PHOTOCHOPE (6) Olivia Seigne fait partie de ces comédiens qui vous marquent: une voix envoûtante, un phrasé atypique, une présence scénique impressionnante. Malgré un parcours brillant dans les méandres du monde théâtral, la sédunoise ne considère rien comme acquis. Elle évoque avec passion les défis futurs à relever: les créations avec sa compagnie StoGramm, et surtout le passage à la mise en scène, notamment celle de l’opéra « L’Orfeo » de Monteverdi qui aura lieu en été 2016 sur le site de la Ferme-Asile. Egalement titulaire d’une licence en russe, Olivia Seigne est une passionnée des mots, comme en témoignent ses réponses poétiques au questionnaire de « Photochope » :

Germain Clavien disait : « Autrefois les Valaisans gardaient leurs vaches, aujourd’hui ils gardent leurs immeubles. » Votre vision idéale de l’aménagement du territoire en Valais, c’est plutôt « Gotham City » ou « La petite Maison dans la prairie » ?

Métaphore enfantine pour métaphore enfantine, je choisis le monde des Barbapapas : leur capacité à vivre ensemble, à construire, à imaginer des mondes qui ne sont pas forcément ceux des promoteurs.

Je n’arrive pas à associer critères d’habitation avec minimum trois salles d’eau et colonne de lavage, « Penthouse » aux grandes baies vitrées avec vue dégagée sur l’immeuble juxtaposé, et, si vous tendez le cou, mais oui, regardez bien, en haut à gauche, on aperçoit la piste de l’Ours !

Construire certes mais penser avant tout aux personnes qui vont vivre dans ces bâtiments, à leur espace vital, aux arbres, aux espaces partagés, à la qualité des matériaux, à la beauté des couleurs et des volumes que diable ! Densifier d’accord mais en pensant au paysage, ce patrimoine commun qui est comme l’air que l’on respire : On ne le paie pas, on ne peut pas s’en passer.

Il y a dans ma ville des endroits vides de sens car ils ne sont que la somme de petits calculs immobiliers. Le résultat est à peine plus joyeux que les banlieues des villes soviétiques. Comme les extrêmes se rejoignent !

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En juin dernier, Sion a accueilli la Pride. Vous y a-t-on vu danser sur un char ou jeter des cailloux sur ces brebis égarées?

J’ai défilé main dans la main avec des amis. Il y avait un esprit chaleureux, fraternel, joyeux, quelque chose de serein qui contrastait avec le témoignage de ce jeune homme né au Cameroun, un pays où l’orientation sexuelle peut vous mener au supplice et à la mort.

J’ai senti une sorte de recueillement collectif pour toutes les personnes LGBTIQA etc… qui subissent tant de violence dans le monde. C’était fort.

Même si cette fois on a prié les lanceurs d’anathème d’aller prier ailleurs, il restera toujours une marge de manœuvre pour nous aider à ne pas avoir peur de la différence, pour que cet enfant, seul dans son village, seul dans sa vallée, cesse de cacher son homosexualité à sa mère, pour que mon jeune ami T. qui se rend à l’hôpital de Sion pour donner son sang ne soit pas renvoyé avec mépris, pour qu’on n’entende plus ce genre de phrase : « Je n’ai rien contre les homosexuels, mais… », « L’homosexualité peut être guérie … ».

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Le parlement valaisan compte environ 15% de femmes. Pour vous une gonzesse en politique, c’est un homme politique avec des seins ou une femme avec des couilles?

Elle porte parfois des gants de velours, mais c’est surtout une personne politique comme les autres, avec une carapace de tortue, des nerfs de titan, des crocs de loup souvent et une langue de vipère parfois. C’est quelqu’un avec tout ça mais qui peut, malgré cela, garder comme principal moteur une relation intacte, idéaliste, voire utopique avec l’humain.

