CUISINE INTERNE Pour être à la hauteur de ce qu’attend leur éditeur, les deux zauteurs de TRAPPES s’isolent en montagne. Cela ne se passe pas comme prévu au niveau de la création, d’où quelques références à Bertrand Blier pour rehausser le niveau.
43.
D’une maxime – «Pour que notre œuvre prenne de la hauteur, notre prose réclame l’air pur des Alpes » – Charles avait embarqué Gérard hors de son plat biotope habituel. Et un peu du sien…
Le chalet s’appelait le «L’antre de Georgette» et il se perchait aux alentours des 1756 mètres. Il appartenait à un pote d’une amie d’un cousin d’un beau-frère d’une copine d’une voisine de Charles. Une location presque gratuite, la cambrousse en altitude totale, aucune distraction possible, à part écrire, pondre, rédiger. Rien de tel pour accoucher, sans péridurale, avec motivation, de l’œuvre d’une double vie.
Pas d’avanie de style, aucune framboise à cette altitude, les deux mamelles de leurs destins se réunissaient dans un huis clos amical.
Par un miracle de Dame Nature, leur habitation avait ses fondations en pleine zone d’ombre. Aucune communication ne passait, la civilisation du monde tellement qu’il est moderne dans le futurisme avancé se reléguait au stade de souvenir évanescent. Vous pouviez dire adieu à tout appel téléphonique ou connexion sur internet. Le désert numérique.
Gérard et Charles voulaient garder les ferments de ce qui avait séduit De Salto et les Editions de la Licorne Noire. L’un écrivait le matin, l’autre lui répondait l’après-midi. A pile ou face, ils s’étaient répartis les corvées ménagères, celles qui, d’habitude, tuent le couple.
Gérard se chargeait du feu les soirées pairs, Charles de la cuisine les jours impairs. Entre deux chapitres, ils se mettaient sur la terrasse du chalet, affalés dans des chaises longues, à compter les nuages qui s’alanguissaient au-dessus des monts enneigés.
– On n’est pas bien, là, épanouis du gland ? répétait sans cesse Charles, piquant une réplique de Bertrand Blier.
Après cinq jours à ce régime – et dix chapitres plus tard – Gérard avait envie de filer des coups de semelles dans les valseuses de toute la Galaxie. La cohabitation lui mettait des grenouilles dans le bide.
– On n’est pas bien, là, décontractés du gland… remettait Charles sur le couvert de la conversation. N’y pouvant plus, Gérard lui servit un buffet froid de revendications.
– Non ! On n’est pas bien du tout ! Je vais te dire, rouler des patins uniquement à des marmottes, cela me déprime. Il fait froid ! Les oiseaux gueulent dès potron-minet et il n’y en aucun pour les bouffer ! On dirait la 9e de Beethoven en version customisée pour sourdingues ! Et le feu, il schlingue le bois trop humide. Je sens la viande fumée, l’odeur s’est empêtrée dans les mailles de mon gros pull qui gratte. Pourquoi on n’a pas été chez notre amie ? C’était en plaie, c’était vaste…
– Il y avait aussi un stage de Body Thérapie à se rouler à poil dans de la peinture et ensuite sur des grandes toiles. Tu te vois écrire dans cette ambiance ?
– Il y avait des bonnes ondes là-bas…
– On se sent bien AUSSI ici !
– Il n’y pas d’ondes du tout ici ! C’est mort !
– Tu nous chies pas une pendule parce que tu ne peux pas causer avec ta Brigitte !
– Je ne te chie pas une pendule, je défèque un clocher tellement elle me manque !
– Tu veux lui en mettre plein la gueule ? Ecris du bon, du pas bonnet d’âne, du qui tient l’autoroute…
– Justement, je suis en panne sèche…
– Tu exagères…
– Je deviens stérile du style. Je me force. Charles, j’ai besoin de mes repères… Ce n’est pas bon ce que je ponds. Je deviens une poule dont les œufs ont plus de blanc que de jaune.
– Et moi ? Bordel, j’ai accepté de bouder mes bars habituels, je suis à l’eau trop plate depuis six jours, j’ai une tête à rouscailler pour des peccadilles ?
– J’ai l’inspiration en cale sèche ! Depuis qu’on a abandonné le registre thriller, on zone en plein film français neurasthénique…
– Tu exagères. Le chapitre où j’explique les petites statues en terre cuite de ma mère, cela va émouvoir les chaumières.
– Elles vont bailler aux corneilles, les chaumières ! C’est du somnifère pour corbeaux ce qu’on sort. Depuis qu’on sait que La Licorne Noire pourrait éventuellement peut-être nous publier, on met des capotes à notre intrigue. On se la joue pompeux qui rédigent pour la Postérité. Et la Postérité, elle se torche de nos ersatz de littérature sérieuse.
– C’est où que ça coince ?
– J’ai besoin de mes arbres, de plaine avec ses mottes, pour que ça vienne. Je n’en peux plus
– Tu me fais marrer, Gérard, hurler de rire, tu me sers des excuses foireuses pour ne pas sortir de ta zone de confort…
– Je n’accroche pas.
– L’imagination, mon gars, tout la sert, tout la nourrit, même si tu n’es pas chez toi, à croupir dans tes odeurs de chaussettes sales.
– Je fais ma lessive toutes les semaines…
– Eh bien dégorge le poireau de tes habitudes ! Tu veux une leçon sur l’art et la manière de mitonner un beau chapitre ? J’ai les ingrédients ! Viens !
Charles tira le Gérard bougon comme un gosse privé de train électrique à Noël. Dans la cuisine sommaire du chalet, il mit sur la table un oignon, des tomates, de l’aïl, du piment d’espelette, du sel, du poivre, de l’huile, du basilic, du persil, de la viande hachée, des pâtes numéro 3…
– Avec ça, annonça Charles, je t’explique tout comment faire des spags d’enfer et un roman génial !
(à suivre…)