EXISTENTIEL, MON MARI   Vrai ou faux? Réel ou numérique? Dans quel état errent les personnages de TRAPPES? Que de questions existentielles auxquelles votre roman feuilleton apporte une réponse dont la philosophie ne vous échappera pas. Ludovic Dabray et/ou Joël Cerutti la revendiquent!

28.

Si l’œuf de Christophe Colomb avait été frais, la face du monde en aurait été changée.

Bill Slate demeurait étonnamment calme devant l’arme maintenant brandie dans sa direction par une Brigitte remontée comme un coucou helvète.

Dans sa jeunesse, on l’avait vue fervente militante des droits de l’homme (et de la femme, tant qu’elle y était) et cette mainmise sur son existence par un milliardaire aussi peu scrupuleux de la vie d’autrui lui tordait les boyaux de l’œsophage au rectum.

Elle avait conservé la petite dose de self-control qui l’empêchait d’appuyer sur la détente. Elle savait qu’avec un engin de ce calibre, et à une aussi faible distance, elle allait transformer Bill Slate en viande hachée.

Était-ce une certitude de ne pas être abattu froidement par « son » personnage qui permettait à Bill Slate de rester impassible ?

Le silence était pesant, il le brisa :

– Ma chère Brigitte, je dois vous expliquer quelques petits points de détail, histoire que vous ne partiez pas sur un mode de pensée bugué. D’abord, en l’état actuel, cette arme est inutilisable. En effet, dès que j’ai vu comment la séquence avec Germaine tournait, j’ai désactivé le pouvoir de ce bazooka qui est devenu aussi inoffensif qu’un club de golf.

Brigitte dirigea l’engin vers le plafond, appuya sur la cédille de la chose, rien ne se produisit.

– Très bien. Passons à la suite. Vous pensez bien que pour obtenir l’accord du Ministre, j’ai dû lui fournir quelques garanties. Bon, le gars est un peu borderline, comme la plupart de ses confrères quand il s’agit des intérêts supérieurs de leur petite personne, mais il n’est pas complètement fou non plus. Il m’a donné son aval, secret, pour que je crée ce jeu de réalité réelle, mais à condition que je respecte certaines règles.

Bill Slate parlait calmement. Comme un homme d’affaires vous expliquerait son projet d’une nouvelle ligne de shampoing pour les chauves.

– Ainsi, vous pensez bien qu’avant d’envoyer Germaine face à vous deux, que je sais particulièrement efficaces, j’en ai prudemment fait un backup. C’est-à-dire que je peux la recréer quand je veux. Je ne vous cacherais pas qu’après ce que vient de faire cette charogne, elle va un peu rester en sauvegarde. Il se peut d’ailleurs que je l’efface définitivement. Trop imprévisible. Mais bon. On ne sait jamais !

La porte émit son sifflement d’ouverture suivi de son chuintement de fermeture. Entre les deux sons, Ping Pong et Pong Ping ont eu le temps de faufiler leurs frêles carcasses et sont venues se placer de part et d’autre de Bill.

– Je dois vous annoncer, ma chère Brigitte, que je vous ai débarrassée de votre mari.

Stupeur de Brigitte, juste de l’étonnement. Gérard s’était mis en mode « pause », il attendait la fin du chapitre avec impatience. Jusqu’où ce fou de Slate allait-il aller ?

– Olivier Vaucresson a été abattu par des tueurs. La police ne risque pas de chercher après, puisqu’il n’existait pas. Je veux dire qu’il n’existait pas vraiment. Il était virtuel. Donc, il n’y a pas eu de meurtre à proprement parler. Il n’y a pas encore de délit qui punit la mort de personnages de fiction. Heureusement. Les auteurs de romans seraient tous en prison. Par contre, la bonne nouvelle, vous vous en doutez, c’est que j’en possède aussi une copie de sauvegarde. Donc, je le réinjecte dans l’histoire quand je veux.

Brigitte tenta de vérifier qu’elle était bien réelle. Mais comment faire ? Elle se mit à respirer très lentement en savourant le goût de l’air conditionné. Elle essaya également d’écouter son cœur battre. Elle ne parvint pas à totalement se rassurer.

Gérard était toujours déconnecté, une tactique de l’autruche cérébrale.

– Mesdemoiselles Ping Pong et Pong Ping, ici présentes, sont aussi des personnages virtuels. Vous imaginez bien que deux jumelles tellement parfaites dans leurs ressemblances n’existent pas. En fait, elles serviront, dans le scénario, à intéresser le marché asiatique. Elles ne viennent pas de Hong-Kong par hasard. Tout ça est étudié, mes bons amis. Vous pensez bien. Des milliards sont en jeu.

Brigitte n’y tenait plus, la question lui échappa :

– Gérard et moi, nous sommes quoi ? Virtuels ou réels ?

– Vous êtes réels, sinon ça n’aurait aucun intérêt ! Mais j’ai un backup de chacun de vous, des fois qu’il vous arriverait une bricole. Je ne peux pas risquer de vous perdre totalement. Évidemment, avec votre copie, je ne peux pas vous recréer effectivement, donc vous serez vraiment morts. Et ce serait dommage. D’autant plus que je ne compte pas être avare et que vous allez être grassement rétribués pour jouer vos personnages dans la fiction qui se met en place. Avez-vous quelque chose à déclarer ?

– Que vous êtes un salaud ! répondit Brigitte.

– Moi, je pense que vous êtes parfaits, tous les deux. Il y aura évidemment quelques séquences qui seront réservées à la version « adultes », vos séances de baise par exemple. Mais bon, les gamins sont au courant, maintenant. Plus rien ne les choque. Tant que vous restez dans le « traditionnel »… Vous en pensez quoi ?

Gérard sortit de son mutisme :

– Je pense que je vais vous casser la gueule.

(à suivre…)

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