DES ACTES ET UN DÉCÈS   L’hebdomadaire L’Hebdo, version 2017, ressemble-t-il à un journal de journalistes ? A-t-il été réalisé avec du cœur, une âme, des tripes, une réelle conviction ? N’est-il pas devenu un produit sans saveur, conçu par une direction dont les responsables n’ont jamais pondu une seule ligne ? La réponse se niche dans toutes ces questions. Et la suite ne me fera pas des copains…

Aux portes de midi, ce 23 janvier 2017, les responsables de Ringier ont cessé de maintenir L’Hebdo sous tente à oxygène. Dans le milieu, cela faisait des mois qu’on le savait moribond, rongé par les métastases du désintérêt des annonceurs et du lectorat. Par respect envers les services rendus à la cause médiatique, ce soir, j’ai été me recueillir sur la future dépouille du défunt imprimé. Avant que l’on ne referme le couvercle du cercueil le 2 février, date de la mort définitive et annoncée.

Ne prends pas mal ce qui suit, car, évidemment, je plains les orphelins que laisse le cadavre de L’Hebdo. Le mot « dépouille » définit ce que j’ai ressenti lorsque j’ai eu le numéro en kiosques entre mes mains. Rien de ce qui défilait devant mes yeux ne me parlait, m’interpellait, éveillait un intérêt. Le monde tel que décrit dans cet Hebdo n’est pas le mien, celui de mon quotidien, de ma vie, des mes intérêts, des conversations entendues dans les bistrots, dans les transports en commun. Je tentais de lire un produit calibré par un éditeur qui servait la soupe à une clientèle urbaine, issue du secteur tertiaire, dans la quarantaine active, le profil à finir dans le «Forum des 100». Ben oui, ce parti pris commercial se réalise SANS le reste du lectorat.

Ne me dis pas que ce que j’ai survolé ce 23 janvier s’avère un journal réellement pétri par des convictions de journaliste ! C’est un ersatz qui se situe à l’intersection entre PME Magazine et Le Temps et qui a su creuser sa tombe et plus sa place. Si l’on exclut l’aura du passé glorieux qui nimbe cette publication, de quel véritable ADN se compose à présent L’Hebdo ? A-t-il essayé d’autres approches dans l’investigation, plutôt que de céder ce terrain au Temps ? S’est-il adonné à des explorations surprenantes d’un métier en pleine révolution ? Lui a-t-on donné les moyens et assez de collaborateurs pour garantir ces ambitions ? Face à un sommaire formaté, j’ai des doutes et ils m’habitent fortement. J’ai été gavé par un vrai gloubi-boulga rédactionnel qui manque de moutarde et surtout, surtout, surtout d’audace. À force de vouloir se situer au-dessus d’une certaine mêlée, L’Hebdo a fini sous terre. A trop vouloir servir les éternels mêmes nantis, le magazine finit pauvrement sa trajectoire.

Pourquoi ? Le syndrôme se perpétue partout. Dès le moment où les commandes sont cédées à un éditeur qui satisfait au mieux les annonceurs, le final rate ses lecteurs. Les lignes de forces sont déléguées à des études qui s’intéressent bien plus à l’emplacement des pubs qu’à la qualité des articles. L’essentiel s’oublie, on prétend connaître son public alors qu’on est à côté de la plaque. Et quand il n’y a plus assez de pubs, les magazines ont perdu leur lectorat en cours de route… Pourtant, en son for intérieur, le rédacteur en chef lambda sait que les donnes ont changé. Depuis plus d’une décennie, le journalisme classique péclote. Tout ce qui fonctionne se situe hors logique des copy-tests, des business plans et stratégies marketing à la noix. Ce qui marche, c’est ce qui ne devrait pas ! Ce qui séduit, ce sont les médias qui ont osé casser les codes et qui font preuve d’une réelle ardeur. Lorsqu’on devient eunuque de la pensée, on a beau se dire « Bon pour la tête », les ventes finissent par castrer les bourses.

Aux sinistrés de L’Hebdo, la trentaine de personnes qui finissent sur le carreau par manque de vision des hautes sphères, ma plus confraternelle compassion. J’en garde un stock pour ce qui se prépare au Temps car, désolé, les grosses pattes de l’éditeur s’anticipent de loin. Votre deuil terminé, dites-vous que votre métier ne s’exerce pas autour d’une putain de newsdesk/newsroom à la con. Rêvez-le en renouant avec le réel. Allez-y ! Faites-le hors passage clouté, reprenez des risques de rebelles, réalisez un canard avec de vraies plumes indépendantes! Certains n’auront pas le choix. Passé la cinquantaine, plus aucun journal ne cotisera à votre 2e pilier ! Vous tirerez le diable par la queue – j’en sais quelque chose – par contre, votre job sera turgescent du clavier ! Quand on ne simule pas le plaisir, il sait se transmettre. Tiens, cela devait sans doute être les ambitions de Jacques Pillet avec L’Hebdo de 1981.

Joël Cerutti

Une réponse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *