QUE DU BONHEUR   La Potagère, c’est un commerce qui a une vraie étoffe humaine. Il atteint, cette année, ses 37 ans d’existence à St-Pierre-de-Clages. Rencontre avec Jean-François et Marie-Cécile, tous deux 67 ans aux prunes. Ils puisent dans leurs souvenirs et parlent de leurs incroyables rencontres.

C’est le magasin où Gérard Lenorman chante a capella «La balade des gens heureux». C’est l’endroit où le chauffeur de Johnny Hallyday vient chercher des asperges pour son patron. C’est là que sont nés les «Paniers de la santé et du bonheur» qui ont nourri le Dalaï Lama ou l’Abbé Pierre. Bienvenue à La Potagère, un lieu rare en Valais, aux portes de St-Pierre-de-Clages.

Si le Paradis, c’est comme ça, je signe tout de suite ! Et cela ne me ferait rien de recommencer exactement la même vie.

Ce matin du vendredi 16 mars, Jean-François porte son invraisemblable cravate colorée du jour. Sous le soleil, il embrasse du regard le panorama qui se déroule autour de La Potagère. On y aperçoit pas moins de seize stations de montagne : un vrai cinémascope valaisan.

Rarissime longévité

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«Si le Paradis, c’est comme ça, je signe tout de suite ! Et cela ne me ferait rien de recommencer exactement la même vie.», répète souvent Jean-François qui a fêté cette année ses 67 ans. La retraite ? Pas encore ! Il se voit tenir encore cinq ans avant de lever le pied. Un peu. Depuis 37 ans, Jean-François et sa femme Marie-Cécile se dévouent, se battent pour offrir les meilleurs fruits et légumes du cru ou les productions les plus exotiques. Ce n’est pas du publireportage mais une réalité vraie !

Les supermarchés ressemblent à des cryptes où il règne un silence complet.

Une longévité rarissime pour un commerce de proximité comme le leur, surtout depuis une décennie où le combat s’intensifie face aux Goliaths des grandes surfaces. «Ils vendent les marchandises aux prix où je les achète. Chez nous, on ne doit plus réfléchir en termes de chiffre d’affaire mais de rendement. C’est au centre de notre philosophie de travail», témoigne Jean-François.

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Il sait de quoi il parle, le patron de La Potagère. Il a commencé sa carrière dans la grande distribution suisse, comme responsable des achats. «En ce temps-là, c’était encore à taille humaine. Il fallait bosser, mais c’était un bon stress. La vente n’était pas agressive. Aujourd’hui, c’est devenu de l’arnaque, tout est programmé pour l’achat. Les gens perdent en qualité de vie et personne ne s’enrichit. Les supermarchés ressemblent à des cryptes où il règne un silence complet. Ici, les clients se parlent entre eux.»

Force humaine

A ce côté obscur de la vente, La Potagère oppose sa Force humaine et cultive un précieux supplément d’âme. «En 35 ans, je suis toujours resté fidèle aux mêmes fournisseurs. Et je ne négocie jamais les prix, jamais ! Je discute avec eux s’il y a des problèmes, liés à la pluie ou à la sécheresse. De leur côté, ils n’essaient pas d’écouler de la marchandise qui n’est pas de la qualité. On travaille sur la confiance»

Nous avons le respect, de la marchandise, des gens. On s’en occupe bien.

« Nous avons le respect, de la marchandise, des gens. On s’en occupe bien », complète Marie-Cécile, qui, pour la deuxième fois vient voir comment se déroule l’interview avec son homme.

La Potagère et après Le Cervin

Chouchoutés, les habitués des lieux envoient même des cartes postales aux patrons. A La Potagère, c’est l’ôde perpétuelle au palais et, grâce au bouche à oreille, la réputation s’est forgée. On vient de loin, de très loin pour les visiter.

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Elle a trouvé chez nous des Kumcuats, très rares à Hong-Kong. Ils y sont respectés un peu comme les vaches sacrées en Inde.

