INFOS A GOGOS   Vous lirez bien un peu de pesticide ? Un «bon» article qui vous désherbe le cerveau ? A l’heure où des outils permettent de repenser le journalisme, les rédactions appauvrissent leur contenu. Et c’est prouvé par l’Uni de Zurich !

Dans notre beau pays, trois groupes de médias contrôlent 78% de la presse écrite et 53% des clics sur internet. De joyeux calculs effectués par l’Institut de recherche sur la sphère publique et la société qui niche au sein de l’Université de Zurich. Nos spécialistes ont poussé le bouchon plus loin. Entre 1981 et 2013, ils ont pointé les dix thèmes les plus traités par le Blick, le Tages Anzeiger et la NZZ. Pour voir que la «diversité des sujets a diminué de 25%». En synthèse, ce qui apporte des infos en Suisse se concentre et s’appauvrit. Un brouet interchangeable d’un titre à l’autre se sert via les fameuses newsroom ou autres newsdesk. Des nouvelles qui n’en sont plus vraiment car elles se déclinent à l’infini autour de pauvres dossiers. Du copier-coller, du «pomme C» et «pomme V» qui nous prend pour des poires blettes.

Banalité omniprésente

Quand on y pense, c’est assez ironique. Depuis une décennie, les rédactions possèdent des outils géniaux pour réinventer la profession. Mais elles préfèrent l’appauvrir, la banaliser, la rationaliser par le biais du marketing. Elles se paient quelques «grandes plumes» alibis (chez Tamedia, Eric Hoesli les appelait des «Top Gun» !), de la poudre aux yeux pour cacher la banalité du reste. Des enquêtes sur lesquels on ne lâche pas le morceau ? Les gros tirages ne vous en livreront pas tripette. Les budgets pour les procès sont aussi revus à la baisse, ce qui entraine des prises de risque de plus en plus cadrées. On préfèrera tirer sur des ambulances aux pneus crevés…

Je suis «surpris» par le peu d’intérêt que rencontrent certains drames. Dont celui des enfants placés. Sur Genève, par exemple, les reporters se mouillent avec réticence dans cette complexe problématique. On trouve l’ignoble banal.

Nous assistons à un Monsanto de l’info qui passe vos neurones au Roundup du conformisme.

Normal que l’Etat refuse d’indemniser les victimes des internements administratifs. Logique que cela recommence, sous d’autres formes plus pernicieuses, à notre époque… De partout en Suisse romande, avec une politique de la petite enfance laissée à des services dépassés, on amorce des bombes à retardement. De cela, proportionnellement, vous en lirez peu de traces. Ce 6 avril 2015, Le Matin vous narre en une l’énigme du Yéti, les querelles de bac à sable entre Ardisson et Joey Starr, le combat d’un chat contre une vipère aspic et les plus beaux œufs de Pâques. Dans quelques heures, les bouchons de la rentrée prendront le relais… Nous assistons à un Monsanto de l’info qui passe vos neurones au Roundup du conformisme. Fort heureusement, des mauvaises herbes ont les racines profondes et savent évoluer, réagir. En Suisse ou ailleurs.

« Plus près des jetables que des notables »

Viré de France Inter, Daniel Mermet prend le maquis d’internet avec «Là-bas si j’y suis » (http://la-bas.org/), une webradio libre «plus près des jetables que des notables» qui a trouvé ses abonnés, ses fidèles, son public. Dans la première partie d’un documentaire sur l’Equateur, Pierre Carles continue à se faire détester des autres journalistes. Jouissif de voir soudainement Ivan Levaï justifier ses choix rédactionnels en traitant ses auditeurs «d’ânes». Cela traduit tout son respect pour celles et ceux qui lui accordent le bien le plus précieux, un temps d’écoute…

Demain, PJ Investigations passe devant un juge pour avoir donné la parole à des enfants placés de force dans un foyer à Genève. Pas une seule microseconde je ne regrette cette publication. Cela montre que c’est dans la marge –  les 32% de presse écrite ou les 47% sur internet qui restent «libres» – qu’il existe une autre info. Elle est moins confortable (pour le journaliste comme pour le lecteur !) mais nettement plus utile, forte, vitale.

Joël Cerutti

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