LECTURE GUIDEE « TRAPPES » entre dans sa quatrième semaine… Ce lundi 11 avril 2016, le roman-feuilleton de Ludovic Dabray et/ou Joël Cerutti vous détaille quelques inconvénients autour du GPS. Ne jamais se fier aux machines, jamais!!!!!
16.
Viens sur mon cœur, âme cruelle sourde, tigre adoré, monstre aux airs indolents.
La vie limpide d’Olivier Vaucresson, à part quelques coups de canif dans ses promesses conjugales, prenait une tournure qu’il est permis de qualifier de merdique.
Le braquage de son horlogerie lui avait secoué le moral. Comment en serait-il d’ailleurs autrement ? Quatre personnes abattues froidement par une braqueuse opérant seule qui ne s’était même pas servie dans les pièces exposées sur les différents comptoirs.
Deux de ses employées faisaient partie des victimes. La demoiselle Procule, morte vierge et martyr et Angèle Desmiches aux seins de laquelle il était arrivé à Olivier de se vouer.
Il était aussi sans nouvelles de Brigitte. Le surlendemain du quadruple assassinat, il ne s’agissait que de « ça », puisqu’il n’y avait pas eu vol. Le surlendemain donc de cette tuerie, Olivier Vaucresson s’était rendu au commissariat central pour signaler la disparition de Brigitte.
Il eut beau supplier, hausser le ton, argumenter, plaider, crier, pleurer, implorer, prier, se taire, repartir, se décourager, remettre le métier sur l’ouvrage, invoquer Saint Éloi, le patron des horlogers (évêque de Noyon, il n’était même pas suisse !), flamanquer des pieds, se décapilariser, être grossier, poli, calme, violent, agressif, indulgent, rien n’y fit… Le brigadier Carrare, le bien nommé, demeura marmoréen.
– Monsieur Vaucresson, ad libituma-t-il, je ne peux pas acter la disparition de votre femme. Celle-ci est majeure et elle a le droit de disposer d’elle-même.
Vaucresson laissa choir. Il s’en fut du commissariat pour regagner sa berline teutonne sur laquelle il n’avait pas pris garde d’apposer le ticket de stationnement adéquat. Il s’empara de la petite pochette en plastique contenant le montant de l’amende à payer sous quinzaine en prenant pratiquement la chose comme une bonne et belle nouvelle.
Il ouvrit la porte, s’assit à son volant, mit machine-allemand (c’était une Mercedes) le moteur en route, quasiment surpris que celui-ci n’explose pas, libéra le frein de parking, passa la première et appliquant le principe des vases communicants à la pédale d’embrayage et à l’accélérateur engagea prudemment son véhicule hors de son stationnement.
– Prenez à gauche, rue du Socialisme Libéral, lui dit la voix de son GPS.
– Qu’est-ce qu’elle raconte ? pensa-t-il en tournant à droite. Je ne lui ai rien demandé.
– Faites demi-tour !
Le GPS ne pouvait être éteint, il s’allumait à la mise en marche du véhicule. Olivier pouvait, au mieux, supprimer le parcours programmé. Mais il n’avait pas programmé de parcours !
– Faites demi-tour !
Il connaissait le chemin pour rentrer chez lui, pas besoin de cette voix suave qui promettait tant et ne tenait rien.
– Au rond-point, prenez la quatrième sortie, Boulevard du Lieutenant-Colonel Philippe-Eusèbe de la Batellerie de l’Orénoque Occidental (1732-1954).
Vaucresson alla tout droit, et la madame enchaîna avec son habituel :
– Faites demi-tour !
– Elle m’emmerde !
Il arrêta sa BMW (on ne sait jamais, merci à nos mécènes) le long du trottoir. Tenta de reprendre la main sur cette abomination. Mais l’écran tactile ne répondait plus à ses injonctions. Il coupa le contact de son Audi (merci à eux aussi). Le GPS s’éteignit.
– Enfin, un truc qui se passe comme prévu, se rassura-t-il.
Il remit le moteur en route espérant bien que cette folle allait entendre raison.
– Faites demi-tour !
Une dernière tentative destinée à museler cette dingue se solda par un échec. Vaucresson décida de ne plus lutter.
– Faites demi-tour !
Puis quelques mètres plus loin.
– Au rond-point, prenez la quatrième sortie, Boulevard du Lieutenant-Colonel Philippe-Eusèbe de la Batellerie de l’Orénoque Occidental.
C’est ce qu’il fit. Juste pour ne plus entendre sa compagne de voyage lui intimer l’ordre de faire demi-tour.
Dans un premier temps, il imagina qu’elle avait raison. Qu’il devait y avoir sur le chemin normal pour rentrer chez lui un obstacle à la circulation et que la doucereuse, en connaissance de cause, lui indiquait un itinéraire bis.
Au bout du boulevard, la voix, maintenant apaisée, lui conseilla de :
– Tournez à droite, dans la rue du Quai.
Cette voix commençait à le fasciner. Il savait qu’elle était de synthèse et que personne n’avait pris le temps d’énoncer toutes les artères du monde. Mais il était sous sa coupe.
Les derniers évènements avaient totalement déstabilisé cet être si sûr de lui, tellement convaincu que sa ligne de vie était la bonne et qu’il n’avait aucune raison de prendre une correspondance.
Cette voix était rassurante, finalement. Il ne devait plus penser à la conduite à tenir. Juste suivre La Voix.
– Tournez à gauche, dans l’impasse de la Mondialisation.
C’est ce qu’il fit. Se trouvant au bout de deux cents mètres face au mur d’enceinte de la Maternité Françoise Dolto. Un autre véhicule, dont le GPS était probablement aussi devenu fou, vint constituer embouteillage.
Deux hommes en descendirent.
Olivier Vaucresson, suggéré comme nous le serions tous par deux calibres de cette taille, s’extirpa de sa voiture.
Les deux hommes le descendirent.
(à suivre…)