DURANT L’APOCALYPSE (le bar reste ouvert) Voici deux ans, grands pleurs dans les chaumières à la suite du carnage de Charlie Hebdo. Aujourd’hui, ce sont les mêmes, sur la blogosphère, qui sortent la grosse artillerie contre le journal lorsqu’il ironise sur des catastrophes, des crashs ou des morts. Il y en a qui ont les indignations qui durent dix secondes, soit la mémoire du poisson Dory.
Avant l’Apocalypse, il faut rigoler. Surtout de la mort. Après ton trépas, dans ton urne, faire un stand-up pour que tes cendres se marrent, cela sera trop tard. Le 7 janvier 2015, sur la blogosphère, les pleureuses siciliennes ont mouillé les mouchoirs devant le logo « Je suis Charlie ». Suivit un magnifique défilé républicain, celui qui donne « une bonne conscience aux cons » (1) – comme le chantait le Renaud du XXe siècle. Heureusement qu’un pigeon, ce 11 janvier 2015, eut la bonne idée de poser une fiente sur l’épaule de François Hollande. La bestiole sauvait les meubles d’un certain mauvais esprit.
La solidarité passa par le porte-monnaie, celle qui permet aujourd’hui à Charlie de vendre dans les 50 000 exemplaires par semaine. Ou de traduire certains articles en anglais, de publier une version allemande en puisant dans les 10 millions de dons mis de côté… Une auréole allait-elle nimber de Sainteté la rédaction de l’hebdo ? Le retour de manivelle a commencé en septembre 2015 lors d’un dessin jugé dégueulasse par la blogosphère. Celui qui représente le petit Aylan, mort sur la plage, surmonté par un panneau Mac Do « Promo : deux menus enfant pour le prix d’un… » et la mention « Si près du but » (2). Une année plus tard, en septembre 2016, une caricature sur le séisme en Italie s’attire l’omerta des ex-veuves siciliennes. La maire d’un village – Amatrice – promettant de porter plainte pour « diffamation » (3). Le 28 décembre 2016, trois dessins sur le crash d’un avion militaire russe déclenche, selon certains, « un scandale national en Russie » (4). Une pétition d’un journaliste russe, Nikolai Zubov, exige des sanctions contre la France. Rien que ça ! Comme les ayatollahs qui voulaient la peau des dessinateurs se fichant du Prophète! Même raisonnement! Les commentaires, sous les articles (et sous pseudonymes), traitent celles et ceux qui ont soutenu Charlie de « gogos » et garantissent qu’eux – voui Mâdââââme ! – ont toujours détesté cette racaille iconoclaste qui ose se marrer des alignements de macchabées. Je ne perdrai pas du temps à les pointer, je me doute un tout grand peu que sur leurs murs de janvier 2015, je trouverai sans trop de problèmes pas loin du contraire.
Sur Facebook, les indignations se chronomètrent à dix secondes – celle de la mémoire du poisson Dory – un like, un visage qui grogne, une face qui pleure et ça zappe à autre chose. Avec un peu de chance s’ajoute un texte qui martyrise les pauvres participes présents ou passés, l’important étant justement de participer. Sans fond, sans raisonnement réel, juste du réflexe primaire, une pensée secondaire ayant loué un Airbnb dans un recoin éloigné du cerveau. Bienvenue dans l’authentique « crétinosphère » définie par Riss, rédacteur en chef de Charlie Hebdo, où il est vrai que ne fraient pas que des Prix Nobel du Cortex.
« Si je compran, sa di que toi, sa te fè rire les jans qui meurs… » Non. Pas du tout. Cela me chamboule. Mais je préfère une douleur exprimée par humour très noir – celle qui réveillera une certaine vraie empathie – que des déluges lacrymaux, hypocrites, dans un prétendu deuil que l’on oubliera aussitôt les dix fameuses secondes écoulées. Le poing dans la gueule risque – je dis bien « risque » – d’envoyer un électrochoc qui, justement, éviterait cette amnésie si confortable. Clique sur le lien «dessin mode d’emploi », plus bas, inutile de tomber dans la redite !
Lors de son récent enterrement, Burki a fait lire les courriers d’insultes qu’il recevait après certains dessins. Et qui l’amusaient beaucoup (5). Certaines exactement dans « l’esprit moral » courroucé qui passe au pilori les crobards de Charlie. Je mise beaucoup d’espoirs sur cette première chronique de 2017. Après tout, je taxe d’ignares certaines et certains qui cliquent « J’aimeuh » sur FB sans jamais lire une seule ligne des articles concernés. Si ce n’est pas le cas, j’en appelle aux injures ! Le jour de ma crémation, on imprimera les meilleures sur du papier recyclé. Elles alimenteront les feux de joie sous mon cercueil en carton. Je suis tout juste trop grand pour une valise. Moi, je dis…
Joël Cerutti
(1)
(2) https://charliehebdo.fr/dessin-mode-demploi/
(4) http://www.liberation.fr/direct/element/crash-en-mer-noire-charlie-hebdo-choque-la-russie_54828/
(5) http://www.tdg.ch/news/news/adieu-raymond-talent-eclairait-existences/story/27398009
Illustration: matériel promotionnel autour du « Monde de Dory » (Pixar et Disney)/polices de caractère « Je suis Charlie »
Le choix de la chanson de Renaud, c’est pour évoquer le champion de retournement de veste et de la mémoire courte ?
Si ce n’est pas le cas, dommage d’avoir choisi une des chansons qu’il a autrefois publiquement reniée.