EXPLOSIF   Du tonitruant, du galop, de l’explosif, des gravats, des balles, un hélicoptère. Tout ça dans un seul chapitre de « Trappes », imaginé au jour le jour par Joël Cerutti et/ou Ludovic Dabray. Que demande le peuple? Ben, la suite pour demain…

19.

Peut-on mettre un porte-jarretelles à six attaches en-dessous d’un kilt?

Quelques minutes auparavant, une tête explosait.

Au ralenti, cela donnerait des petits lambeaux de cervelle qui tapissent et s’incrustent dans le crépi des murs. S’il y en avait. Comme les parois n’étaient plus que de souvenirs, certains morceaux retombèrent sur le sol (ou, là aussi, ce qu’il en restait) et d’autres sur Gérard. Grisoune avait eu la très mauvaise idée de se mettre entre Gérard, le HK G-3SG/1 tenu par Germaine Pranmwadoncq, et les balles sorties en rafales.

Plus besoin de vous faire des dessins et des circonvolutions verbales.

Mort.

Vous le saviez déjà.

A sa grande surprise, Gérard ne paniqua pas et s’étonna lui-même. Il mit à contribution des fractions de secondes pour sauver sa peau, ses fesses, sa tête, aaaaalllouettte… Un bureau métallique, tout retourné et cabossé par l’explosion, lui fournit un bouclier temporaire. Il eut à peine le temps de s’y planquer qu’un tam-tam de projectiles perforait le meuble. Cela secouait, vibrait, assourdissait. Gérard s’imaginait déjà réincarné en confettis ou en flocons. Puis le calme, le silence incompréhensibles, surréalistes dans le contexte des derniers instants.

Au Paradis, on porte des boules quiès ?

A côté de Germaine Pranmwadoncq, un palefrenier s’exprimait en langage fleuri et châtié. Enrayé, son HK G-3SG/1. La munition coincée dans la culasse. Elle le balança à terre, pourpre de rage, une veine du cou saillante. Que faire ? Démonter vitesse grand v son arme, c’était a/ bousiller le travail de sa manucure qui lui avait coûté un bras b/ offrir un créneau de fuite à sa cible.

De sa formation de zigouilleuse patentée et diplômée, deux options se présentaient. Les profs les plus prudents conseillaient de lâcher le morceau. Rapido. En ce moment, avec le concerto en Sirène Majeure et Gyrophares Sans Torticolis, les possibilités d’incarcération montaient en flèche. D’autres enseignants – plus baroudeurs, plus tatoués, plus couillus – incitaient à l’acharnement. «Cela sent le roussi ? Les doigts dans le nez, tu changes d’armes. Cela paie toujours ! Tes cibles ne s’y attendent pas…» Germaine Pranmwadoncq réunit les deux courants meurtriers. Elle quitta son poste, embarqua uniquement le mortier – l’embase, le tube et le bipied – et partit vers sa position de replis. Où l’attendaient quelques précieux obus de 81 mm…

La légère brise de sud-ouest de deux à trois Beaufort dissipa les volutes. Brigitte put emplir ses poumons et appeler : «Gérrrrrarrrrddddd !» Sobre, efficace, concis et audible. Gérard reconnut la voix, se dépêtra hors de son bureau abondamment sulfaté. Il signala sa présence par un «Brrrrigggittttte !» sur un registre identique. (Vous savez «sobre, efficace, concis et audible»). Il se mit à ramper, voulant offrir le moins de surface à tuer si jamais «le» foldingue reprenait du sévice (à ce stade du récit, autant Brigitte que Gérard ignorent qu’ils subissent les foudres de la sociopathe blonde Germaine Pranmwadoncq). Une main saisit son avant-bras, il fut hissé à la hauteur d’incandescents yeux violets. Un trouble flottement marqua leurs retrouvailles.

– Tu ne dis surtout rien… parce que tu vas dire une connerie ! murmura, très troublée, Brigitte.

– Si tu pouvais en faire de même… répondit Gérard.

Il s’aperçut qu’il salopait le chemisier porté par Brigitte avec quelques bouts rosâtres made in Grisoune. Il se tut, ne voulant pas gâcher le romantisme débridé de ce tableau.

Quelqu’un d’autre s’en chargea (ou déchargea). Germaine Pranmwadoncq entamait une seconde symphonie aux obus de 81 millimètres.

Galop. Fuite.

Ne plus être des pigeons d’argile humains. Brigitte et Gérard cherchaient à s’échapper d’un labyrinthe dont le tracé s’atomisait devant ou derrière eux. Ce numéro de «Chantons sous la pluie d’obus» s’interrompit avec le vrombissement d’un hélicoptère. Au jugé, Gérard identifia un Tigre, modèle UHT (UnterstützungsHubschrauber Tiger) et se demanda bien comment il avait ce genre de connerie militaire dans la caboche. L’approche du Tigre fut suivie par la mélopée guerrière d’une mitrailleuse expurgeant des pruneaux de 12,7 mm. Cette purge calma derechef Germaine Pranmwadoncq, du moins son mortier qui se mit aux abonnés absents.

Temps mort.

Au mépris de toute consigne de sécurité, Brigitte et Gérard s’engouffrèrent dans un ascenseur opérationnel. Par miracle. Il les mena au plus bas qu’il put, à savoir le sous-sol et le hall d’entrée du Service de la Protection Intérieure du Territoire. Ils en sortirent crottés de gravats et de poussière, les habits déchirés, hirsutes et à quatre pattes… Au ras du sol marbré, trois paires de souliers noirs, trop cirés, les attendaient. Des décalques de Grisoune, plus jeunes. Ils aidèrent Brigitte et Gérard à se remettre d’aplomb.

– Des survivants ? Aux étages ? attaqua aussi sec l’un d’entre eux sans autre préliminaire.

– J’ai des doutes… répliqua Brigitte.

– Alors il nous faut activer le protocole d’urgence, mettre en fonction la nouvelle cellule de direction.

– En quoi cela nous concerne ? s’inquiéta Gérard.

– Parce que c’est vous. Vous deux…

(à suivre)

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