FAIT COMME UN RAT Arrestation, première cellule, train, menottes, Narcisse Praz arrive à destination. La prison de Champ-Dollon. Pourquoi? La loi du silence règne toujours…
Je traverse la place de la gare de Genève, menottes aux poignets. Voiture de police. Feux rouges. A cent mètres de l’endroit où habite ma fille. Ce serait drôle qu’elle me voie dans la voiture de police. J’imagine. Je brandirai mes deux bras. Elle verrait les menottes. Elle pâlirait. Je lui sourirais pour la rassurer, je rirais pour dire : ce n’est pas grave. Et la voiture redémarrerait.
Elle démarre. Je traverse la ville.
– Champ-Dollon, vous connaissez ?
s’inquiète un des gendarmes, celui qui est assis à côté de moi sur le siège arrière, sans doute pour éviter que je ne m’enfuie.
Sait-on jamais. Et puis, une faute, ça se paye dans une carrière. Non, connais pas. Ah ! Si. Une fois, j’y suis venu rendre visite à un ami, un ami très cher, objecteur de conscience. Je me souviens.
Vitres blindées
Poignets menottés, je franchis la lourde et haute grille de ferraille, puis l’enceinte extérieure. Porte ouverte sur commande électronique, puis refermée. Clac. Me revoici fait comme un rat. Je franchis une deuxième, puis une troisième porte. C’est comme dans un aéroport : des vitres, blindées à coup sûr, de tous côtés. Derrière, des têtes qui regardent le nouvel arrivant. Sourires : enfin lui ! On l’a enfin à Champ-Dollon, le champion de la liberté, le roquet anar, l’aboyeur libertaire qui publiait des photos insultantes pour la police dans son journal et qui répandait des tracts contre la prison en général et celle de Champ-Dollon en particulier. Et de se transformer sur-le-champ en autant de gentils organisateurs qui n’ont rien de matons, accueillants.
Déshabillez-vous, Ah ? Et pourquoi ? Visite, Inspection. Inspection intime.
Accueillants. Comme dans un hôtel. Il y a là tout un «staff» de gens musclés mais souriants. On me prend mon portefeuille, mes papiers, mes clés (à quoi bon, derrière toutes ces portes blindées ? Paraît que «c’est comme ça»), tous mes objets personnels, y compris mes médicaments. Joie : je suis sous médicament. Donc je suis plus vulnérable encore. Bientôt foutu, le roquet. Douche. Non, merci. Je m’étais baigné ce matin. Comme si je l’avais pressenti. Non, non. Je n’ai pas à me doucher.
Déshabillez-vous, Ah ? Et pourquoi ? Visite, Inspection. Inspection intime. Jusqu’à l’anus ? Jusqu’à l’anus. Monsieur, ça ne vous humilie pas d’inspecter ainsi les trous du cul ? Non, ça ne l’humilie pas du tout. Il a l’habitude. Charmant métier. Il m’en fait grâce, car : «Vous savez, Monsieur, si vous cherchez de la drogue, ce n’est pas la peine : je suis, j’ai toujours été un ennemi de la drogue. Je l’ai combattue en tout temps, Y compris dans mon journal. Alors …». C’est trop de bonté de sa part : il ne m’obligera pas à me pencher en avant pour lui montrer mon dernier refuge intime.
Cellule 254
Il a dû en voir, des orifices intéressants, le personnage ! Rhabillez-vous. Corridors. Décors : des nuages, des nuages dans un ciel bleu. Porte blindée. Clés corridor. Long, long. Porte blindée. Petit hall. Portes blindées tout autour : la centrale de distribution. Un paquet de draps, linges et couvertures sur les bras. Cellule 254.Une fenêtre. Pas de barreaux. Je savais : le sadisme, l’illusion de la liberté. Au-delà, les mêmes nuages blancs dans le même ciel bleu. Ceux du long corridor. Un WC dans un coin. Un lit, Une table incorporée au mur devant la fenêtre. Un lavabo. Je jette les draps et les couvertures sur le lit. Il y a quelques taches révélatrices : on a dû se masturber ferme sur ce lit-là. Vite recouvrir tout ça.
(à suivre…)