ESPRIT ES-TU LA? Des millions de Charlie Hebdo qui s’arrachent en quelques heures le 14 janvier 2015. Dans les années 80, plus personne ne faisait la queue dans les kiosque pour acheter ce titre. Son équipe a pourtant tout essayé pour que survive l’esprit « Bête et méchant ». Avec beaucoup de gamelles!
3 – Des réincarnations à gogos
1982-1992, du Charlie partout… sauf chez lui.
Dans le canton de Vaud, lorsqu’on boit beaucoup après une cérémonie funéraire, les éploré(e)s disent: « On l’a enterré profond! » Le 2 janvier 1982, l’équipe de Charlie Hebdo sort la pelleteuse! A « Droit de Réponse », ils portent indignement le deuil de leur numéro 580.
Le journaliste commis d’office te sort: « Après, il n’y a plus eu de Charlie Hebdo jusqu’à sa nouvelle mouture, en juillet 1992. ». INCULTE ! Un raccourcis faux et facile. Pas mort, Charlie a bandé… son arc pour décocher de nouvelles flèches. Le 11 janvier 1982 sort un « Spécial Droit de Réponse », un Charlie 581, qui porte bien son nom. L’équipe y règle ses comptes. La couverture, comme d’hab, s’y montre assez explicite.
Traîné dans la merde par le reste de la presse, la rédaction n’a pas l’habitude de se réincarner en paillasson. Ce 581, pièce recherchée, cote auprès des collectionneurs. Vers avril 1982, une compilation réincarne le titre:
Comme la marmite demande à bouillir, nos talents dénichent des asiles politiques à foison. Cabu conforte sa place au Canard Enchaîné, Reiser et Delfeil de Ton font leur nid au Nouvel Observateur, Wolinski ne quitte pas L’Humanité ni le Journal du Dimanche. Il attend 1990, le 8 novembre, pour entrer à Paris Match. Un rien suffit à les rassembler sous une bannière commune…
Témoin cette rareté, une édition spéciale, le 7 septembre 1982 de Charlie. Hara-Kiri mensuel, qui poursuit sa carrière avec quelques hauts et beaucoup de bas, classe dans son numér0 252, se gausse d’un accident de car, à Beaune. Les familles des victimes demandent la saisie du titre. Charlie Hebdo sort de sa tombe dans un « numéro exceptionnel ».
Ces résurrections éphémères ne cachent pas un vide, ou un créneau à prendre. Dans les dix ans qui suivent, on ne compte pas les tentatives de réincarnations! Cela commence très vite, en avril 1982, avec une nouvelle formule de Charlie Mensuel, racheté par les Editions Dargaud. Mandryka – oui, le papa du « Concombre masqué » – passe réd en chef, reprend les ingrédients de base avec Wolinski, Cabu et Gébé dans son équipe. La couverture du numéro 1 ne cache pas sa filiation envers la version originale. Très vite, les pin-up prendront la place de Snoopy. Y’a plus de formes, de décolleté et de seins cachés qu’on ne saurait voir. Mandryka tiendra jusqu’au numéro 16…
Wolinski ne reste pas longtemps dans le giron de ce Charlie-là. On lui propose de reprendre L’Echo des Savanes, nouvelle formule. L’ancienne ne s’était pas remise des délires punks du collectif « Bazooka ». Pas de futur pour ces ventes-là! Pas de surprise, Wolinski convoque ses potes dans cet Echo: Cabu, Coluche, Reiser, Topor, Vuillemin, Pichard.
La présentation de Wolinski trahit bien un certain état d’esprit, vous ne trouvez pas? Prenons des nouvelles de Gébé et de Cavanna… Pour des quinquas et presque sexagénaires qui ne dérident pas les zygomatiques des jeunes, ils se marrent bien, merci pour eux.
