ET PENDANT CE TEMPS-LA   Mine de rien (ou gisement épuisé), un personnage secondaire mais assez tonitruant se pointe dans ce 14 de bon aloi. Avec un nom à coucher dehors, ce qui tombe bien, il se balade à l’air libre. On vous dit ça mais c’est à Ludovic Dabray ou Joël Cerutti d’étayer…

14.

Ce n’est pas la première fois, mais ça risque de se reproduire.

La réputation du Docteur Antoine de Bonnefontaine (avec un petit « de ») s’était faite au fil des ans et sa patientèle (néologisme qui laisse entrevoir qu’un patient est avant tout un client, ce qui est le cas) devait prendre rendez-vous des jours à l’avance pour guérir des tracas de la vie. Quand ils arrivaient face au praticien, celui-ci opérait des miracles, liés au fait que la maladie s’était éteinte d’elle-même.

Mais les patients se présentaient quand même, parce que le montant de la consultation était payable à la réservation, comme pour le prochain concert des « Bûches Ardentes », le groupe à la mode ! Et même si de Bonnefontaine n’avait plus rien à soigner, la fréquentation de son office faisait partie des pratiques du snobisme ambiant.

Le médecin était immensément riche et infiniment pingre ! Sa fortune était alimentée par ses rendez-vous échelonnés au quart d’heure, mais il n’avait pas plus de vices avérés que de vertus idéologiques. On le savait célibataire, onques il n’eut de maîtresse régulière.

Il fréquentait peu les salons huppés, ne faisait partie d’aucun « service-club ».

Certaines prétendaient qu’il s’offrait parfois un «quickie» avec une patiente, à des fins thérapeutiques. Les gens sont médisants.

Toute la ville le connaissait et chacun se devait de rencontrer au moins une fois dans sa vie le fameux Docteur de Bonnefontaine.

C’était un hypergénéraliste. Il s’occupait de toutes les maladies avec le même bonheur, sans oublier celui de son compte en banque !

Ce matin, dans la salle d’attente, deux personnes y faisait ce que nous faisons tous dans une salle d’attente… elles… « attendaient », bravo ! Vous aussi, n’est-ce pas ?

Au-dessus de la cheminée trônait un énorme coucou hérité d’un oncle qui avait fait fortune en Helvétie avant d’avaler son extrait de naissance et une bonne rasade de l’eau du lac du Bourget en tentant de traverser le susdit en pédalo un jour de verglas.

Chaque quart d’heure, le stupide animal éructait en franchissant la porte de son antre. C’était le signal pour le patient suivant. Celui-ci se levait, quittait la salle d’attente devenue, pour lui, salle tout court et se dirigeait vers la porte intitulée « Cabinet », ce qui la différenciait de sa voisine placardée du mot « Cabinets », le « s » final marquant la distinction entre le lieu de soins et celui d’aisance.

Dix heures trois-quarts le long méridien en cours, le coucou coucoussa (au pluriel, «les coucous couscoussièrent»). Madame Pranmwadoncq procéda selon le cérémonial habituel. Elle s’annonça à la porte du cabinet. Ouvrit et découvrit le docteur Bonnefontaine assis à son bureau. Rien ne le distinguait du docte homme qu’elle avait rencontré la dernière fois.

La même blouse blanche, les sempiternelles lunettes à grosse monture (ménagée pour voyager loin), un ébouriffage de cheveux au sommet du crâne, une moustache délaissée, une barbe négligée, une pipe refroidie.

– Pourquoi me dites-vous que je suis moche, docteur ?

– Je ne vous ai rien dit, bonjour Madame Pranmwadoncq, asseyez-vous, je vous en prie, qu’est-ce qui vous amène ?

– Contrairement à ce que vous semblez insinuer, je ne suis pas psychologiquement atteinte et dans la bouche d’un docteur, le terme de « folle » peut être blessant.

– Je n’insinue rien. Vous avez un problème, nous sommes là pour le résoudre ensemble.

– Je me doutais bien que vous me donniez des pilules placebo à vos patients. Mais pourquoi l’avouez-vous seulement aujourd’hui ?

Bonnefontaine avait l’impression de jouer un extrait des fameuses chaises de cher Eugène. Un dialogue sans queue ni tête. Il tentait de rectifier l’avancée de celui-ci, mais Madame Pranmwadoncq semblait être devenue voyante extralucide et lire dans ses pensées comme dans un livre ouvert.

Il eut la conscience que quelque chose ne tournait pas rond. Il imagina une échappatoire.

– Si je vous comprends bien, vous voulez que nous nous revoyions une autre fois, s’enquit la patiente. Mais je ne vais pas devoir attendre quinze jours pour avoir un rendez-vous ?

– Non, nous allons en fixer un nouveau tout de suite. Et vous n’aurez pas à le payer.

– Je sais bien que ça vous pose problème les consultations à l’œil, mais c’est votre faute aussi !

Le docteur parvint à abréger l’entrevue.

À onze heures, le coucou, cet imbécile, y alla de sa symphonie. Le patient suivant prit congé de son prochain, quitta la salle d’attente, se rendit au cabinet, ouvrit la porte et trouva le Docteur de Bonnefontaine affalé, inanimé, dans sa chaise de bureau. Sa pipe, heureusement éteinte, lui avait échappé de la bouche et s’était arrêtée dans le corsage constitué par sa blouse, le solde de tabac créant une bavure noire sur le tissu blanc.

Le malade se transforma en infirmier, prit le pouls du docteur et lui rendit immédiatement, il lui en restait tellement peu. Il appela les secours.

Une ambulance vint prestement emporter Antoine de Bonnefontaine.

Dans la salle d’attente, le coucou sonna onze heures et quinze minutes. Le patient suivant se lèva, quitta le local, et pénètra dans un cabinet vide !

(à suivre…)

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