«Un Zurichois, qui travaille dans une chaîne d’hôtel à Hong-Kong, nous a envoyé sa femme. Il lui a dit : « En Valais, tu vas d’abord voir la Potagère et après le Cervin ». Elle a suivi ses conseils. Elle a trouvé chez nous des Kumcuats, très rares à Hong-Kong. Ils y sont respectés un peu comme les vaches sacrées en Inde », rapportent en chœur Jean-François et Marie-Cécile.

Volée d’idoles

A propos d’idoles, La Potagère en a vu défiler une belle volée. La faute, en grande partie, à Pascal Thurre. Lorsqu’il convie des vedettes sur la Vigne à Farinet, elles reçoivent à coup sûr un «Panier de la Santé et du Bonheur». En remerciements, des photos dédicacées que l’on retrouve tapissée par dizaines sur les murs de La Potagère. La curiosité conduit certaines stars vers le lieu d’origine. «Nous, on ne sait pas trop qui c’est», glisse Marie-Cécile. Un dimanche après-midi, elle a vu Zidane, seul, venir leur faire un petit coucou. «Il était timide, on ne s’est pas trop parlé.»

Frédy Girardet me parlait de son enfance. Il doit y avoir de bonnes ondes chez nous.

Plus récemment, Gérard Lenorman a poussé quelques couplets. «Il était bien chez nous, il ne repartait plus». Jean-François se souvient aussi du passage de Frédy Girardet, titanesque cuisinier devant l’Eternel. «On était devant La Potagère et il me parlait de son enfance. Il doit y avoir des bonnes ondes chez nous…» Jean-François garde aussi une image du réalisateur José Giovanni, littéralement fasciné par une décoration avec des Pères Noël. «Il ne cessait de les regarder et sa belle-mère venait tout le temps le déranger avec des «José, José, José ». Au bout d’un moment, il s’est tourné vers elle et lui a lancé : «José n’est pas là ! » Il voulait la paix!»

J’ai cru que c’était des cambrioleurs. Et me je suis retrouvée face à Monsieur Gianadda.

Il y a une visite qui a réellement impressionné Marie-Cécile, impératrice de la confiture. Elle en invente quotidiennement leur donne des noms de personnalités qu’elle admire. Dont Léonard Gianadda qui a droit à des pots baptisés «Le Tsar». Un soir, Marie-Cécile, devant la télé, entend taper à la porte. « J’ai cru que c’était des cambrioleurs. Et me je suis retrouvée face à Monsieur Gianadda. J’ai dû dire : «Au secours, excusez-moi !» C’est quand même un bel homme et impressionnant. »

Du Che à toute les heures

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Ceux qui ont le sens de l’observation remarquent la présence barbue du Che un peu partout dans La Potagère. «J’ai même des livres qui viennent depuis Cuba, renseigne Marie-Cécile, c’est un grand homme !»

On bosse 18 heures par jour, c’est la vérité !

Celles et ceux qui fréquentent La Potagère le savent: le créneau horaire du magasin ne ménage pas ses efforts. Sans relâche, du lundi au dimanche, du dimanche au lundi, un vrai sacerdoce pour la petite entreprise de Jean-François et Marie-Cécile. «On bosse 18 heures par jour, c’est la vérité !», appuie Marie-Cécile qui passe dans «le plus petit bureau du monde» alors que je partage le café avec son mari.

«J’ai pris une seule fois trois jours de vacances, j’ai fini à l’hôpital à cause de calculs rénaux. Le médecin a dit que j’avais coupé trop vite», se souvient Jean-François. En clair, l’inactivité nuit à sa santé… Et ce depuis le 1er avril 1977. «On commençait avec un poisson, tout le monde ne donnait pas cher de notre peau», se rappelle Jean-François.

 Guerre de quartiers

Au départ, le magasin se trouve au centre de St-Pierre-de-Clages et notre couple cumule les kilomètres. «Nous avions surtout des restaurateurs comme clients. Il fallait les livrer, trois fois par semaine, à Ovronnaz, Evolène, les Haudères, Arolla, le col Torrent. Parfois, en hiver, je prenais avec moi des habits de rechange. En cas d’avalanches, je pouvais rester coincé dans la vallée», détaille Jean-François.

Ils m’arrêtaient au milieu de la route, me bloquaient sur des places ou voulaient à tout prix m’inviter pour boire le café.

