TICKET AVEC LA CONSIGNE C’est fait, Brigitte et Gérard appartiennent à une drolatique organisation très gouvernementale. Il y a des consignes à suivre! Pas tristes! TRAPPES poursuit son bonhomme de chemin sous la conduite de Ludovic Dabray et/ou Joël Cerutti.
22.
C’est un pic, c’est un cap, c’est une péninsule…
Il est un temps, dans un rapport sexuel bien organisé, où chacun y va de sa tirade finale. Une sorte de pic (et pas de la Mirandole) que les amants tentent de prolonger en plateau avant de dévaler vers les falaises du quotidien insipide.
Ils en étaient là, Brigitte et Gérard. Au sommet. Ils faisaient l’amour comme il est impossible de le faire si c’est seulement la deuxième fois. Il n’y avait pas que leurs muscles qui se souvenaient de bribes d’actions.
Saint-Chronicité, priez pour nous.
Alors qu’ils arrivaient au bord du plateau, où le maintien de celui-ci devenait soit douloureux, soit impossible, la porte de la chambre s’ouvrit.
Gérard dévala de la falaise du côté gauche du lit, pour protéger de la vue d’une outrecuidante technicienne de surface le corps de sa maîtresse. Il empoigna aussi un angle de la couverture pour dissimuler son sexe, pas encore convaincu que le temps de l’action est fini.
Un homme en complet veston anthracite, cravate du même ton, chemise blanche, serviette sous le bras, parapluie de l’autre, le cheveu très court, les souliers d’un noir lumineux, s’encadra dans la porte.
Gérard fut rassuré de constater que les mains de l’homme étaient occupées par des objets sans caractère réellement belliqueux, même si la pointe d’un parapluie peut constituer une arme amusante, une serviette est moins souvent impliquée dans les faits divers crapuleux.
L’Homme était inconnu de Gérard et de Brigitte. Enfin, ils n’étaient plus sûrs de rien, les formatages et reformatages avaient laissé leurs cerveaux sens dessus dessous.
Dans un premier temps, le visiteur ne franchit pas la porte. Il en occupa le cadre, masquant à la vue d’éventuels «passants» la vision finalement charmante de ces deux corps au sortir du plaisir.
L’Homme ne dit rien, il resta immobile. Inquiétant ? Non ! Impassible. Figé. Interrompu dans son destin par ce qu’il voyait. Arrêté entre son passé et son avenir. En pause. Il attendait.
Brigitte et Gérard mirent à profit ce temps mort pour se confectionner le minimum syndical vestimentaire.
D’un naturel galant, Gérard proposa à Brigitte la lourde couverture représentant le pelage d’une vache normande, fond clair, taches noires.
Gérard se contenta d’un drap de lit blanc de blanc. Enfin, qui avait dû l’être.
L’un à côté de l’autre, ils faisaient penser à un pâtre romain emmenant sa dernière bête à cornes dans les alpages du Haut Latium. Si le ridicule tuait, ils seraient morts.
La situation était figée. À ma droite, les deux amants, récents promus codirecteurs du Service de la Protection Intérieure du Territoire. À ma gauche, l’Homme : imperturbable.
– Monsieur ? finit par s’inquiéter Gérard.
Un temps. Très long. Puis «il» pénétra vraiment dans la pièce. Ferma la porte derrière lui. Il était toujours aussi rectiligne. Contenu par le chambranle, il faisait grand. Hors de ce cadre, il était immense. Il récita :
– Madame, Monsieur, nous ne nous connaissons pas. Je suis désolé d’avoir ainsi troublé votre intimité. Je vous rassure, je ne ferai pas état de ce que je viens d’apercevoir. Votre vie sexuelle vous appartient, même s’il me semble peu adéquat que deux personnes qui dirigent un service aussi important que celui de la Protection Intérieure du Territoire se laissent aller à ce genre de… galipettes. Mais l’être humain est ainsi fait. Je suis messager, c’est ma fonction. Je suis programmé pour des missions ponctuelles, une à la fois. Avant celle-ci, j’en ai commis d’autres dont je ne garde aucun souvenir. À mon retour à la base, ma mémoire sera effacée du contenu de cette mission. Je suis chargé de vous délivrer un message. Écoutez attentivement ce que je vais vous dire. Ensuite, je m’en irai, sans entendre vos questions, de toute manière, je n’en ai pas les réponses. Tout d’abord, je dois vous rassurer, des vêtements civils neufs vont vous être livrés dans les prochaines minutes. S’ils ne sont pas encore là, c’est parce que vous deviez d’abord entendre ceci : vous avez été promus à la tête du Service de la Protection Intérieure du Territoire. Vous en imaginez le fonctionnement, vous en pressentez les arcanes, mais vous ne connaissez évidemment rien ni personne, puisque vous étiez transformés en agents dormants. Vous allez vous retrouver à sa direction, mais sans jamais avoir de lien avec votre base. Deux coordinatrices seront vos interfaces. Eux, enfin, elles, parce que ce sont deux femmes, vont vous permettre d’avoir une vision exhaustive de ce qui se passe dans le service. Elles se présenteront bientôt à vous. Les principales tâches seront réparties entre vous deux. Vous, Madame, vous aurez la responsabilité du Personnel. Une sorte de DRH. En tête de l’organigramme, vous serez donc le tronc de l’arbre. Ses ramifications, vous vous en doutez, sont nombreuses, presque infinies. Vous, Monsieur, vous aurez la direction des Affaires. Vous devrez guider, gérer, mais aussi contenir les missions en cours ou à venir. Vous serez la boussole du Service. D’autres instructions suivront.
Il sortit, sans laisser de temps pour une éventuelle question.
(à suivre…)