Les hommes nous ont prouvé qu’ils pouvaient être de grands personnages politiques – même si Jean Jaurès, peu de gens le savent, était en réalité une femme à barbe…

Nous avons hélas perdu beaucoup de femmes au potentiel politique inestimable dans l’aventure des siècles. Tenez je pense à ma grand-mère, étudiante en science politique à Sofia, déterminée, ambitieuse, intelligente, redoutable stratège et quoi ? Elle rencontre un jeune valaisan, journaliste – mon grand-père – envoyé dans cette Bulgarie pas encore communiste et l’épouse. La guerre survient pendant leurs vacances d’été, en Valais. Elle y passera le reste de sa vie, en exil, pondant fille sur fille au grand dam de mon grand-père et sera tout naturellement femme au foyer choyant un jardin extraordinaire et toujours passionnée de politique. Mais ses analyses subtiles ne rencontreront au final que les oreilles béotiennes et distraites de ses petits enfants …

Il y en a tellement de ces femmes dont les idées ont fini dans le tourbillon de l’évier avec l’eau de vaisselle. Et même si notre époque laisse une place importante aux femmes dans la société, la plus importante jamais vue peut être, j’espère qu’il y aura de plus en plus de femmes politiciennes, présidentes, garagistes, gouroues… Et surtout que les clivages de métiers entre les sexes seront réduits à néant et qu’on n’aura plus besoin de perdre notre temps à compter, à définir des quotas, à se prendre le chou avec le féminin des noms tels professeure, procureure ou promoteure….

En même temps, hommes ou femmes, qu’importe. Je suis reconnaissante aux personnes qui s’engagent en politique, qui s’engagent vraiment, pour défendre dans le respect de la diversité une idée du bien commun, c’est un sacré sacerdoce !

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Au-delà de la Raspille vivent des individus dont les mœurs et le langage échappent souvent à la compréhension des Bas-Valaisans. Quels liens entretenez-vous avec la partie supérieure (géographiquement) de notre canton?

Alors là vous mettez le doigt sur quelque chose de doublement magique. Dès que j’arrive dans le Haut Valais, je rencontre des gens charmants avec lesquels, malgré la barrière de la langue, je communique sans problème.

Comment cela est-il Dieu possible ? Mais parce qu’il n’y a pas de barrière de la langue : Les hauts-valaisans parlent tous le français pardi, mieux hélas que je ne parlerai jamais le haut-valaisan, cette langue fascinante au chant médiéval coloré.

Tout comme chantent leurs vallées, leur paysage, leur nature. Même la plaine du Rhône sait parfois s’y faire belle.

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Le Valais nage depuis quelque temps dans un bouillasson politico-médiatico-juridique. Aimeriez-vous que les médias valaisans vous informent sur ces affaires ou préférez-vous découvrir chaque semaine le lieu incroyable où se trouve le « cube 365 »?

Tant que la justice n’a pas fini son œuvre et asséché le bouillasson, il faut le garder sur le feu médiatique et le faire frémir sous la vox populi !

Quand un bon mensonge se vend mieux qu’une mauvaise vérité, quand – comme me l’a dit une amie enseignante proche de la retraite et du découragement – trichent, volent et mentent ceux dont la mission est précisément de veiller à ce que l’on enseigne à ne pas voler, ne pas mentir, ne pas tricher, alors les médias ont le devoir de chercher à rétablir l’ordre des choses, de ne pas capituler, de continuer à nous informer.

Bon, d’accord, il y a ça. Mais pas que.

Ne parler que des gangsters, c’est leur donner une option sérieuse sur la victoire en leur laissant tout le champ médiatique : à la longue, on finit par s’habituer, par croire que tout est pourri, que tout est foutu et qu’en définitive, tout est égal à tout.

C’est faux. Bien sûr. Il y a de si belles choses dans notre canton, des personnes exemplaires pleines de talent et d’énergie mais plus discrètes et dont il faudrait parler. On a besoin de se retrouver autour de projets communs positifs, porteurs d’espoir, de beauté, de culture, de rire…

Donc, pour répondre à votre question, le journaliste doit savoir tremper son stylo dans la plaie, là où ça fait mal, lorsque c’est nécessaire, mais sa plume peut aussi aider les belles choses à prendre le vent.

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Comme Olivia Seigne le dit si bien : «il y a de si belles choses dans notre canton , de belles âmes comme la sienne qui nous font voyager le temps d’un entretien. Dans ce dernier, elle nous confiait que pour durer dans son difficile métier, il fallait «ténacité, obstination et persévérance», c’est tout ce qu’on lui souhaite pour la suite de sa carrière, avec bien sûr un soupçon de chance!

Texte : Anne-Christine Willa

Photos : Christian Miraillès

Olivia Seigne est sur Facebook, vous trouvez ici un joli résumé de son parcours professionnel et ici le site du collectif StoGramm.

Merci à la Ferme-Asile pour l’accueil toujours impeccable dans ce lieu artistique.

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