FEMME DE TETES   Il y a des femmes qui vous tournent la tête. Il y a des femmes, criminelles professionnelles, qui vous l’enlèvent. Choisissez votre camp dans « Trappes », le roman-feuilleton de Ludovic Dabray et/ou Joël Cerutti qui s’emballe de jour en jour.

18.

Ce mercredi matin, un écureuil sur le toit du jardin m’a fait un signe de la main.

Dans le couloir, les sons et les ondes de la déflagration s’étaient répercutés de mur en mur, de vitres en vitres. Brigitte, pourtant concentrée sur son action de fuite, en éprouva quand même un sursaut d’effroi. Surtout lorsqu’elle aperçut une porte éventrée au bout du couloir et un nuage de poussière plâtreuse dont les volutes étaient transportées par un courant d’air provoqué par la démolition d’une épaisse cloison, œuvre de la Dame Pranmwadoncq.

Ce choc éveilla chez Brigitte comme une résurgence de souvenirs. Il se déclencha dans son esprit la suite de la mutation qui avait débuté quelques minutes plus tôt et qui avait valu à son gardien de se faire démonter en pièces détachées, prêtes à ranger dans les bocaux d’une banque d’organes.

Ce bruit d’explosion, elle le connaissait. Elle l’avait déjà entendu, ressenti. Elle l’avait déjà goûté, dégusté. Sa chair devait en porter des séquelles, même si habilement restaurée par les doigts d’un génie de la chirurgie esthétique.

Le docteur de Bonnefontaine était passé par là. Lui qui, derrière une modeste façade de généraliste, était le médecin officiel du Service de la Protection Intérieure du Territoire. Il en avait ravaudé des gueules, il en avait colmaté des brèches ventrales, il en avait consolidé des membres arrachés.

Mais cette explosion. Et puis ces tirs au gros calibre.

Elle pensa immédiatement à Gérard qui devait être retenu dans un local pour interrogatoire. Et cette porte en lambeau s’ouvrait sur ce genre de lieu prompt aux confidences, plus ou moins volontaires.

Brigitte se souvint avoir déjà opéré à de nombreuses reprises avec cet agent qui portait à la ville le nom de Gérard Pierlot. Ils avaient joué leurs peaux sur les «chantiers» de la protection intérieure.

Des missions à haut risque dont ils avaient souvent échappé grâce à la promptitude des réflexes physiques et intellectuels de chacun.

Mais aujourd’hui, ce n’était pas à son collègue de travail que Brigitte pensait, c’était à l’homme qu’elle avait étreint, à cet homme dont elle avait goûté les lèvres, dont elle avait envisagé le corps, dont elle avait pétri le sexe turgescent.

Cet homme, elle l’aimait. Elle aimait enfin. Cet Olivier Vaucresson n’avait été qu’une relation de façade. Un homme-meuble. Juste bon à masquer la vie reformatée de Brigitte. Un piètre amant, un mauvais mari. Elle eut le temps, malgré l’action en cours, de se dire qu’il faudrait, un jour, qu’elle le tue, pour en être débarrassée. Ignorant que l’essentiel du travail avait été fait.

Gérard !

Brigitte avait reconnu les bruits caractéristiques des opérations menées par la Pranmwadoncq, une saleté qui était aux services « secrets » ce que Cruella d’Enfer était aux 101 Dalmatiens. Une crapule que personne n’avait éradiquée jusque-là. Brigitte l’ajouta mentalement à la liste des «choses» à faire dans un proche avenir : flinguer cette dingue.

Elle se précipite vers l’origine des bruits explosifs. Croise le nuage de plâtre. La lumière, un temps obscurcie, point à nouveau, blanchâtre, laiteuse.

Les premiers débris jonchaient le sol. Elle venait pratiquement de se tordre le pied en marchant sur une des deux charnières de la porte, propulsée au beau milieu du couloir.

Elle parvint enfin à l’entrée du bureau devenu un immense puzzle. Tout y est en pièces. Un boulot décennal pour l’expert qui aurait été, éventuellement, chargé de reconstituer le lieu dans son état originel.

Elle reconnût sans peine la tête de Grisoune, posée négligemment sur la moquette. Le fameux Grisoune, emplâtré, n’avait jamais aussi bien porté son nom. Il était gris. Il était surtout mort ! Jamais une tête ne peut survivre à la désolidarisation avec son corps. C’est ainsi. La nature est bien faite. Là, il était sorti du rayon de compétence de Bonnefontaine. Un individu, ça ne peut pas se diviser !

Le pied droit de Brigitte bute (c’était la journée !) sur un corps.

Gérard ?

Non, c’est l’autre partie de Grisoune, bien reconnaissable parce qu’il lui manquait la tête.

– Seulement en deux morceaux, pense Brigitte, elle vieillit la Cruella !

Les plafonds avaient évidemment suivi les effets de la déflagration. Ce que Brigitte aperçevait au-dessus d’elle, c’était une partie du plafond de la pièce qui se trouvait à l’étage supérieur.

Là-bas, vers l’ouest, le soleil couchant, libéré par le mur abattu, donnait une atmosphère chaleureuse, dans les ocres, à ce capharnaüm.

Elle chercha Gérard au milieu des gravats. Il y avait encore de la poussière en suspension dans l’air qui était brassé par une jolie brise de sud-ouest de deux à trois Beaufort. Une belle fin de journée, en somme.

Les bruits de la ville parvenaient, diffus, mais prouvaient s’il en était besoin (et il en était besoin) que l’incident était localisé et qu’il ne s’agissait pas encore de la fin du monde !

Des sirènes se rapprochèrent. L’intervention des pompiers était imminente. Il fallait fuir. Mais pas sans Gérard s’il était toujours vivant. Ces bureaux du Service de la Protection Intérieure du Territoire étaient grillés. Il faudrait aller protéger ailleurs.

Mais où était donc Ornicar ?

(à suivre…)

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