PING PONG Arrivée d’un duo, dans TRAPPES, que vous retrouverez sous plein de formes (en TRES en formes) au cœur de l’intrigue… Appréciez la première entrée de Ping Pong et Pong Ping! Tout un programme élaboré par Ludovic Dabray et/ou Joël Cerutti.
24.
Quand la crise du personnel de maison efface toutes les différences sociales.
Tandis que Gérard attendait patiemment que la conversation avec les jumelles prenne un cours normal, professionnel, Brigitte ne décolérait pas. Sa fonction de directrice des ressources humaines, même au sein du Service de la Protection Intérieure du Territoire lui restait en travers de l’utérus dans lequel elle devait secrètement avoir planqué une paire de… qui aurait rendu jaloux les étalons du porno.
Ceci dit, Brigitte et Gérard n’étaient pas dupes. On les avait bel et bien mis hors jeu de l’action et leurs fonctions n’étaient en fait que des voies de garage. Les deux femmes qui leur faisaient face n’étaient pas plus agents de liaison que pêcheurs de morues en mer d’Écosse.
Elles allaient les noyer de fausses informations, leur laisser croire qu’ils dirigeaient vraiment le Service et faire semblant d’écouter leurs ordres.
Brigitte finit par se vider de sa rancœur verbale, consciente que c’était inutile de regimber.
Sa nature féminine, plus intuitive, avait immédiatement perçu qu’ils avaient intérêt à faire profil bas. Et c’était la raison de son langage monosyllabique après le départ du «messager».
Le silence revint dans le bureau. Les jumelles n’avaient pas bronché. De petites tailles, les pieds vissés dans le sol, les jambes raides, le buste droit, les bras croisés sous une poitrine qu’on devinait modeste, le visage impassible et le regard invisible, serti entre des paupières asiatiques à n’en plus pouvoir.
Comment définir qui était la première ou la deuxième ? Un miroir n’aurait pas fait mieux !
Prenons-les par ordre d’entrée en voix.
La première :
– Mon nom est Ping Pong, je suis votre agent de liaison.
La deuxième :
– Mon nom est Pong Ping, je suis votre agent de liaison.
Brigitte et Gérard ne purent s’empêcher d’échanger un regard d’aliénés. La scène était surréaliste. Rien ne permettait de différencier ces deux copies, made in Hong-Kong, probablement.
– Vous pouvez m’appeler Ping, et je n’ai rien contre le tutoiement.
– Vous pouvez m’appeler Pong, et je n’ai rien contre le tutoiement.
Pause.
Elles parlaient d’une voix détimbrée, un peu dans les aigus, diction mécanique, chaque son possédait la même durée, chaque silence aussi. Un métronome semblait rythmer leurs mots.
– Vous allez devoir arriver à nous reconnaître. Moi je suis Ping et elle, c’est Pong. Vous retiendrez ça ?
– Moi, c’est Pong et elle, c’est Ping. C’est facile. Ping et Pong. Ping Pong et Pong Ping.
Gérard imagina un moment qu’un reformatage avait eu lieu à son insu et qu’il était devenu barge.
Brigitte sentait monter les tours dans son moteur interne, l’explosion du joint de culasse n’était qu’une question de secondes.
– Alors voilà, dit Ping (cher lecteur, essayez de suivre, vous, au moins !), nous sommes chargés de faire le lien entre le terrain et vous deux, les directeurs.
– Le but est de vous protéger de l’action, enchaîna Pong (très bien, tenez bon !). La base ne doit pas savoir qui vous êtes.
– Et vous, vous devez ignorer qui sont les membres de vos services, ponctua Ping (facile, c’est celle de droite).
Selon le tour de parole, les têtes de Brigitte et de Gérard hochaient de bâbord à tribord et inversement. Ils étaient repartis à gauche, pensant que c’était à Pong de parler, mais Ping reprit :
– Vos bureaux sont ici. Vous remarquerez qu’il n’y a qu’un local. Pas de téléphone, pas d’ordinateur, pas de moyens de communication vers le monde extérieur.
– Vos liens vers dehors, ce sont Ping et moi-même. Personne d’autre !
– Vous prestez des horaires de salariés. De neuf heures à midi, de quatorze heures à dix-sept heures trente. Vous avez vos appartements dans les pièces d’à côté.
– Chacun le vôtre. Nous n’avons pas prévu que vous viviez maritalement, donc vous avez chacun une chambre à coucher.
– Vous êtes instamment priés de ne pas forniquer, ni pendant vos heures de service ni en dehors.
– Et autant jouer franc jeu, il y a des micros partout.
– Et nous pouvons vous dire qu’il n’y a pas que les nôtres !
– Vous pensez bien que nos ennemis sont puissants et qu’ils ont déjà repéré les lieux.
– Nous vous en parlons librement parce qu’ils savent que nous savons.
– Nous n’avons rien à vous dire de plus pour le moment et vos questions seront pour une autre fois.
– Nous vous conseillons de prendre du repos, après les derniers événements vous devez en avoir besoin.
– Nous reviendrons vers vous dès que ce sera nécessaire.
– En attendant, vous avez quartier libre.
– Même s’il vous est évidemment interdit de sortir d’ici.
– Ce ne serait pas prudent !
– Madame la Directrice, Monsieur le Directeur, prit congé Pong Ping, si vous avez bien suivi, c’était son tour de s’exprimer !
– Madame la Directrice, Monsieur le Directeur, salua Ping Pong, forcément.
Les deux Asiates s’emportèrent vers le couloir.
Ping Pong passa devant et Pong Ping lui emboîta le pas.
À moins que moins que ce ne soit le contraire.
Mais est-ce que cela revêt une réelle importance ?
Brigitte et Gérard ne prononcèrent plus le moindre mot avant la fin de ce chapitre. Éberlués qu’ils étaient de cette scène improbable.
Vous aussi ?
(à suivre…)