Dans sa dernière chanson (« Saperlipopette »), Richard Gotainer pointe l’appauvrissement du vocabulaire en matière de grossièreté ou d’insultes. Réagissons et engueulons-nous à nouveau avec panache, bordel !

Jadis, lorsque fusaient les invectives, les noms d’oiseaux affichaient un plumage coloré. Car il existe des milliards de variantes dans l’art sublime de traiter l’autre de con. Cette finesse jubilatoire, par ma foi, s’appauvrit. Les cruches qui devraient être pleines de fluides jurons se cassent avant d’arriver à la fontaine de la connaissance des mots orduriers.

Comme le relève le septuagénaire Zazou Richard Gotainer : « La grossièreté, bordel, est joliment vulgaire mais elle perd son label lorsqu’elle est ordinaire. Une insulte élégante peut fleurir le crottin mais pas la boule puante larguée à la bourrin. »

Aujourd’hui, la tronçonneuse remplace le fleuret. Une partie de la culpabilité nous incombe à nous autres, plumitifs du quotidien.

Selon les règles journalistiques en vigueur, je t’ai déjà perdu depuis le début de ce billet d’humeur.

Dès la première phrase, tu as décroché. Avec des mots comme « fuser », « invectives », « plumage », ton cerveau a zappé. La pratique normale (j’ai failli déraper vers « usuelle ») aurait voulu que je commence ainsi : « Chez les vieux, on savait s’engueuler avec des mots plus compliqués. Ils avaient le vocabulaire pour se traiter de cons. Maintenant, avec les abrutis des réseaux sociaux, cela s’est appauvri. »

Ah pour sûr, tu n’aurais peut-être pas tilté de l’entendement… Mais, vois-tu, à force d’être dans la facilité convenue, personne ne rend service à ta matière grise. Qui se transmue en une grosse feignasse du vocabulaire. Comme le sport ou le sexe, sans pratique, les muscles s’avachissent.

Il existe 60 000 entrées dans le Petit Robert  (qui est un dictionnaire et pas la moitié d’un décolleté peu fourni). Dans ton quotidien, tu manies entre 300 et 3 000 mots au stade adulte, 6 000 si tu entres dans la catégorie cultivée et 12 000 si tu t’appelles Maupassant. À portée de tes lèvres pousse une forêt vierge que tu laisses en jachère. Rougis de honte, atrophié de la syntaxe ! Châtie-toi, amnésique volontaire et consentant de la diatribe !

Depuis des mois, mon canton adoré et valaisan s’étripe autour des Jeux Olympiques. Autant écrire que le propos vole souvent en dessous des racines de marguerite. Aucune réelle originalité ne pousse, hormis celle du sociologue Gabriel Bender avec son petit livre « Fioul sentimental » dont le titre indique qu’il carbure à plus de trouvailles…

Le 10 juin, après le résultat des votations, l’humoriste Frédéric Recrosio convie les antagonistes des JO à un apéro gratuit qui réconciliera les deux camps. Et là, sur le Grand Pont de Sion, l’ivresse distillera une excuse provisoire à un vocabulaire de lilliputien, moi, je dis.

Joël Cerutti

PS : Comme la situation est grave mais jamais désespérée (c’est ce que je dis à chaque début de mois lors des paiements), Richard Gotainer peut t’aider en deux autres chansons à muscler tes insultes.

Tiré de l’album « Contes de traviole » (1979)

Tiré de l’album « Chants zazous » (1982)

http://www.gotainer.com/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *