HERITAGES   Le récit «Mohicans» taille un méchant costard à Philippe Val. Documents et chiffres à l’appui, le journaliste Denis Robert montre comment il a spolié Cavanna de l’héritage autant spirituel que financier de Charlie Hebdo. Une enquête étayée et amère.

9782260029014Juillet 2011, les dessinateurs Riss et Charb sollicitent Cavanna pour une préface… qu’ils n’oseront jamais publier. Il s’agissait, pour le père spirituel de Charlie Hebdo, de pondre un texte précédant les Milles unes de l’hebdomadaire. Pour l’amadouer, on lui envoie les articles déjà pondus par ses acolytes Cabu et Wolinski. Evidemment joyeux et positifs. «Je suis désolé, écrit-il, je ne puis m’associer à une telle unanimité dans l’allégresse lorsque me reviennent à l’esprit certains épisodes crapuleux de la prise du pouvoir par Val, la servilité de certains d’entre vous, la mainmise de ces gros malins sur le pognon et votre acharnement à me dépouiller.» 

Cavanna en a gros sur le cœur et il y a de quoi.

Le 0,44% de Charlie

Dans le journal qu’il a fondé – mort en 1981, déterré en 1992 – il se sent «une vieille potiche qu’on met sur le haut de la cheminée». Il souffre du syndrome de la chaussette sale, portée, roulée en boule et oubliée dans un coin. Petit à petit, il est passé de la page 3 en queue de Charlie Hebdo, vers la 10, la 13, la 14. Et tout ça pour un salaire de misère qu’il doit parfois aller quémander. Par mois, il touche entre 1800 et 2000 euros. Il «possède» le 0,44% de son journal alors que Val et Cabu empochent le 80% des dividendes. Ce qui représente, nous calcule le journaliste Denis Robert, sur trois ans, 2 564 170 euros. Pour être plus précis, Philippe Val, dans ses dernières années à la tête de Charlie, s’est octroyé un salaire mensuel de 38 737 euros. A ceci s’ajoute quelques astuces financières et immobilières autour des locaux du journal…

Une manne quasi divine tombée du ciel grâce à… Cavanna!

Lorsque Charlie Hebdo renaît, en 1992, cela génère un sac d’embrouilles autour de la paternité du titre. Il pourrait aussi appartenir au Professeur Choron, autre figure marquante de l’aventure. La justice finit, en 1995, par accorder la propriété intellectuelle à Cavanna. Une fois la question réglée, Philippe Val et son «frère», l’avocat Richard Malka, vont gérer le business Charlie à leur manière.

Des journaux qui sentaient le foutre, la sueur, l’alcool

Nul besoin de constituer une société des rédacteurs et de distribuer des parts équitablement aux anciens. Les affaires se monteront en petit comité d’élu où le «brave» Cabu touchera le jackpot bien plus que d’autres membres fondateurs. Normal, il ne conteste rien de ce qui vient de Philippe Val, devenu seigneur et maître du titre dont il dénature l’esprit premier. Cabu se prend même une baffe assenée en pleine rue par Delfeil de Ton, un autre vieux de la vieille, pour cause de servilité. Charlie se politise, prend des positions militaristes, vire les fortes têtes. Comme le dit le proverbe chinois : «Le clou qui dépasse appelle le marteau».

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Certains surnomment Val, «Le Pizzaiolo» ou «Spinoza quatre fromages».

Aux séances de rédaction, Philippe Val garantit des monologues chiants. Il interdit la picole et la cigarette dans les locaux, surveille qu’on ne téléphone pas en province aux frais du journal. Willem explique qu’il n’avait plus le droit de chanter ou d’écouter de la musique en dessinant. «Une ambiance vraiment pourrie », résume l’ex-collaborateur Lefred-Thouron. Certains surnomment Val, «Le Pizzaiolo» ou «Spinoza quatre fromages». Loin, très loin, l’époque où les journaux produits par Cavanna, Gébé, Cabu, Wolinski «sentaient le foutre, la sueur, l’alcool». Révolus ces temps où Choron devait se taper une milliardaire de 75 ans pour payer le journal. Denis Robert, sur 303 pages, raconte «la dilapidation d’un héritage» ou comment mettre une capote à la subversion, en faire une marque déposée. Quand Val quitte le journal, en 2009, il ne se gêne pas de laisser 446 178 euros de déficit derrière lui. Après le drame du 7 janvier, la communication de Charlie a été gérée par Anne Hommel, qui s’était occupée de DSK, Cahuzac ou Omar Bongo. Qu’en penserait Cavanna?

Cavanna

Ce livre, Denis Robert n’aurait jamais dû l’écrire. Tout le monde le lui a déconseillé. Ses amis. Son éditeur. Pourquoi ? Car entre Denis Robert et Philippe Val, il existe des contentieux qui remontent à l’affaire Clearstream… dont l’avocat était un certain Richard Malka. Denis Robert avoue : «J’ai l’esprit de contradiction.» Et surtout de quoi prouver ce qu’il avance. A tel point que l’éditeur Julliard a subi de fortes pressions pour que «Mohicans» ne sorte pas. Robert le dit au micro de Daniel Mermet, le lundi 9 novembre.

http://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/DENIS-ROBERT-LA-VERITE-SUR-CHARLIE

Il précise aussi sa méthode de travail sur Facebook: https://www.facebook.com/notes/denis-robert/ecrire-t%C3%A9moigner-et-combattre/10153047718790916

L’ouvrage n’a rien d’une entreprise de démolition gratuite, il pose un constat doux amer. «Mohicans» nous parle d’un journal qui ne sera plus ce qu’il était et qui n’est pas ce qu’il devrait être. Malheureusement.

Denis Robert a également réalisé un documentaire, puis un film sur Cavanna sorti en juin 2015 dans les salles (DVD prévu pour décembre). Charlie Hebdo ne lui a pas consacré une seule ligne.

Joël Cerutti

Photo Denis Robert: Agence Poppy – Wikipedia

PS: On vous renvoie à notre quadrilogie sur Charlie Hebdo, écrite juste après le 7 janvier, rédigée en réaction à la méconnaissance totale de ce sujet constatée chez bien des consœurs ou confrères…

http://www.pjinvestigation.ch/?p=2404

http://www.pjinvestigation.ch/?p=2443

http://www.pjinvestigation.ch/?p=2500

http://www.pjinvestigation.ch/?p=2541

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