COULEUR ENCRE Alors que les scribouilleurs de TRAPPES se posent des questions littéraires, les joyeux assassinats reprennent. C’est le moment que les affaires mortuaires reviennent au premier plan, non?
44.
Ô Tannenbaum, Ô Tannenbaum, wie treu sind deine Blätter.
Il n’y avait pas à dire, le Charles, il savait faire les spaghettis à la tomate ! Une tuerie… En plus, il avait dégoté par on ne sait quel miracle deux bouteilles de Lambrusco qui n’auraient pas dû se trouver là. La première avait succombé à la tentation d’un apéritif terrassier et son effervescence n’avait pas tardé à avoir des effets libérateurs.
Comme d’habitude, les confidences ne sortirent pas du cadre strict de leur collaboration scripturale. Quand ils s’en échappaient, c’était généralement pour parler de leur carrière individuelle. Ils devaient avoir le sang couleur encre !
Gérard avoua à Charles qu’il n’avait pas bien compris le parallèle entre la préparation des pâtes et l’écriture d’un roman à quatre mains. Mais devant l’onctuosité de la sauce et la parfaite cuisson de ses prétextes, il avait arrêté de la ramener avec ses relents de stérilité imaginative.
C’est à la troisième assiettée que les choses commencèrent à dégénérer. Pendant que Gérard tentait de charger son unique couvert comme il l’avait appris lors de ses nombreux séjours en Italie, donc à la fourchette solo, il lança cette réplique à la Bernard Blier (oui, Charles, admirait le fils, Gérard c’était le père).
– On tourne en rond, merde ! On tourne en rond, merde ! On tourne en rond, merde ! On tourne en rond !
Charles décida que la reconversion de son pote en positiviste convaincu serait pour une autre fois. Un aïeul de Charles avait était commissaire dans la police, dans la ville suisse de Sion, et deux générations plus tard, c’est avec commisération qu’il observait son ami.
– Plus ça va, moins je le sens, ce machin, émit Gérard la bouche pleine !
– Tu ne vas pas m’emmerder avec ça maintenant. Mange tes pâtes. Et si tu es sage, comme dessert, je te dirais où j’ai caché une bouteille d’Amaretto !
– Faut quand même bien admettre qu’il ne se passe plus rien de génial depuis que de Salto nous a fait les yeux doux. On était quand même plus heureux à pondre nos bêtises quand ça n’avait pas d’importance !
– Mais de Salto ne change rien à l’affaire. C’est toi qui compliques tout ! Tu n’as qu’à écrire comme tu le faisais avant. C’était très bien. Allez, mange, c’est déjà froid !
Pendant ce temps-là, il se produisait des trucs pas nets au 84 du Boulevard Peureux. La rue était repeinte en bleue par une diarrhée de gyrophares. Il y en avait presque autant que de tomate sur le pull de Gérard !
La police avait encerclé le quartier et les badauds avaient été refoulés au-delà des deux accès de cette voie piétonne particulièrement achalandée.
– Circulez, y a rien à voir !
Et en plus, c’était rigoureusement vrai. Il n’y avait rien à voir.
L’épicentre de l’attention de la maréchaussée semblait être le négoce dans lequel Olivier Vaucresson fourguait à prix d’or la production de ses ateliers disséminées dans des pays où la faiblesse des salaires compense largement les frais de transport. On comprenait mieux son empressement à conserver ces braves gens chez eux, ils auraient coûté bien plus cher en venant faire le même travail dans la zone industrielle voisine.
Le rideau de fer avait été descendu en toute hâte dès l’arrivée des premiers flics. Une ambulance avait fait une apparition brève, mais remarquée. Une sorte de posé-décollé qui avait eu le seul bénéfice d’interrompre le hululement de sa dramatique sirène.
Puis, plus rien. À part ces deux véhicules de la police qui obstruaient le passage en servant de support intermédiaire à un ruban bleu et blanc qui traversait la rue (sans regarder) entre les façades des bâtiments sis aux quatre angles d’icelle.
Elle franchit, malgré l’interdiction passive, le cordon de sécurité et se dirigea d’un pas assuré vers la porte qui permettait d’outrepasser la devanture métallique de l’horlogerie Vaucresson. Elle allongeait les jambes, comme une qui est en retard pour faire le dîner après avoir été déguster l’adultère par la racine.
Perchée sur ses talons aiguilles, elle manquait à chaque pas de se ruiner une cheville sur ces foutues dalles qu’on n’a pas idée de concevoir un piétonnier avec des pavés à rendre jaloux les organisateurs de Paris-Roubaix. En plus, la pluie savonnait les contours en marbre bleu biseauté. C’était du plus bel effet, mais les vigiles chargés de scruter cette artère grâce aux caméras de surveillance avaient compilé un bêtisier de malchanceux de tous âges et de toutes conditions qui s’étaient pris un billet de par terre à cause de ce dispositif farceur.
Elle entrouvrit la porte de fer. Passa la tête. Y ajouta ses épaules. Puis, comme un nouveau-né éjaculant des entrailles de sa mère, elle finit par investir la boutique de tout son être. Jamais deux sans trois, elle aussi se faisait un sang d’encre. Cette convocation dans le commerce de son mari, toutes affaires cessantes.
Le premier policier à droite en passant la porte l’interpella :
– Madame, le magasin est fermé, vous le voyez bien.
– Je suis Brigitte Vaucresson. On m’a demandé de venir d’urgence.
– Ah oui ! Je suis au courant !
Il hurla :
– Chef, c’est la veuve du mort !
(à suivre…)