DERRIERE LES BARREAUX Cette fois, ça y est! A la grande joie des forces de l’ordre, l’anarchiste Narcisse Praz se trouve emprisonné, embastillé. On est venu le chercher à Nendaz pour le boucler à Sion. Et il ne sait toujours pas pourquoi…
WC à la turque dans un coin. Quatre murs jaunâtres. Une grille haut placée au-dessus des WC. Un banc. Deux couvertures grises. Sont toujours grises, les couvertures dans ces lieux-là. L’horreur : je ne suis plus maître de mes mouvements. Les murs. La grille. La porte. Alors je me dis que si je ne veux pas devenir fou, il faut que j’écrive. Je regarde autour de moi. Pas de quoi m’inspirer. Un thème. La liberté. Vite écrire, sinon je me mets à hurler. Je trouve un bout de papier dans ma poche. Il est midi et trente minutes. Assis, le dos au mur, je regarde les graffitis, la grille, la porte, j’écris…
3.2 Cellule
Le mur est jaune, excrémenteux.
La porte est grise, sans serrure,
Froide au toucher, solide et sûre,
Avec deux trous en guise d’yeux.
La grille arquée et sans fissure.
Les graffitis griffés, gris-bleus,
Disent prénoms et « nom de Dieu »,
Des coeurs, des rêves, des injures,
Moi, je suis seul. J’entends, dehors,
Des voix, des bruits. J’entends la vie.
La couche est dure où je vacille.
Me voici nul comme la mort,
Fait comme un rat. J’entends la pluie.
Quand la reverrai-je, ma mie ?
Griffé sur le mur :
« Il est des prisons plus libres que bien des libertés prisonnières. »
Anonyme
Dans la cellule voisine, un jeune Italien. Il discute âprement avec un gendarme furieux. Il voudrait écrire. Mille histoires. Il se bat pour une raison qui m’échappe mais que j’imagine : tout ce qu’il a laissé derrière soi, des projets dans lesquels d’autres sont impliqués et qui ne comprendront jamais pourquoi il n’est pas là. Il faut qu’il écrive. Il se bat une bonne demi-heure pour obtenir de quoi écrire. Moi, j’ai plus de chance : j’avais prévu, j’ai papier et stylo.
Quatre heures. Fourgon de police. A la gare. Le gars de mon village devenu flic me laisse toute liberté d’acheter les journaux pour le voyage.
Vous savez ce que c’est, vous, un wagon cellulaire ?
Fourgon cellulaire. Vous savez ce que c’est, vous, un wagon cellulaire ? De quoi faire un bon demi pas devant soi. Une lucarne de quinze centimètres pour laisser un peu d’air, mais trop haut. Du blindage autour de soi. Si vous souffrez de claustrophobie, c’est la syncope à coup sûr. J’en ai pour deux heures. Ne pas devenir fou. Vite. Une idée. Vite un thème. Un autre poème. Je pense au maton qui hurlait tout à l’heure, hystérique, dans sa bataille contre l’Italien qui voulait du papier. Au milieu des secousses du train, j’écris sur les espaces blancs du journal plein de pub : c’est là qu’il y a le plus d’espaces blancs. Bien calculé. J’écris.
3.3 Maton
Ménagez-vous, baissez le ton,
Calmez vos cris d’analphabète,
Monsieur le grand chef des matons :
Vous voyez bien, je suis poète !
Je ne suis pas de ceux dont on
Peut enrayer les coups de tête
A coup de gueule ou de bâton :
Vous voyez bien, je suis poète !
Vous criez : plomb ! Je pense : fleur.
Vous hurlez : fouet ! Je pense : fête.
Soyez content : de vous, j’ai peur.
Vous voyez bien, je suis poète !
La nuit prochaine, au lumignon :
Court-circuit. Ce sera ma fête.
Adieu, la vie. Adieu, maton.
Vous voyez bien, je suis poète !
Je ne vais pas flancher ? Non. De l’air ! De l’air, nom de Dieu ! Un filet d’air.
(à suivre)