GENEALOGIE   Où l’on découvre que nos personnages principaux ont quand même une mère, un père et qu’il était temps d’en parler. TRAPPES, le roman feuilleton de Ludovic Dabray et/ou Joël Cerutti, géniteurs émérites d’une riche saga…

34.

Partis ailleurs, Denise Grey et Martin Gray doivent parler de nuances.

Dans cette petite chambre située au deuxième étage de cet hôtel de la chaîne [votre publicité ici], le réveil de ce couple de personnes âgées sonna pour la troisième fois. Monsieur s’extrayait du lit pendant que son épouse décidait que sa douche matinale n’était pas urgente, d’autant plus qu’il n’était que sept heures.

L’homme, bien bâti, devait culminer aux alentours des deux mètres. Quelques flocons de neige éternelle avaient fait leur apparition dans sa chevelure noire et crépue. Son visage présentait quelques rides, mais rien qui confirma de manière définitive qu’il avait franchi depuis peu les trois quarts de siècle.

Son buste était sculptural, toujours musclé, à l’instar de ses bras.

Là où ses jambes se rejoignaient enfin, après avoir effectué le long trajet qui les raccordaient à ses pieds, il trimbalait ce qu’il est convenu d’appeler un membre émérite.

C’était celui-ci, soigneusement oint aux huiles essentielles de bois bandé, qui lui avait permis de tenir en éveil, avec la complicité de son épouse, les chambres 213, 215, 219, 221, 223, 210, 212, 216, 115, 117, 119, 313, 315, 317, 319 et 321 de l’hôtel. Les clients de la 214 n’avaient rien entendu, il s’agissait de deux sourds. Quant à la 217, elle était occupée par les amants en rut.

C’est incroyable comme des couples qui, d’habitude, ne se regardent même plus, se découvrent une vigueur renouvelée dans une chambre d’hôtel. Comme si leur plaisir s’accroissait de la publicité de leurs ébats.

Monsieur venait de terminer sa douche. Son épouse, qui devait compter seulement quelques mois de moins que lui, se précipita sous l’eau chaude afin d’effacer de la nuit les derniers fantômes.

Ils se dirigèrent ensuite vers la salle où le petit déjeuner leur était promis. Le buffet généreusement garni connut un premier succès laissant aux attardés peu de chance de manger à leur faim.

Puis, ils se mirent en route, après avoir restitué la clef de la chambre au gardien de nuit, qui visiblement avait eu vent de leurs exploits conjugaux.

Ils prirent le métro, quelques stations, un changement, puis enfin on les vit émerger d’une bouche située à quelques pas de la place Jolievache. Neuf heures trente, ils étaient une demi-heure en avance pour leur rendez-vous.

Ils allèrent identifier le bâtiment dans lequel ils devaient se présenter, firent un tour de ce quartier aux nobles façades, puis, à quelques minutes de l’heure dite, ils vinrent s’annoncer au corps de garde, qui ne chantait rien, pour le moment.

Après avoir exhibé leur lettre d’invitation, leurs documents d’identité et leur plus large sourire, monsieur fut dirigé vers un bureau afin d’y subir une fouille corporelle limitée par la peur du préposé de s’en prendre une. Par contre, la fonctionnaire féminine palpa jusqu’à l’intime la visiteuse. Faut dire que l’inquisitrice, un peu hommasse, préférait les personnes de son sexe et qu’il n’était pas rare que ses fouilles au corps se terminent par un orgasme de l’explorée.

Personne n’osa s’enquérir de leur provenance. Mais ce n’était pas la très belle Norvège, ni les bords du Saint-Laurent, ni de la Terre de Feu. Mais, dans ce monde bien pensant, il n’est guère aimable de demander son pays d’origine à une personne de couleur noire. Allez savoir pourquoi !

Un huissier les fit pénétrer dans un bureau richement meublé.

– Monsieur le Ministre de l’Intérieur ne va pas tarder à arriver. Asseyez-vous, Madame, Monsieur.

Ils demeurèrent seuls un moment. Ils attendirent le ministre. Ils se réjouissaient de voir enfin un ministre de l’Intérieur, même s’ils n’allaient le contempler que de l’extérieur, la caméra endoscopique étant mobilisée pour déboucher l’évier des sanitaires du deuxième.

L’élu arriva.

– Madame Saint-Pierre, s’inclina-t-il. Monsieur Saint-Pierre, serra-t-il la main.

– Monsieur le Ministre reprirent en chœur les époux.

– Asseyez-vous. J’ai bien reçu et lu le dossier que vous avez transmis. J’ai aussi pris connaissance des notes de mon chef de cabinet. Croyez que je comprends votre détresse, mais je ne vois pas ce que je peux faire pour vous.

– Notre garçon a disparu depuis plusieurs mois et la police refuse de démarrer une enquête. Vous trouvez ça normal, Monsieur le Ministre ?

– Votre fils Ornicar est majeur, ce me semble !

Oui, le « gamin » se prénommait Ornicar et si vous aviez été attentif à la fin du chapitre dix-huit, vous en seriez moins étonné !

– Nous avons pris contact avec notre ambassade, où travaille le frère de mon épouse, Tryphon Lafètossi. On nous a dit que nous devions insister auprès de vous. Notre fils menait une vie rangée, il a une femme qui se morfond de sa disparition. Vous ne pouvez pas rester sans rien faire.

– Écoutez, mes amis (oui, quand on refuse quelque chose à quelqu’un qu’on ne connaît pas, on l’appelle « ami ») je vais voir ce que je peux faire. Mais vous savez que le politique n’a pas d’ordres à donner à l’exécutif.

L’entretien était visiblement terminé.

Le ministre rangea le dossier parmi les autres.

L’affaire « Ornicar Saint-Pierre-Lafètossi » retournait aux oubliettes.

(à suivre…)

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