Et La Potagère, durant 7 ans, assure d’autres tournées, en plus de celles aux restaurateurs. «Deux jours par semaine, nous livrions des fleurs et des plantes à Mase, St-Martin, Suen et Hérémence. Cela a été une épopée formidable et des contacts magnifiques avec les gens de ces vallées.» Attendu comme le Messie, ces ventes de villages en villages devaient respecter un certain horaire. C’est là que commençait la guerre entre les quartiers, les hameaux, les bourgs. La stratégie ? Etre servi en premier, retenir le camion de livraison pour prendre le maximum de marchandise et laisser des miettes au village suivant ! «Ils m’arrêtaient au milieu de la route, me bloquaient sur des places ou voulaient à tout prix m’inviter pour boire le café», rigole Jean-François.

Ils travaillent beaucoup avec les planètes et il fallait à tout prix planter à certaines dates!

La rivalité s’accentuait encore en fonction des positions des astres. «Ils travaillent beaucoup avec les planètes et il fallait à tout prix planter à certaines dates !» Une fois, il y a eu tromperie involontaire sur marchandise.

Drame dans la vallée

«Les petits plantons ont tous les mêmes têtes. Un fournisseur m’a vendu des plantons de choux destinés à la choucroute. En fait, il s’agissait de choux-fleurs. Cela a été un gros drame dans la vallée. Pour ratrapper le coup, je me suis arrangé avec un grand marchand pour effectuer une livraison de choux à choucroute. J’ai rempli le camion et fait le tour des villages lésé, ils venaient avec des brouettes pour se servir tellement ils étaient heureux!», confie Jean-François.

«Une sacrée époque», approuve Marie-Cécile. Mais toute bonne saga a une fin. «La clientèle privée augmentait au magasin, nous n’arrivions plus à donner le tour. Nous avons passé l’affaire à d’autres personnes pourtant cela a été ressenti comme une trahison. J’ai eu des gens qui pleuraient devant moi et d’autres qui m’ont accusé de les avoir laisser tomber.»

Gustations détendues

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En 2014, La Potagère tient essentiellement grâce à ses «Paniers de la Santé et du Bonheur» nés voici deux décennies un jour de la St-Valentin. «Un client, Stanislas, voulait un cadeau spécial pour sa chérie», se remémore Marie-Cécile. Un tout premier panier suivi par des milliers d’autres. Comme rien ne doit se perdre à La Potagère, tous les fruits et légumes sont aussi transformés en conserves ou confitures maison. Dans leurs cartons, depuis 2002, Marie-Cécile et Jean-François cherchent de nouveaux futurs avec un sacré projet.

Jean-François ne cesse de plaider devant les autorités communales ou cantonales les avantages pour le Valais et la région d’une telle initiative.

Sur les plans, le 40% de l’endroit s’avère inutilisé, soit 16 000 m3. De quoi monter des chambres d’hôtes et un «Atelier de Gustations détendues». Jean-François ne cesse de plaider devant les autorités communales ou cantonales les avantages pour le Valais et la région d’une telle initiative. Le chemin administratif est pavé de bonnes intentions qui prennent beaucoup de temps. D’un bureau à l’autre, on s’est longuement renvoyé la balle. Cela bouge enfin depuis quelques mois, la zone agricole se modifie en zone d’activité viti-vinicole.

A côté de La Potagère, Jean-François a vu l’immense Maison Provins, que certains voulaient transformer en centre de soins liés au vin, partir en miettes.

A côté de La Potagère, Jean-François a vu l’immense Maison Provins, que certains voulaient transformer en centre de soins liés au vin, partir en miettes. Il espère que La Potagère aura un autre visage dans les décennies à venir.

« La Potagère, c’est notre enfant», dit en chœur le couple

Jean-François et Marie-Cécile aimeraient passer la main en laissant derrière eux un vrai plus pour St-Pierre-de-Clages. Leur projet s’est associé au Village du Livre pour donner toutes les chances de pérennité. «La Potagère, c’est notre enfant», dit en chœur le couple. Et on n’abandonne pas un fils ou une fille. Cela ferait trop d’orphelins gastronomes aux alentours!

Joël Cerutti

Note: cet article reprend celui paru son mon blog au printemps 2012.

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