C’EST MOI QUI SUIS COLARGOL   Ce n’est pas tous les jours que vous pouvez chanter le générique de « Colargol » grâce à un roman vaguement polar… TRAPPES vous offre cette occasion, ne la boudez pas!!! Fin de la 5e semaine imaginée par Joël Cerutti et/ou Ludovic Dabray.

25.

C’est dans les gros détails que l’on reconnait le fin divin diabolique.

Madame la Directrice Brigitte et Monsieur le Directeur Gérard en restèrent babas. Le résumé du discours de Pong et Ping (et vice dans le versa, voire l’inverse) présentait une réalité hallucinante : «Restez à ne rien faire dans une pièce, toute la journée. Le soir, surtout, ne baisez pas. La journée, vous oubliez aussi. Et le lendemain, on vous remet une tournée…» Alcatraz, à côté, rivalisait avec le Club Med’…

Le duo asiatique les laissait seuls, en rade, comme des plantes vertes, médusés.

– Tu crois qu’on peut leur demander des cours de macramé, si on a des creux dans notre planning ? persifla Brigitte.

– Le scrapbooking, ça me tenterait… renvoya Gérard, illico sur la même longueur d’ondes.

– C’est Guignol et Gnafron, ce Service de la Protection Intérieure du Territoire.

– Si ça trouve, ils ont recruté Colargol et Caliméro pour nous servir d’adjoints. Attends, je teste un truc…

Dans la salle en open space, où les téléphones sonnaient, avec de la techno d’ascenseur en fond, une trentaine d’agents de bureaux se donnaient des airs affairés. Ils se la jouaient Geek en Mission Impossible à transpirer des paumes sur des souris sans fils.

Gérard s’éloigna de Brigitte. Il choisit le milieu approximatif des lieux affairés à gérer les aléas de ce beau pays qui est le leur. Il partit dans une chorégraphie minable et infantile, chantant comme une crécelle qui imiterait Justin Bieber :

– C’est moi qui suis Colargol/ L’ours qui chante en fa, en sol/ En do dièse en mi bémol/ En gilet et en faux col/ Le roi des oiseaux (Gérard bat des bras comme des ailes)/ Vous le savez mes amis/M’a donné un beau/Sifflet pour faire cui-cui/Cui cui cui cui cui cui cui (Gérard se prit là, pour le Nijinski du pauvre et, exécutant des pointes pitoyables, tapota sur le crâne des jeunes agents et gentes).

 PERSONNE ne réagit. Pas un pékin pour moufter. Silence radio DAB plus.

Gérard revint vers Brigitte.

– Alors ?

– Conflit de générations, ils ne doivent pas connaître. Tu aurais essayé les Chevaliers du Zodiaque… Peut-être que…

– Il suffit de demander…

Même endroit, seconde pantomime tout aussi pathétique.

– Des quatre coins de l’univers/Quand triomphe le mal/Sans hésiter ils partent en guerre/Pour un monde idéal/ Les Chevaliers du Zodiaque/S’en vont toujours à l’attaque/En chantant une chanson bien haut/C’est la chanson des héros/Les Chevaliers du Zodiaque/Contre les forces démoniaques/Gardent au fond de leur cœur/Le courage des vainqueurs…

Entre grands cercles tracés dans les airs, mains tendues en forme de lance, petits sauts sur place, coups de poings dans le vide et torse martelé, soyons francs, Gérard se dépassa. Avec encore moins de succès que sur Colargol.

Essoufflé, il rejoignit Brigitte.

– Alors ?

– On pourrait essayer Albator ou Capitaine Flam, mais cela serait abuser.

– Tu penses comme moi ?

– Ce sont des branques absolus !

– Si tu voulais une confirmation qu’on ne sert à rien, c’est bon.

– Tu as remarqué un truc ?

Vu l’osmose sexuelle et autres liant Brigitte et Gérard, il n’y avait pas toujours besoin de se lancer dans des logorrhées délirantes avec sous-titres. D’un coup d’œil aux alentours, l’évidence s’imposa. Depuis le départ de Ping et de Pong, personne, pas un rat, pas une âme qui vive ou meurt, ne les surveillait. Pas un garde chiourme. Aucun gorille collé aux basques. Une paix royale. Ils étaient livrés à eux-mêmes en colis recommandés et sur signature.

Sans se concerter, notre duo fit semblant d’errer de façon décontractée. Ils se captivèrent pour des notes de service, s’extasièrent devant la machine à café – «elle réalise même des macchiatos, tu te rends compte?» – explorèrent deux fois le cagibi avec des produits de nettoyage.

Des activités désœuvrées qui les rapprochaient petit à petit de l’ascenseur. S’attendant à chaque instant être ceinturés, plaqués à terre, traînés les ongles rayant la moquette jusque dans leur geôle, pardon leur bureau. Ce qui ne se passa pas.

Décontractés tels les petites souris de Garcimore (référence pour la génération Colargol), Brigitte et Gérard entrèrent, appuyèrent et descendirent les étages. Pas de clé pour sortir. Ils avaient traversé, la veille, des heures de balles, de déflagrations, d’impacts. Et là, ils s’évadaient l’air de rien, comme ça, les mains dans les poches, la bouche en cœur… Les paradoxes pétrissent les agendas. Dans les couples qui cohabitent depuis des lustres, des réflexes naissent. Que je t’enlève des pellicules sur le revers de ton veston, que je t’arrache un fil qui dépasse. Gérard remarqua une couture mal fichue sur le tailleur de Brigitte. Il tira, l’ourlet s’ouvrit, une drôle de capsule métallique tomba sur la moquette de l’ascenseur.

– C’est quoi cet engin ? dit Gérard à voix haute, s’emparant du capteur, le mirant dans la lumière jaunasse.

Ding. Ascenseur au rez. Porte qui s’ouvrit sur le hall d’accueil. Une cinglée en blond les attendait. Avec de la grosse artillerie, un M20A1/A1B1, des chiffres qui cachent les lettres de bazooka.

– Personne ne pourra dira que Germaine Pranmwadoncq ne termine pas ses mandats ! Personne !

(à suivre…)

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