DURANT L’APOCALYPSE, LE BAR RESTE OUVERT… et cela tombe mal, parce que j’avais décidé d’arrêter de boire. Jusqu’au moment où j’ai vu ce que devenait Renaud. Si virer sobre, c’est ça, autant tutoyer les goulots !
Avant l’Apocalypse, tu bois beaucoup pour oublier que la Fin s’approche et qu’il faudra présenter des comptes à ton Supposé Créateur. Cela tempère l’angoisse. Déjà qu’en matière financière, c’est une autre forme de désastre. Un jour, entre deux bulles d’Alka Seltzer, tu te jures que « Basta ! ». Tu entres en sobriété heureuse, dans tous les sens de la démarche. Tu t’imposes des jours d’abstinence – alcoolisée, uniquement ! – et tu te mets au pain pétri maison et à la flotte plate.
C’est à jeun, hier, lundi 5 septembre, que je découvre la photo… Renaud ajoute un nouveau tatouage à ceux que le chanteur, jadis énervant, porte à fleur d’épiderme. Entre ses frêles épaules de sexagénaire trône à présent un vrai Christ, avec couronne d’épines. Pas le petit format, hein ? ! Le genre, comme la tête de mort sur le blouson des Hell’s Angels, qui part d’un point A de l’omoplate pour toucher le point B d’une autre. J’ai relu quelques fois l’article – d’abord parce qu’il était publié par Le Matin – et qu’avec ce genre de canular, tu crées un faux/vrai buzz pour gruger des plumitifs crédules. À l’instar des bonnes pâtes, j’ai laissé reposer l’info. Allait-elle toujours se lever ce mardi 6 septembre 2016 ?
Je redoute que oui.
« Renaud : le tatouage de la résurrection » (Le Point), « Le chanteur Renaud s’est fait tatouer le Christ » (Le Parisien), « Renaud : il s’est fait tatouer Jésus sur tout le dos » (Télé-Loisirs), « L’étonnant tatouage de Renaud : le visage du Christ en grand, dans son dos (photo) » (sudinfo.be)… Les sources se multiplient comme les petits pains. Même www.evangeliques.info s’y met et nous précise, comme les autres, le texte qui entoure la chose : « Comme lui j’ai aimé, comme lui j’ai souffert ».
Ben, tu sais quoi ? Il n’est pas le seul !
Le calvaire, le chemin de croix avec Renaud a commencé ce printemps avec un chant d’amour envers François Fillon, « un parfait honnête homme, un vrai politicien ». Compresse remise voici une semaine avec « Fillon, c’est un mec bien, honnête, je voterais pour lui s’il gagnait la primaire ». Le Figaro a consacré un grand papier à ce retournement de Perfecto, c’est dire… Renaud a beau dire, après coup, que ses propos sont détournés de leur contexte et récupérés à des fins électoralistes, il aligne un chouïa les bourdes.
Peu de temps avant de calancher, le dessinateur Siné, dans une de ses « Mini Zone » nous décrivait un plus jeune Renaud peu connu, parano, « persuadé d’être filé par la CIA, le Mossad, la Guépéou et la DSGE réunis ». Et Siné d’ajouter « Quelle tristesse que de l’entendre maintenant borborygmer avec une voix qui ressemble un peu à l’ancienne, mais qui ne trompe pas : « J’ai embrassé un flic » ! […] Je garderai comme la prunelle de mes yeux mes vieux vinyles (de Renaud, NDLR) et n’achèterai pas les ersatz, c’est trop triste ! »
Jusqu’à son dernier souffle, Siné est resté un anar pur et dur. Vous pouvez relire sa bio imagée – « Ma vie, mon œuvre, mon cul » – il ne dévie pas sa trajectoire d’un pet de lapin nain. Je l’aime parce que ses fondations restent cohérentes sur toute sa vie. Pas beaucoup de gens peuvent s’en vanter.
Renaud, lui, c’est un fragile.
Ses blessures devant l’âge et les séparations, ont tari ses sources. Sec d’inspiration, il a noyé ses angoisses dans des piscines de picrate en essayant de surnager. Ses plongées te mettaient en apnées de sympathie. Tu retenais ton souffle en espérant que le pathétique redevienne flamboyant, que le pochtron qui fume des joints se murge et redevienne moins con. Tu avais pour lui l’attachement que tu as pour les épaves qui fuient leurs vies de toute part sans vouloir se remettre à l’eau. Renaud, tu le voyais avec toute la tendresse du pilier de zinc qui se prend des tôles. Par amour, par sympathie, tu lui remettais une tournée. En hommage aux services et aux plaisirs rendus… Jusqu’au moment où Renaud s’est repris en main, il a déposé les verres pour en faire d’autres. Sans alcool.
Sinon, que te dire, à toi ?
Tu ne peux pas congeler tes ex-idoles dans l’iceberg du passé. Elles ont le droit de virer Titanic, de décongeler certaines certitudes, de changer par la farce ou la force des choses. Le Renaud que j’aimais dans les années quatre-vingt ne se compare pas avec celui de 2016. D’où la question : « Est-ce que l’âge et les rides sont des excuses à la connerie ? » Avec Papy Séchand, tes ressentiments hésitent entre évolution et trahison. Parce que, au point où il en est, il va nous faire quoi, encore, le Renaud ?
St Jacques de Compostelle en santiag ?
Un duo avec Jennifer ?
L’apologie de Macron sur sa mob ?
J’aurais pu aborder cette chronique comme d’habitude. En rebrousse-poil en t’affirmant que Renaud avait raison de virer sa cuti de révolté, que cette salope de vie t’enseigne l’humilité du Pénitent que tu dois être, car il y a des vraies valeurs à respecter devant le caveau. Voire le caniveau.
Je projette d’aller trinquer sur la tombe de Siné – cimetière de Montmartre – et me bourrer la gueule à la mémoire de Renaud, enterrer par contumace ce défunt anar qui se maintient dans une autre existence. Je ne ménagerai pas les canons, je boirai pour oublier ce qu’il est maintenant lors de son Apocalypse personnelle.
Je préfère être joyeusement poivrot que pathétiquement sobre.
Moi, je dis.
Joël Cerutti