EXISTENTIEL Heureux d’avoir trouvé un éditeur, nos auteurs se posent plein de questions sur la vie, la mort et les vaches. Ou pas. Et aussi sur une vie sentimentale. De la métaphysique au quotidien offert par Ludovic Dabray et/ou Joël Cerutti.
42.
Et pourquoi je dois trouver un titre pour ce chapitre ? Il est très bien sans !
Brigitte laissa Gérard sans nouvelles et il n’en requit pas. Il s’étiolait à l’idée que Brigitte poursuive sa vie avec Olivier, mais il n’avait pas à s’occuper de ça.
De toute façon, il savait que Vaucresson le démolissait devant son épouse, même s’il en avait autant à son service.
Pour le moment, l’urgence de Gérard était fondée sur cette promesse divine d’Arnaud de Salto. Un éditeur ! Enfin ! Après tant d’années de galère. De pages déchirées. De cartouches d’encre épongées. De corbeilles à papiers gavées de mots à tout jamais perdus. D’espoirs déçus ! De piges acceptées pour pouvoir bouffer !
Évidemment, tout n’était pas à jeter, dans toute la copie qu’il avait pissée au fil des ans, mais personne n’en avait voulu. Certes, il avait bandé un peu mou en s’abstenant de tâter les féroces lecteurs des maisons d’édition. Il avait attendu la chance.
Elle avait fini par arriver ! Comme une alliée improbable.
Gérard survint en retard à son rendez-vous dans cette brasserie du centre-ville dans lequel ils avaient leurs habitudes, lui et son coauteur. Celui qui était devenu son ami ne le vit pas venir. Son portable déplié devant une bière locale, comme de coutume, il était en train de mettre la dernière virgule à un article qu’il avait promis pour la veille. Mais la visite chez de Salto était plus importante.
Gérard étreignit Charles. Il aimait sentir les êtres qui l’entouraient vivants. Il s’assit en permettant à Charles de sauver son texte. Il commanda une Ovomaltine. Il appréciait la douce épaisseur de ce breuvage qui lui rappelait quelques séjours en Suisse. Il en détenait toujours quelques doses de réserve avec lui, des fois que le débit de boissons du jour ne soit capable que de lui préparer un lait chaud.
Charles remit son ordinateur portable dans une de ses pléthoriques sacoches. Il se trimbalait partout avec un nombre impressionnant de « bagages », comme s’il n’avait pas de domicile fixe.
Charles aimait l’ambiance des bistrots, cela favorisait sa concentration et sa créativité. Gérard ne comprenait pas comment son complice pouvait fonctionner au milieu des commandes passées à l’encan par les serveurs. Même la tondeuse du voisin l’interrompait dans ses travaux d’écriture, y compris dans la rédaction d’une lettre à son percepteur.
– Et alors, tu en penses quoi, de la visite chez de Salto ? entonna Charles.
– Tu sais bien que je ne suis pas un expansif, en tout cas pas dans ce domaine-là. J’en ai assez bavé pour ne croire à la chance que lorsqu’elle se concrétise. Pas seulement quand elle me fait une risette !
– Mais, écoute, c’est génial. Tu t’imagines ? Arnaud de Salto. Les Éditions de la Licorne Noire ! Tu sais qui ils publient ?
– Ben, justement, c’est trop beau pour être vrai. Déjà, il avait un regard extrêmement critique sur nos quarante premiers chapitres. Moi, je pense qu’il a surtout voulu voir les rigolos qui étaient en train d’inonder leurs pages Facebook avec un roman à quatre mains. Curiosité. Heureusement qu’il ne nous a pas invités à un dîner avec ses amis. J’en aurais été plus qu’inquiet !
– Et tu imagines qu’un gars comme de Salto a du temps à perdre pour recevoir deux branquignols ? Je te rappelle qu’il nous a même payé le voyage. Il n’aurait pas fait ça inutilement. Non, moi, je pense qu’il y croit. Il n’est pas le seul à décider, mais c’est quand même le patron et il y aura toujours bien quelques avis qui iront dans son sens, ne fût-ce que par flagornerie.
– Ceci dit, on peut bien se mettre au boulot parce que si tu vires les quarante premiers chapitres, nous sommes au stade de l’opuscule. Ce n’est plus un roman. C’est une nouvelle !
– On va bosser. Ce n’est pas le travail qui nous fait peur !
– Oui, mais on ne va pas faire ça dans un café. Moi, je ne peux pas me concentrer dans le brouhaha. Ou alors, il faut trouver un bistrot sans clients.
– Tu sais bien que notre amie est toujours prête à nous laisser utiliser sa gentilhommière. On sera bien, là-bas, à la campagne. Comme un vieux couple. Je te propose de t’appeler Madame les jours pairs et toi tu m’appelleras Mademoiselle les jours impairs.
– On va quand même attendre des nouvelles d’Arnaud de Salto !
– Bien sûr que non. Je te dis que c’est dans la poche. Et quand il reviendra vers nous, il faut qu’on puisse lui dire qu’on a déjà avancé sur notre relecture. Si ce type nous fait confiance, il faut qu’on lui prouve que nous la méritons !
– Si tu le penses !
– Ça n’a pas l’air d’aller. Je sais que tu n’es pas un grand enthousiaste, mais là, c’est pire que d’habitude. La vie est belle, non ?
– On va dire ça !
Les deux amis conservaient leur jardin secret sur leurs relations sentimentales. Elles étaient pour chacun d’eux un rien compliquées et il y avait une sorte d’accord tacite sur le sujet. Ils savaient un peu, ils n’en parlaient pas. Charles osa poser la question.
– C’est Brigitte ?
– Oui !
– Ça ne va pas ?
– Je n’ai plus de nouvelles d’elle.
– Tu lui as envoyé un message ?
– Non !
– Dis-lui qu’on a trouvé un éditeur. Ça va l’émoustiller que tu deviennes célèbre !
(à suivre…)