FR3 leur offre, dès le 4 avril, un nouveau bac à sable pour leurs pâtés hilares: « Merci Bernard », émission qui fait «carrément hurler, hoqueter, pleurer de rire», écrit le Nouvel Obs, cité sur Wikipédia. Topor et Jean-Michel Ribes coachent les scénaristes. Pierre Desproges y effectue quelques apparitions, lui qui exerce encore ses fonctions de procureur au « Tribunal des flagrants délires » sur France Inter. Il prépare ses « Minutes nécessaires de Monsieur Cyclopède ». Celles qui diviseront la France en deux – « Les imbéciles qui aiment et les imbéciles qui n’aiment pas » – dès novembre 1982.
Que fout Desproges dans cet article?
Pour gloser, on rappellera juste que Pierre, inconditionnel de Cavanna et de Reiser, a tenu la rubrique « Les étrangers sont nuls » dans Charlie Hebdo… AH! « Etonnant, non? » Comme une vidéo gratos ne se refuse jamais, quelques meilleurs moments de « Merci Bernard » et une émission intégrale…
http://www.ina.fr/video/3898133001
http://www.ina.fr/video/CPC92013170
Je plomberai un chouïa l’ambiance caustique avec la disparition de Reiser – second deuil du clan Hara-Kiri/Charlie – le 5 novembre 1983. Cancer du fémur. La nouvelle lors des infos d’Antenne 2, présentées par Bernard Rapp, qui lui-même, depuis, ne se sent plus très bien non plus…
https://www.youtube.com/watch?v=Xn09e9jYLUw
Reiser repose au cimetière Montparnasse dans une tombe en forme d’aile d’avion, une de ses passions avec l’énergie solaire. A son enterrement, ses potes lui dédient une couronne où s’étale la mention: « De la part d’Hara-Kiri (en vente partout) »… Le numéro spécial d’HK détourne la couverture que Reiser avait réalisée au décès du dictateur Franco.
Charlie Hebdo en jachère, les mauvaises graines sont semées et poussent sur tous les terrains médiatiques. Le 24 août 1984, l’Echo des Savanes se pique de compléter sa fréquence mensuelle par un Hebdo irrespectueux.
Cela vous rappelle quelque chose?
L’Hebdo change de titre et d’orthographe – Ebdo des Savanes – et se fracasse en novembre. A part Vuillemin, quelques archives de Reiser et un zeste de Sylvie Caster, pas évident de distiller du Canada Dry d’humour noir. Avec Charlie, c’est bien l’alcool qui fait les héros (allusion que seuls les has-been de l’époque comprennent…)
Choron, le temps de quatre numéros, édite dès janvier 1985, Psykopat mené par Carali, encore un ex de Charlie Hebdo. Le journal prendra son réel envol avec un autre éditeur – Zébu – en 1989.
Et revoilà Zéro! Je renvoie les feignasses amnésiques au premier volet de cette série où ce titre, avec Cordées, préfigure Hara-Kiri à la fin des années cinquante. Il réunit surtout Cavanna et Choron. Le professeur – qui assiste au naufrage de son Hara-Kiri mensuel – se montre un sourcier en liquidités. Il s’allie cette fois avec Daniel Fillipachi. Zéro repart à zéro (difficile de la rater, celle-là) le 23 avril 1986, neuf parutions hebdomadaires, dix mensuelles, avec du Charlie Hebdo quasi reconstitué, exception faite de Reiser, qui aurait quelques excuses. Fin février 1988, devinez quoi, ON FERME! Quelques couvertures pour vous rafraîchir les neurones…
A ces humoristes, ils leur faudrait parfois une bonne guerre, non?
Janvier 1991, la première du Golfe et son opération « Tempête du Désert » soulèvent de gros grains de sable dans le conformisme général. Parmi ses effets collatéraux, elles réveillent l’inspiration des « Guignols de l’Info » sur Canal+ dont les auteurs créent le Monsieur Sylvestre, incarnation cynique des Valeurs Occidentales et 100% treillis américain. Surtout, elles mettent en branle La Grosse Bertha qui tire juste et bien. En première ligne, les briscards de Charlie Hebdo et toute une nouvelle génération de teigneux. La sauce va, cette fois, (presque) prendre…
http://www.ina.fr/video/PAC02010168
Joël Cerutti
(à suivre)