BULLES Une tueuse à gages givrée, un ministre sourdingue, des virus qui vous libèrent de vos inhibitions, elle est pas belle la vie de TRAPPES? Aussi pétillante que des bulles de champagne lorsqu’on trinque aux délires… Une cuvée signée Joël Cerutti ou Ludovic Dabray.
15.
Une sonnerie. Une autre sonnerie qui enchaîne. Une autre autre sonnerie qui suit. Les oreilles du commissaire Lasoupe s’échauffaient. Dans sa tête, il avait déjà préparé son laïus pour le Ministre de l’Intérieur. A la vision de Grisoune sur l’écran, il avait supputé certains liens avec le carnage de la bijouterie (dans le jargon secret de ce métier fort discret, on baptisait ça une «neutralisation», ce qui équivalait à une brutale extrême onction).
Grisoune, ponte du Service de la Protection Intérieure du Territoire, n’était pas réputé pour la douceur de ses interventions. S’il laissait quelqu’un sur le bas côté de la route, il avait souvent avalé son extrait de naissance. Sans compter des trucs bien plus glauques qu’on pouvait fourrer dans la bouche d’un cadavre… Une autre autre autre sonnerie dans le vide. Le Ministre souffrait de surdité et portait des prothèses auditives. Ses proches savaient qu’ils devaient insister en cas de piles défectueuses du sonotone. Le regard de Lasoupe se porta sur un autre écran. Celui qui diffusait des images de surveillance, celles de la bijouterie d’Olivier Vaucresson, supposé cocu devant l’Eternel, ce qui permet d’afficher des cornes à l’infini.
Pingre, Olivier utilisait une installation désuète. Le disque dur, contenant les images, avait montré des signes de faiblesse et le service informatique avait sauvé in extremis ce qui pouvait encore l’être. Lasoupe se figea. Sans aucunement se cacher, même pas avec un bas ou un passe-montagne sur la tête, la meurtrière entrait dans la bijouterie. Elle sortait son calibre – un gros machin avec baballes à charge creuse – défouraillait dans le tas des rombières. Elle rengainait son arme et adressait un coucou à la caméra, genre Reine Mère d’Angleterre, le poignet qui pivote. Lasoupe l’avait déjà reconnue depuis plusieurs secondes. Putain ! La tueuse alignait les identités d’emprunt. Avec des noms souvent à coucher dehors. Comme Madame Pranmwadoncq… Germaine Pranmwadoncq.
Lasoupe raccrocha avec fracas au nez aux joues imberbes de son Ministre. L’éminent politicien sourdingue bramait des «Allllôô ? Alllôô ?» dans le cornet du récepteur. Avec Grisoune, le commissaire Lasoupe savait qu’il avait posé ses semelles sur une crotte nauséeuse. L’arrivée de Germaine Pranmwadoncq ressemblait, pour lui, à un bain en pleine fosse sceptique. Cette tarée dans l’équation lui promettait des putains de dérives…
Au sortir de chez Antoine de Bonnefontaine, Germaine Pranmwadoncq prit dans son sac à main un carnet. Sur la couverture de toile rose, on pouvait voir le joli minois de la chatte Hello Kitty. Le nom du médecin figurait au sommet d’une page, ainsi que la date où une cliente avait pris contact avec Germaine. Des notes indiquaient en vrac, «quickie», «sale con», «laissée tomber comme une merde», «Enfoiré», «Buter ce salaud», «Ejaculateur précoce»… Germaine s’était glissée dans la clientèle du médecin, observé la bête, puis exécuté la tâche de son contrat. A côté du nom d’ «Antoine de Bonnefontaine», à l’encre violette, Germaine ajouta une coche. Boulot terminé.
Brigitte assimilait infos sur infos, révélations sur révélations, chocs sur chocs. En quelques minutes, apprendre qu’elle pouvait avoir été une agente du Service de la Protection Intérieure du Territoire. Le doute l’habitait en fonction de la crédibilité de la source première d’info. Il n’en restait pas moins qu’il y avait du mou dans le manche. Brigitte ne trouva rien de mieux à émettre que :
– Euh oui… Et à part ça ?
– A part ça ? répliqua in petto son vis à vis. Je pense qu’il serait judicieux, sous peine de nouveaux déboires, d’à nouveau vous formater.
Gérard assimilait infos sur infos, révélations sur révélations, chocs sur chocs (c’est beau, hein, la synchronicité des destins ?). Ses déboires de langues et de pensées délurées viendraient de glandes salivaires ? Une contamination – pour l’instant sans coït – dont il serait la victime à son verbiage défendant ? Que dire ?
– Gnon, je ne vous crois pas!
– Vous devriez, Monsieur Pierlot.
– Et à part ça ? La suite des opérations ?
– A part ça ? répliqua in petto son vis à vis. Je pense qu’il serait judicieux, sous peine de nouveaux déboires, de vous formater…
Germaine Pranmwadoncq avait des rites. Après un travail rondement accompli, elle s’accordait un petit moment festif. Elle commandait un super kir, mélange de champagne et de liqueur d’abricot. Avec un léger agacement, elle entendit son smartphone vibrer. Irritée, elle secoua ses mèches blondes, nettoya les verres de ses lunettes, reprit trois gorgées de son cocktail. Elle n’avait pas la tête aux affaires. La curiosité prit le relais de son apathie. Elle ouvrit les fichiers qui lui étaient parvenus sur son mail. Celui-ci comportait trois pièces jointes. Des photos en jpeg, basse résolution. Assez nets, les clichés, pour y reconnaître ses prochaines cibles. Elle y reconnut les visages de Brigitte, Gérard et Grisoune. Un mot accompagnait ces trois portraits : «Eradiquer!»
(à suivre…)