REPLIQUES Un grand dialogue, et pas vraiment de carmélites, où les répliquent fusent comme des scuds. TRAPPES, le roman-feuilleton de Joël Cerutti et/ou Ludovic entre de plein pied dans sa cinquième semaine. AIMEZ-NOUS, PARTAGEZ-NOUS, FAITES-NOUS DECOUVRIR!
21.
Quand tu causes toujours, tu m’intéresses parfois.
Post coïtum, il existe des tristesses dans le décor. Celui d’un hôtel borgne qui donnerait de la cataracte à un cyclope. Comme il était interdit de fumer dans la chambre, Brigitte et Gérard, les corps repus, épilés, tentèrent de vider leurs cendriers.
Un dialogue pour trier les mégots des souvenirs, ceux écrasés, ceux avec du rouge à lèvres dessus, ceux à peine entamés.
Les yeux au plafond atteint de lèpre et gondolé d’humidité, le sexe recouvert d’une couverture aux trames synthétiques et usées par les lavages chimiques, Gérard se jeta à l’eau…
– Tu te rappelles de quelque chose, toi ?
– A part des automatismes de combat, des images floues de réunions, des têtes inconnues, toi – un peu – je dois dire qu’on est pas loin du que dalle… Toi ?
– Des amorces de choses qui pourraient dire des trucs et déboucher sur des légères pistes qui entameraient un début de semblant d’ersatz de réminiscence.
– Comme moi. En bref.
– Nos muscles semblent être plus au courant que nous de certaines choses.
– C’est sûr que nous avons déjà fait l’amour ensemble.
– Il n’y a pas photo.
– Il devrait y en avoir, ça enrichirait l’album souvenir !
– Même plusieurs fois, je pense.
– En dehors des liens sacrés du mariage ?
– Cela se pourrait…
– Arrête, ça m’excite ! plaisanta Brigitte (oui, à certains instants, mieux vaut dire qui cause que cela ne confusionne pas)
– Tu veux que je te dise ?
– Tu ne vas pas t’en priver, quoi que je réponde.
– Tu sembles bien me connaître…
– Finalement, on a peut-être été marié.
– Tu m’aurais cassé la gueule pour un poil de barbe qui aurait traîné dans l’évier ?
– Rien qu’à cette pensée, j’ai les phalanges qui me démangent.
– Alors, nous avons été mariés.
– Ou vécu sous le même toit.
– Pas une bonne idée…
– Jamais…
– Avec la routine, on devait moins baiser.
– C’est con, si ça trouve nos autres «moi» aimaient ça…
– Tu veux que je te dise ?
– Encore ! Quand tu as une idée derrière la tête !
– Là, ça sent les noces de bois.
– Combien ?
– Cinq ans de mariage… Mais je vais quand même te dire…
– Accouche !
– On n’est pas dans la merde.
– C’est profond ce que tu dis là, Gérard.
– Arrête de déconner un moment… Il y a plusieurs choses qui ne cadrent pas…
– Enumère, mais je devine…
– Un : ils nous mettent à la tête d’un Service à la Con selon un Protocole dont on se torche complètement…
– … parce qu’on a aucune idée de ce que c’est !
– J’allais le dire…
– Et puis il y a l’autre tarée…
– Germaine Pranmwadoncq et patate !
– Tu n’as pas pu t’empêcher…
– Cela fait un moment que ça couvait.
– Germaine Pranmwadoncq, donc…
– Dans un premier temps, selon le débriefing des trois Men In Black, il semblerait qu’elle a été engagée pour neutraliser ton mari.
– Elle a défouraillé dans le tas et la bijouterie, mais pas sur ton Olivier.
– Tu te gardes ton «ton»…
– Après, les trois Men in Black ne savent pas si Grisoune a confié le mandat en interne à une autre équipe.
– Je leur souhaite plein succès, si ce n’est pas déjà fait.
– Tu me fais un peu peur, là…
– C’est la nature qui parle, il baisait sans génie, cela devrait être condamnable. Tu sais que 95% des femmes s’emmerdent en baisant ?
– Je connais mon Brassens…
– Pourquoi Grisoune voulait-il nous reprogrammer ?
– Pour ne pas aller pointer ! Opérationnels, on lui piquait sa place.
– Et Germaine Pranmwadoncq ?
– Elle t’obsède !
– Germaine Pranmwadoncq, pourquoi a-t-elle par la suite transformé Grisoune en Poinçonneur des Lilas ? Et nous, pourquoi nous a-t-elle placée dans sa ligne de mire ?
– Au mortier, aussi !
– Brigitte, je suis sérieux. Qui veut notre peau ?
– Roger Rabbit ?
– On gêne qui ?
Brigitte, fatiguée par le ping-pong des questions/réponses, reposa une main affectueuse sur le sexe de son ami, amant, compagnon de tuerie, pote. Gérard ne comprit pas comment son membre trouva de nouvelles ressources pour connaître une vigueur certaine.
Autre part.
Pas loin.
Une immense salle en sous-sol. Des écrans plats par dizaines à terre, aux murs. Des fils comme des spaghettis mous et multicolores. Des connexions.
De partout, des chiffres, des données étaient aspirés par les serveurs.
Ils numérisaient et codaient les infos trépidantes de la dernière semaine.
Les capteurs et mouchards avaient remplis leurs rôles à l’insu de tous ses pauvres naïfs et un peu enfoirés du Service de la Protection Intérieure du Territoire.
La première phase des collectes de données se montrait très prometteuse.
Pour un premier niveau, il y avait déjà de quoi satisfaire les gamers les plus blasés. A présent, il fallait passer au stade supérieur.
Une phase deux plus musclée encore. De l’inédit dans le domaine de la fiction que seule une authentique réalité pouvait reproduire.
Bill Slate se plaqua son smartphone sur sa joue graisseuse (des trucs d’ado attardé) et il eut le Ministre de l’Intérieur du premier coup au bout de la ligne…
– CELA T’A PLU ? (fin de mois, les piles du sonotone devaient être plates) ON Y VA ? T’ES PRET POUR LA SUITE ? OUI ? FAUDRA QUE TU T’ACCROCHES, PEPERE !
Le Ministre répondit avec répliques hautes en décibels. Bill Slate héla un assistant qui passait par là…
– Alfred, nous en sommes où avec les clones de Germaine Pranmwadoncq ?
(à suivre)