O SOLE MIO Le soleil rutile et Narcisse Praz quitte Champ-Dollon. Ce qui est une façon de reconnaître la bourde administrative et juridique qui l’a conduit du Valais à Genève derrière les barreaux. Avant de partir, un petit acte de rébellion en chanson.
Pas de sourires : je suis libre. Ça les chagrine. C’est visible. C’est lisible sur leurs visages. Monsieur, remontez dans votre cellule. Ah ? Bon ? Mais je suis libre, moi. Vous devez remonter dans votre cellule : une petite formalité qui dure deux minutes. Bon. N’envenimons pas les choses. J’y vais.
Pas de rangement, pas de sortie
Monsieur, pliez vos couvertures et balayez votre cellule ! Non, mais pour qui se prend-il, celui-là, avec ses biceps dont il joue ostensiblement ?
On m’a enfermé ici par erreur, parce qu’un imbécile de flic et un crétin de fonctionnaire se sont arrangés pour envoyer une convocation à une mauvaise adresse.
Moi ? Moi, balayer ma cellule et plier mes couvertures ? Jamais, Monsieur ! On m’a enfermé ici par erreur, parce qu’un imbécile de flic et un crétin de fonctionnaire se sont arrangés pour envoyer une convocation à une mauvaise adresse et vous exigez que je plie les couvertures?
Jamais, Monsieur ! Eh bien, vous ne sortez pas. C’est le règlement. Il se campe devant moi, le maton. J’ai compris, il faut que j’y passe. Dire que j’ai plié les couvertures, c’est beaucoup dire. Mais enfin, il s’en contentera. Le temps d’échanger quelques propos sur le code majeur et me revoici dans les nuages des corridors. Hall d’entrée.
Pour son grade
Ils sont tous là. Et moi, j’éclate. Toute ma révolte me sort soudain : le crétinisme administratif, cause de cette aventure, en prend pour son grade. Naturellement, l’unanimité se fait chez les matons : faut dire ça à ceux que ça concerne.
Alors, alors je suis enfin redevenu moi-même. J’ai vu un rayon de soleil filtrer par une fenêtre blindée.
Nous … Vous ? Vous appartenez à la même clique ! Le ton est monté de trois crans d’un seul coup. Je m’aperçois qu’on a fait un cercle autour de moi : si je veux sortir sans dégâts, j’ai intérêt à me dégager. Dehors, le compteur du taxi tourne…
Alors, alors je suis enfin redevenu moi-même. J’ai vu un rayon de soleil filtrer par une fenêtre blindée.
Le soleil.
O sole mio!
Je me retourne, je leur fais face. Ils me regardent tous, compacts. Et moi, de ma bonne grosse voix, me souvenant des leçons de bel canto de mon jeune âge, je leur envoie mon «O sole mio», le plus sublime «O sole mio» que j’aie jamais entonné de ma vie :
Che bella cosa,
Une giornata e sole,
Una aria serena
Dopo una tempesta !
Ils ont eu droit aux trois couplets. Aucun sourire. Des chuchotements. Des coups de coude. On n’a jamais vu ça à Champ-Dollon. Sur une banquette, à l’écart, un homme, de type Italien, menottes aux poignets, me regarde, m’écoute chanter et se met à pleurer.
FIN DES HURLUBERLOIS… Mais Narcisse Praz revient avec les Hurluberlâches sous très peu!