PLUME TROP ALERTE? Lors de la parution du « Valais surprenant et détonnant », tome 1, une fiche n’a pas reçu l’aval de la Bourgeoisie de Sion. Comme on me demande souvent d’en parler, la voici!
Encore hier soir, lors de la très agréable émission « Couleurs d’été » (RTS1) – http://www.rts.ch/video/info/couleurs-locales/6007134-l-interview-de-joel-cerutti-ecrivain-et-journaliste-a-sion.html – la journaliste Tania Chytil m’a fait parler de mon aventure avec la Bourgeoisie de Sion. Cette fiche que l’on m’a interdit de publier. Comme elle ne figurait pas sur le site, la voici! Suivie d’une remise en perspective…
FICHE CENSUREE PAR LA BOURGEOISIE DE SION ET LA FONDATION FELLINI
Lieu : La Maison du Diable, Sion
Titre : Supersaxo rencontre Fellini
Aux alentours de 1515, Georges Supersaxo veut une certaine intimité. Que voulez-vous, le notable est un chaud bouillant qui a quand même eu 23 enfants avec la même femme. Un certain appétit charnel, pour vous résumer le tableau.
Que de médisances pour un simple pavillon de chasse !
Georges ordonne la construction d’une «maison de campagne», en dehors des remparts de Sion. La presse people du moment, à savoir les sales langues, s’emballe. Georges Supersaxo se paie sa garçonnière. Que de médisances pour un simple pavillon de chasse !
Quitte à donner dans le délire, on suppose qu’un souterrain relie les lieux à la résidence officielle de Georges Supersaxo en ville de Sion, rue de Conthey. «Peut-être des restants d’égouts romains que Supersaxo aurait exploité pour sortir de nuit, hors des murs de la ville, une fois les portes fermées. Mais rien n’est avéré… », confie une historienne, sous le sceau de l’anonymat.
En 1609, Jean, arrière-petit fils de Georges, récupère cette maison. Il y creuse un puits ingénieux qui permet, par la suite, de conserver au frais les meilleures bouteilles de la région. En fonction des propriétaires, les lieux connaissent des fortunes diverses.
La Maison du Diable entre dans le classement des monuments historiques fin 1961.
Le nom «Maison du Diable» apparaît pour la première fois sur un plan en 1857. Une chose est certaine. Le 18 mai 1905, La Gazette du Valais la décrit comme une véritable «épave». Dès lors, on restaure et la Maison du Diable entre dans le classement des monuments historiques fin 1961.
Dès 2011, la Fondation Fellini se voit confier les clés des lieux par la Bourgeoisie de Sion. L’âme de Supersaxo rencontre celle du réalisateur de «Casanova», l’esprit des lieux n’est pas trahi. Eh oui…
En 2001, un des fonds les plus conséquents dédiés au célébrissime metteur italien est déposé à Sion. La Fondation Fellini démarre avec 15 000 documents (scénarios, photos, affiches, etc.) liés en grande partie à l’œuvre du Maître. Ce trésor appartenait au secrétaire de Fellini, Gérald Morin. Depuis, la collection s’est considérablement étoffée et elle repose à la Nouvelle cinémathèque suisse. La Fondation Fellini, depuis Sion, noue des collaborations avec force partenaires internationaux.
Dans la Maison du Diable, expos, projections, conférences de haut vol rendent hommage au 7e art.
MAIS ENCORE : Presque en face de la Maison du Diable, remettez-vous de vos émotions dans le tout petit café «Chez Gabrielle» (Av. de la Gare 4). La patronne double la chaleur de son accueil par des dons de guérisseuse.
Remettons dans le contexte!
Début avril 2013, je finis la fiche sur la Maison du Diable. En fonction des éléments recueillis, je trouve plein de correspondances entre le premier occupant des lieux, Georges Supersaxo, et la Fondation Fellini qui a hérité de l’endroit…
Comme à chaque fois, j’envoie pour contrôle ma prose aux personnes intéressées. Stéphane Marti, de la Fondation Fellini, reçoit mon texte en premier. Le 9 avril, il m’apporte quelques utiles précisions factuelles. Il se montre déjà réticent sur certains termes, dont celui de «parties fines»… que j’enlève.
Pas mes patrons!
Bon prince, je corrige, j’adoucis et je réexpédie. Je mets néanmoins une limite à cette amabilité, précisant que seul un patron qui me paie peut décider ce qui se met ou pas dans mes textes…
Le texte ne nous convient pas du tout, tant à la Bourgeoisie de Sion qu’à M. Marti de la Fondation Fellini.
Plus de nouvelles et relance, le 22 avril pour avoir la réponse, cette fois de la Bourgeoisie de Sion, via Carole Schmid, Conseillère bourgeoisiale et membre du Conseil de fondation. «Comme nous vous l’avions communiqué le texte ne nous convient pas du tout, tant à la Bourgeoisie de Sion qu’à M. Marti de la Fondation Fellini.Nous vous demandons donc de le supprimer de votre publication. » Entre deux, elle a également appelé les Editions Slatkine pour leur faire part de son profond mécontentement. Celles-ci n’ont pas compris le sens profond de son téléphone. Encore moins quand elles lisent la fiche fort sage que vous venez de découvrir.
Seule fiche censurée
Je me suis donc fendu, le 23 avril, à Mme Carole Schmid et M. Stéphane Marti, du mail suivant : «Le nécessaire sera fait. Sur 140 fiches, vous êtes la seule qui sera censurée, ce qui est paradoxal dans un lieu dédié depuis peu à un artiste qui prônait la liberté d’expression. J’espère que vous goûterez tout le sel de ce paradoxe par ma foi fort amusant.» J’ai répondu un peu vite, il y a deux fois le mot «paradoxe»…
Sur le fond, rien ne m’obligeait à obtempérer. Sur la forme, mon fort intérieur m’a glissé que cela serait une belle carte de visite pour la sortie du «Valais surprenant et (d)étonnant, guide impertinent». L’1dex se fait une joie de publier cette fiche en novembre 2013.
Hier soir, le 16 juillet 2014, via Facebook, un ami m’avoue aussi avoir eu affaire à une censure bourgeoisiale et sédunoise. « Ils ne m’ont pas autorisé à photographier les œuvres du très célèbre artiste Antoni Tapies, à l’intérieur du couvent des Capucins…qui leur appartient… », m’écrit-il.
Youpi, je ne suis pas un cas isolé! Je remercie évidemment tous les actrices et acteurs de cette aimable pantalonnade.
Joël Cerutti