MENOTTES STORY  Embarqué, enfermé par les flics dans une cellule, transféré de Sion à Genève dans un wagon cellulaire. Tel est le sort de Narcisse Praz. L’écrivain ignore pourquoi on lui fait subir un tel sort. La « Justice » sait étouffer les rebelles…

Un filet d’air. J’utilise mon journal pour en rabattre sur mon visage. Je pourrais crever dans ce wagon cellulaire de soixante centimètres sur soixante, personne n’en saura rien : aucune possibilité d’appel au secours. Supposez que je fasse une crise cardiaque ? S’en foutent. Ils ont leur bonne conscience pour eux : leur Bon Droit pour eux. Merci pour moi. C’est long, deux heures. Très très long. Le temps s’étire, s’étire.

L’un tient des menottes. Vont pas me les passer ? Non ? Pas à moi !

Genève.Enfin. A la gare, deux agents en uniforme. Fichtre ! L’un tient des menottes. Vont pas me les passer ? Non ? Pas à moi ! Je ne suis pas un truand, ni un dangereux ferrailleur, non ? Si. Il me les passe. Connais pas. Moi, je fais ce qu’on me dit de faire. J’ai une femme et des gosses. Je ne veux pas perdre ma place. Donc, menottes pour vous comme pour tout le monde.

Le salaud. Et il s’appelle comment ? Déjà, je prémédite une vengeance. Ecrite. Il porte un nom de chez nous. Quoi ? Lui aussi ? C’est une conspiration ? Ils sont donc tous devenus flics, les gars de chez nous qui ont quitté le pays ? A croire que oui. Celui-ci a quelque chose comme une jubilation sur son visage. Il me connaît. Il jouit.

L’interminable temps perdu entre quatre murs. WC à la turque au fond.

Cellule. En attendant la voiture-fourgon. Vite. Vite quelque chose à écrire. Ecrire ? Avec les menottes aux poignets ? Fini, ton tue-temps. Maintenant il faut l’affronter, le temps. L’interminable temps perdu entre quatre murs. WC à la turque au fond. On m’enlève les menottes. Précaution superflue, puisque me voici au trou, bien gardé. Je vais donc pouvoir écrire, tuer le temps. J’écris. Je pense. J’écris. Donc, je suis. Donc, je suis encore.

3.4 Cachot

La chape est de béton qui m’étouffe et m’enserre :

Administration, carcans empoussiérés

Broyeurs d’éléysons et de misérés.

La raison chavirée hurle et se désespère.

Entre mes quatre murs, je songe à mon rosier :

Il va se dessécher, dépérir de misère

Et sa robe éclatée éclabousse la terre.

La chape est de béton qui me tient prisonnier.

Attends pour me juger, toi du moins, femme aimée.

Si je devais te perdre aussitôt sublimée,

Périsse mon rosier, sa rose et ses festons.

Attends de me juger. Donne-moi cette chance.

Que notre bel aimer ne souffre nulle offense.

La chape qui m’enserre est de grossier béton.

L’obsession. Mon amoureuse. Elle va me téléphoner. Elle ne comprendra pas. Elle envisagera le pire. Elle va s’affoler. Et puis, s’ils me gardent, voudra-t-elle encore de moi ? Comprendra-t-elle qu’on peut être en prison et tout à fait honorable ? Ah ! Les vieux tabous ! Toujours présents. L’éducation.

J’ai hâte de rencontrer le juge d’instruction, moi, pour élucider ce mystère.

Clé dans la serrure. Ferraille qui grince. Deux jeunes flics. Me regardent, me toisent, ont un sourire. Tiens, tiens. Chez eux aussi de la jubilation ? Menottes. Mais enfin, est-ce que j’ai une tête à prendre la fuite ? J’ai hâte de rencontrer le juge d’instruction, moi, pour élucider ce mystère de mon arrestation : je ne vais donc pas m’enfuir ! Connais pas. Nous, on fait ce qu’on nous dit de faire. Menottes. C’est très inconfortable, les menottes, vous savez ? Je traverse la gare, menottes au poing. Les gens me dévisagent, satisfaits. 

Vraiment satisfaits : ils sont rassurés, la police les protège bien. Mais je ne vous ai rien fait de mal, moi ! J’ai des comptes à régler avec l’Icha à Berne, je ne vous ai rien fait. Pourquoi me regarder comme si je venais de cambrioler votre coffre-fort personnel à l’UBS ?

(à suivre…)

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