ET PENDANT CE TEMPS-LA… Nos deux héros cumulent les sales quart d’heure d’interrogatoires… Pendant ce temps-là, un autre protagoniste subit quelques contrariétés dans son commerce. Qui? C’est le moment de vous brancher sur « Trappes », le roman feuilleton imaginé tour à tour par Ludovic Dabray et Joël Cerutti pour PJI.

12.

L’escalator est au tapis roulant ce que le funiculaire est à l’ascenseur.

Inventaire à la mémoire de ce brave Jacques Prévert : une dizaine de voitures de police de toutes les tailles, de toutes les marques, de toutes les couleurs et de toutes les formes garnissaient la rue du Général Peureux (1914-1918). À la vue de tous ces véhicules, le citoyen de base pouvait se demander si une certaine harmonisation ne serait pas la bienvenue au niveau des achats.

Sur les façades des immeubles avoisinants, en cette fin de journée, alors que le soleil tentait de se mettre au lit, les feux bleus de tout ce petit monde policier venaient d’interpréter un son et lumière de toute beauté.

Lorsque le son s’arrêta, les lumières incitèrent les intervenants à un rappel et trois ambulances se joignirent au dispositif pour un bis moins éclatant, mais de bonne facture.

Rapidement, les badauds se mirent à bader. Le premier rang était constitué de celles et ceux qui en cette heure tardive s’empressaient de faire leurs dernières emplettes avant la fermeture des commerces qui bordaient cette rue achalandée. Ils ont été interrompus dans leur fièvre acheteuse par un mince cordon policier rapidement remplacé par une ligne de rubalise bleue lancée à la hâte.

Derrière ce premier rang sont venus s’agglutiner les curieux toujours impatients de savoir s’il n’y avait pas une dernière balle perdue à prendre. Mais rien de tout cela, le temps de l’action était déjà terminé et comme rien n’était visible depuis et sur la voie publique, les spectateurs ne décollaient pas, certains qu’ils allaient comprendre, très bientôt, la raison de leur présence.

Vox populi se demandaient s’il y avait des morts, des blessés. Vox Dei resta muet, comme d’habitude.

La fonction élastique des deux traits de ruban plastique bleu tirés en travers de la chaussée était mise à rude épreuve. La pression de la rue s’exerçait en direction du danger, adrénaline à peu de frais.

Les portes arrière des ambulances étaient béantes, comme un boulimique qui attendrait son steak… haché. Les civières étaient déployées sur l’asphalte, promptes à rouler vers un corps meurtri. Mais depuis un certain temps, les infirmiers discutaient du dernier match de football, du prix de l’essence, des oreillons du capitaine ou de la vasectomie de leur collègue Dumanche.

Peu à peu, les vitrines voisines s’éteignaient laissant à l’éclairage public et aux gyrophares des véhicules d’intervention le soin d’illuminer la rue. Le personnel de ces boutiques tentait de regagner ses foyers en se pratiquant péniblement un passage au milieu de la foule dérangée par cette immixtion dans leur voyeurisme fébrile.

Quatre vitrines demeuraient cependant allumées a giorno, c’était celles du commerce sis au 84 de cette artère piétonnière.

À présent, on devait compter un bon demi-millier de spectateurs, gratuits, comme quoi, on ferait payer les vautours des faits divers urbains, les caisses de l’État se porteraient rapidement mieux. Mais ce n’était pas le cas et ils étaient plus de cinq cents d’après les organisateurs et une dizaine selon la police.

Parlons-en de la police. Ça courait, ça hurlait, ça s’exclamait, ça diligentait, ça interpellait, ça mesurait, ça balisait, ça repérait, ça la faire… Ou plutôt : sale affaire. Il n’y avait pas de blessés, d’où l’incompétence des ambulances, mais il y avait quatre morts. Il y avait même quatre mortes : Angèle Desmiches, une quadragénaire nichonnée en avait pris une dans l’airbag gauche, la demoiselle Procule, sexagénaire à n’en plus pouvoir, avait étalé son savoir sur le mur en crépis auquel elle tournait le dos, une jolie cliente avait taché son beau manteau en poils de zébu écru avec le jus de raisin qui lui était descendu du nez qu’elle avait mignon il y avait encore une heure de ça et une vieille rombière (pléonasme) était morte d’un digne effroi sans faire couler la moindre goutte d’hémoglobine.

Ces quatre dames étaient couchées par terre dans des positions inattendues pour bien signifier à ceux qui se portaient à leur secours qu’elles étaient mortes, comme si cet état pouvait présenter le moindre intérêt pour qui que ce soit, sinon pour leurs héritiers.

Au milieu de ce tohu-bohu, la forte silhouette du commissaire Lasoupe trônait comme un muezzin au sommet de son minaret préféré. Il n’avait pas besoin d’ordonner, ses hommes le connaissaient par cœur et savaient pertinemment ce qu’il attendait d’eux.

Pour le moment, ils faisaient le tour des trous de balle. Visiblement, l’attaque n’avait pas été menée à la légère et c’était un miracle que seules trois victimes aient succombé aux tirs nourris.

Parmi la foule, un homme tentait de se frayer un passage. Mais qui était-il pour se permettre de fendre le peuple de celles et ceux qui étaient arrivés bien avant lui ? Qui était-il pour s’autoriser à enjamber le cordon de sécurité, non sans se prendre le pied gauche dedans ? Qui était-il pour déranger ainsi le premier officier de police qu’il rencontrait ? Qui était-il ?

Il était Olivier Vaucresson, le propriétaire de la bijouterie sise au 84 du Boulevard Peureux, il en avait même oublié sa légitime.

(à suivre…)

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