PERDU DANS L’ESPACE Il y a un communiqué que le Conseiller d’Etat valaisan Maurice Tornay aimerait bien oublier. Il date du 24 février 2010 et marque le début de l’affaire Savioz. Quand on le relit, cinq ans plus tard, tout y est faux de A jusqu’à Z.
Tapez quelques mots clés. Recoupez par dates. Vous ne le dénicherez plus. Le «Communiqué pour les médias» du 24 février 2010, publié par le canton du Valais, manque à l’appel de votre souris. Sur internet, vous retrouvez celui du RSV – Hôpital du Valais – qui figurait dans «La documentation pour les médias» distribuée le 25 février (RSV 25 février 2010). Pas celui du Département des finances, des institutions et de la santé d’alors, dirigé par le Conseiller d’Etat valaisan Maurice Tornay.
On vous le (re) publie pour raviver la mémoire numérique.
En version PDF: Tornay
A présent, si nous revenions sur certains points ? Reprécisons le contexte du moment…
Une analyse de 393 pages
Mai 2009, le professeur Daniel Savioz se pose de sérieuses questions sur les compétences de son supérieur, Vincent Bettschart, chef de la chirurgie en Valais. Elles concernent des opérations pointues en chirurgie abdominale et viscérale. Daniel Savioz alerte sa hiérarchie. Qui ne bronche pas. Voyant l’impasse, le professeur transmet 49 dossiers hors du canton, à Genève, pour analyse. Début février 2010, le verdict et le rapport tombent.
Le document pèse bien ses 393 pages, rédigées par des experts comme les professeurs Philippe Morel et Gilles Mentha. Il se penche de façon poussée sur les divers cas. Il met en cause les «initiatives» de Vincent Bettschart en chirurgie abdominale et viscérale.
La mortalité opératoire est 19 fois plus élevée que dans un service de référence universitaire tel que les HUG
Que contient-il ? «La prise en charge chirurgicale des pathologies du pancréas est sujette à discussion chez plus d’un patient sur deux (50%) ». Quant à un autre organe… « 50% des patients après œsophagectomie présentent des suites opératoires grevées de complications majeures». Et si l’on reste dans le domaine des statistiques… «La mortalité opératoire grevant les interventions de chirurgie hépatique (15%) est prohibitive»; elle est «19 fois plus élevée que dans un service de référence universitaire tel que les HUG».
L’homme cumule 31 fonctions, cela vous remplit un agenda.
Toutes ces observations portaient sur des opérations réalisées en 2009. Elles sont transmises au médecin cantonal de l’époque, Georges Dupuis. Elles restent lettres mortes… comme certains patients. On pourrait lui donner quelques excuses, à Georges Dupuis. L’homme cumule 31 fonctions, cela vous remplit un agenda.
Une contre-expertise de 10 pages
Pour répliquer à cette charge, que fait Maurice Tornay, sans doute conseillé par Georges Dupuis et autres pontes du RSV, tous présents à la conférence de presse du 25 février ? On vous remet le passage…
Venons-en à ces «personnalités médicales»… Le tandem Pierre-Alain Clavien et Daniel Scheidegger, le milieu médical valaisan le connaît bien. A chaque fois que le RSV souhaite museler une brebis galeuse ou soutenir des bavures, c’est lui que l’on mandate.
Daniel Scheidegger avait recommandé l’engagement de Vincent Bettschart au sein du RSV.
Le cas le plus pathologique (ou pathétique) reste Daniel Scheidegger, anesthésiste de l’Université de Bâle, que le RSV avait déjà utilisé pour dégommer en 2005 le Dr André Richard. Daniel Scheidegger avait recommandé l’engagement de Vincent Bettschart au sein du RSV en remplacement du Dr Richard. On voit alors mal comment il pourrait se déjuger lui-même durant la série d’expertises bâclées qu’il a commises pour innocenter son poulain ! A sa décharge, Daniel Scheidegger avait bien conseillé de sérieusement l’encadrer dans certains domaines.
Comment nos deux «personnalités médicales» (bis) ont-elles procédé pour répliquer aux 393 pages de Morel, Mentha et Savioz ?
Le 5 février 2010, elles interrogent 14 personnes et lisent soi-disant les 49 dossiers. Leur investigation poussée se présente ensuite sous la forme d’un document de 10 pages A4 qui synthétise surtout les interviews. Le tout payé 3500 francs et quelques bouteilles de fendant. Un peu plus tard, le duo concèdera qu’il a eu «des éléments incomplets».
Cela s’améliore!
C’est sur ça que Maurice Tornay, ce 25 février 2010, s’appuie pour «se forger une opinon claire». Mieux, il garantit aux citoyennes et citoyens que la qualité de la chirurgie abdominale et viscérale s’améliore. «Je me réjouis de cette évolution », souligne-t-il durant la conférence de presse.
Sur le fond, Maurice Tornay, alors chef du DFIS, a-t-il eu raison de mandater ces «personnalités médicales» (ter) ? Est-ce la procédure à suivre en cas de litige au sein du RSV-Hôpital du Valais ?
Une année plus tard, en avril 2011, la Commission de Gestion – qui a enquêté sur cet épineux problème – pose quelques interrogations dans son rapport.
Rapport de la COGEST au complet: Cogest
Vous ne rêvez pas: il existait, en interne, de quoi réagir aux inquiétudes de Daniel Savioz ! Sans que cela parte en sucette médiatique!
Ce qui aurait évité – dans un schéma purement spéculatif – quelques dizaines de futurs morts sur les tables d’opération, des millions perdus en audit, rapports et autre agence de communication, et un déficit total d’image dont Hôpital du Valais peine à se remettre…
Tout ça pour une poignée d’opérations, réalisées par une minorité de praticiens, dont les actes sont retombés sur plusieurs milliers de personnes employées par RSV-Hôpital du Valais. Voilà ce qui s’appelle un beau gâchis de non-gouvernance… Le prochain rapport de la CEP – où, durant l’enquête Maurice Tornay aurait refusé de répondre à une question sur deux – n’arrangera pas les bidons !
Joël Cerutti
PS :
Le 7 juillet 2011, entendus à la Villa de Riedmatten, Paul-Henri Moix, coordinateur du DFIS et le juriste Jean-Charles Délèze sont interrogés sur le rapport d’expertise Clavien-Scheidegger. Dans le PV officiel tenu pour cette séance, Moix et Délèze balancent cette phrase : «Il est rappelé que le professeur Bettschart prend des risques avec certaines de ses opérations et que c’est ainsi que la médecine progresse.»
La justice, le 5 octobre 2011, lave Daniel Savioz de tous soupçons suite à la plainte pénale, déposée par le RSV en mai 2010, «pour violation du secret de fonction». Elle évoque un «état de nécessité».