EFFET MIROIR   A qui ou à quoi ressemblent les plumitifs de TRAPPES? Un chapitre où la rencontre avec un éditeur vous donne quelques pistes. Mais toute ressemblance avec des personnages réels serait purement une bourde du quotidien…

41.

Clin d’oeil littéraire pour Cyclope parfois un peu borgne

Enter : réalité hors fiction, matinée printanière, intérieur bureau cossu, boisé. Soleil. Deux zozos quinquagénaires en face d’un autre, sexagénaire, classe, cravate, expérience et charisme.

Arnaud de Salto, éditeur, tapota sur la centaine de pages, reliées, empilées sur son bureau en acajou massif. Il chercha des mots, les trouva.

– Vous avez fait bon voyage ?

Le tandem, en face de lui, s’était exporté de différents pays pour rejoindre le sien. De Province, il était monté vers la Mecque de l’Edition, la Capitale des Belles Lettres. Il se dandinait, peu habitué au luxe feutré des lieux. L’un les cheveux neige et pétard, l’autre avec une barbe qui s’interrogeait sur la longueur de ses poils.

– On vous a servi un café ?

– Oui, avec deux croissants… sortit l’un, pastichant la voix de Fernand Raynaud.

L’autre tournait la tête de tous les côtés, comme s’il enregistrait le moindre livre sur les trois bibliothèques cernant Arnaud de Salto.

– Un ouvrage qui vous intéresse ?

– Je ne vous dis pas. Je risque de revenir avec des potes déménageurs des Pays de l’Est, vous aurez de la place…

Arnaud s’en amusa et lissa le manuscrit dont la première page annonçait un «Trappes», imprimé en corps 48. Difficile de rater le titre…

– OK, comme je vous l’ai dit par mails et puis par téléphone, je tenais à vous voir en vrai.

– Dans ma campagne, Skype fonctionne mal… ajoute l’un.

– On aurait quand même aimé des sucres avec notre café, il faudra le dire à votre secrétaire.

– Et je le redis, il y a un… potentiel. Bon, vous refusez d’emblée de me dire qui écrit quoi, donc je ferai des observations globales et vous vous débrouillerez ensuite entre vous.

– Vous savez, les «je» de «l’ego», on a un peu passé l’âge… avoua le Blanc Pétard.

– Bourreau, fais ton office ! trancha l’acolyte, les lunettes tordues dirigées vers Arnaud.

– Sur le fond, on ne s’ennuie pas, je vous le dis tout de suite. Vous vous amusez comme des gamins, ce plaisir de grands gosses aurait des ferments de contagion pour le lecteur. Comme vous vous êtes imposé 5000 signes par chapitre, vous n’avez pas trop le temps de vous regarder écrire. Même s’il y a un certains passages avec des digressions entre parenthèses qui pourraient être coupées. L’un d’entre vous en est le spécialiste et je ne veux pas savoir qui ! Cela rallonge les phrases, presque limite du lisible, mais je ne sais pas par quelle pirouette, vous arrivez presque toujours à retomber sur vos pattes.

– C’est un métier, monsieur… rigolèrent les comparses en totale synchronicité.

– Un autre invente des noms risibles et pathétiques pour ses personnages. Je ne vous cite pas des exemples, vous devez les savoir. J’espère que vous avez utilisé le copier/coller pour vos Germaine Pran… machin !

– Pranmwadoncq !!! lâchèrent ses interlocuteurs

– Pranmwadoncq, j’allais le dire. «Aussi difficile à lire qu’à dire» a rédigé quelqu’un de notre comité de lecture. Après, il y a aussi des questions de cohérence ou de continuité. D’un rédacteur à l’autre, vos personnages n’ont pas le même vocabulaire. Votre Bill Slate, il utilise parfois un ton hyper geek branché et, soudainement, on dirait du Claudel.

– Notre idole ! soulignèrent les deux Frères Amis.

– Je pourrais aussi vous toucher un mot sur vos milliers références culturelles. C’est la totale Foire du Trône. Des jeux de mots sur des œuvres des années cinquante fanées, des allusions aux ringardises des années 80 ou alors des liens avec des machins qui me semblent hyper branchés, même mon petit-fils ne les comprend pas tous. C’est vous dire !

– La jeunesse…

– Quel manque de culture générale… Tout juste bonne à pondre des fautes d’orthographe sur Facebook…

– Facebook, c’est pour les vieux, on mettra Snapchat si on garde ça dans le roman.

Arnaud de Salto leva une main en signe d’apaisement.

– Pour le moment, j’insiste sur la confidentialité de cette rencontre. Je n’en ai pas encore parlé avec mes associés…

– Pas un mot, juré… dit celui avec les lunettes, un air de vrai faux cul sur la face.

– Je compte sur vous… Je continue… Je dois dire que les quarante premiers chapitres, j’ai dû m’accrocher. Cela pourrait être bien d’avoir de l’action à gogo, vous avez poussé le bouchon un peu loin. Pas une seconde de répit, quasi ! Que ça pétarade dans tous les coins. On aurait dit «Piège de Cristal» sous cocaïne…

– C’est une référence aux années huitante, ça…

– Ringard, quoi…

– Le rythme y était avec un tel souffle que vous avez étouffé le lecteur. Enfin, c’est mon approche… Et la caractérisation des personnages, elle tient sur un timbre-poste ! A part s’envoyer en l’air, proférer des gros mots, leurs bios a de l’écho ! C’est vide !

– A vous entendre, dit un des escogriffes, on se demande pourquoi nous sommes là…

– Vous avez eu la sagesse de ce que vous appelez le «reboot»…

– Et ?

– Vous êtes sortis de vos amusements d’ados plus ou moins attardés…

– A notre âge, mon pauvre monsieur, nous ne pouvons plaider que l’attardement…

– Et tout s’est remis en place. Vous avez passé au stade adulte. Vos personnages se sont épaissis. A partir du 42, je dis «Banco, les gars»… Continuez !!!

(à suivre…)

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