TRAIN TRAIN «Snowpiercer» où comment un film sud-coréen redonne vie à une BD française des années 80 un peu oubliée. Un destin pas banal retracé dans les bonus du DVD qui vient de sortir.
En 2031, mauvaise nouvelle pour notre Terre : elle subit un destructeur âge glaciaire. Les derniers survivants de l’espèce humaine vivent dans un immense train. Le bas peuple s’entasse dans les wagons de queue. La bourgeoisie se prélasse dans les compartiments les plus proches de la locomotive. Evidemment, la révolte commence à gronder. Vous voici dans l’univers du «Transperceneige», une BD parue dans le mensuel (A Suivre).
Buzz naissant?
En 1982, la saga marque les geeks du moment. Cela s’arrête là. Le scénariste Jacques Lob considère pourtant ce travail comme l’aboutissement de sa carrière. A l’opposé, le jeune dessinateur Jean-Marc Rochette y apprend son métier case après case. Il s’inspire des grands maîtres des comics américains, particulièrement Alex Toth, réputé pour son absolue maîtrise du noir et blanc.
Tu ne l’as pas vu au cinéma ? T’es con, j’te passe le DVD !
«Le Transperceneige», l’année passé, devient «Snowpiercer» un film porté par Bong Joon Ho, un réalisateur sud-coréen. Dans son pays, «Snowpiercer», dont le budget de tournage avoisine les 40 millions de dollars, draîne les foules. A l’international, on parlera de succès d’estime. En France, le film termine sa carrière vers janvier 2014 avec un honorable 700 000 entrées. Mais l’œuvre pourrait avoir le potentiel pour grignoter une estime progressive. Le genre ? «Tu ne l’as pas vu au cinéma ? T’es con, j’te passe le DVD !» ou «J’te refile le lien pour la version en streaming sur le net.» Certains le comparent déjà à «L’Armée des Douze Singes» de Terry Gilliam…
Réalisé grâce à un piratage
Parlons donc de ce que vous ne verrez pas sur la VOD ou internet, un documentaire de 50 minutes qui accompagne le film dans les bonus. Vous le retrouverez – et c’est un miracle ! – sur la version distribuée en Suisse romande par Ascot Elite, tant sur le Blue-ray que le DVD simple.
Derrière le titre un peu fadasse «De la feuille blanche à l’écran noir» se pose la question de base. Comment foutre de diable, une BD française noyée dans la production des années huitante arrive entre les mains d’un réalisateur coréen ? Réponse : grâce à une traduction et une édition pirates !
En se contrefichant des droits d’auteur, «Le Transperceneige» se retrouve dans les comics shops coréens vers fin 2004. Cherchant l’inspiration pour l’écriture d’un autre film, le réalisateur Bong Joon Ho ouvre l’album et ne le lâche plus. Il le lit entièrement dans le magasin avant de repartir avec, nanti de l’idée que cela ferait une magnifique superproduction. Il ne lâchera pas l’affaire.
Vidé de son énergie et de sa motivation, Rochette quitte Paris, s’installe à Berlin
Entre temps, le dessinateur Rochette se retrouve avec le dégoût du monde de la BD. Il a bouclé les trois tomes du«Transperceneige». Il collabore avec d’autres scénaristes – comme Pétillon – mais il se révèle de moins en moins «bankable». Le second tome d’une histoire plus personnelle reste dans les tiroirs d’un éditeur. Septante pages payées mais pas publiées, il comprend le message. Vidé de son énergie et de sa motivation, Rochette quitte Paris, s’installe à Berlin où il entame une nouvelle carrière de peintre.
Petit à petit, il se constitue une seconde vie artistique jusqu’au moment où il est ratrappé par «Le Transperceneige» version coréenne. Une résurrection venue du passé, d’un pays asiatique, d’un nouveau support, le cinéma.
«Has been» à nouveau considéré
Le documentaire de Jesus Castro nous montre cet émerveillement. Classé comme has been du 9e art, une valeur négligeable, Rochette retrouve une considération à l’autre bout du globe. Il n’en revient pas. Cela se voit dans la flamme de ses yeux, ses sourires.
Sur le tournage du «Snowpiercer », dans des studios à Prague, il reste baba face aux décors qui concrétisent en trois dimensions ses vieux coups de crayon. Il se fond dans la figuration et se retrouve, l’espace de quelques prises de vue, face caméra. A la sortie du film en Corée du Sud, il dédicace comme jamais. On lui montre des dessins, on lui demande des conseils.
De ringard, le voilà avec le statut de tuteur !
De ringard, le voilà avec le statut de tuteur ! Les parallèles avec son œuvre s’imposent dans une symbolique facile.«Snowpiercer» décrit la révolte de petites gens humiliées, littéralement dans le dernier wagon de la société. La révolution, quand elle se met en marche, fait remonter les gueux de compartiment en compartiment vers la locomotive, lieu du pouvoir absolu.
Qu’a donc fait Rochette sinon d’effectuer un parcours identique? Même s’il y a quelques petites redondances, le documentaire suit cette progessive resurrection sur plusieurs années. Rochette, face caméra, a retrouvé l’envie d’en découdre avec la BD. Il attend juste un grand scénario humain. Que le message passe, bon dieu !
Joël Cerutti