se manifesta au bout de la ligne 2.

– Je vous passe Gérard Pierlot…

Sans lui laisser le temps d’en placer une, Albert de Weinbrouck aboya :

– Si c’est encore pour vos conneries de chats crevés, je…

– Je… Je suis à l’hôpital psychiatrique. Je voulais rendre visite à Brigitte. Elle a disparu, commissaire, DISPARU. Le personnel la cherche partout.

(à suivre…)

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