DEFI Depuis quelques mois, je construis, chapitres après rencontres, un livre avec mon ami aveugle Claude Lonfat. Il s’agit de lui faire découvrir des personnes qu’il ne connaît pas mais en lien avec sa vie. Voici le chapitre un, en intégralité, réservé à nos abonné(e)s.
Mireille et les femmes de bronze
Où la première rencontre oblige Claude à de sacrés jeux de paumes.
Cela commence par un jeu – pour une fois pas à la con – sur Facebook. Ce 11 janvier 2014 à 15 h 40 tonitruantes on m’« assigne une artiste ». Hein ? Pardon ? A savoir partager sur mon mur l’œuvre d’une artiste qui m’a été désignée d’office. Vous avez eu peur ? Moi aussi. On reste dans la bienséance du «Tout bien tout honneur… »
C’est une vraie amie d’avant Facebook qui me lance ce défi.
L’artiste s’appelle Mireille Zagolin-Bourgeois. Je ne la connais ni d’Eve, ni d’Adam, et encore moins de la pomme ou du serpent.
Là, sur le moment, je ne sais pas ce que je perds. Par la suite, j’apprendrai ce que je vais gagner !
Comme je peux être un gentil garçon, à 15 h 47 pétaradantes, j’envoie un message personnel à Mireille Zagolin Bourgeois. Si je publie et partage, je veux mieux connaître. Normal.
Mireille tombe des nues. Normal. Elle aussi ignore tout de moi. Et aussi de cette chaîne artistique sur Facebook.
Elle me répond par un timide, voire méfiant «Bonjour… Que souhaitez-vous ?» Je l’imagine en train de froncer les sourcils, les cils intrigués, devant son ordinateur. Elle pourrait se dire qu’un pervers, polymorphe ou pas, tente de la draguer sous prétexte d’un fallacieux intérêt culturel. On subit de tout, sur le numérique.
J’ai eu un semblant d’éducation. Alors je décline mon pedigree et reçois en retour un lien avec son site personnel (http://www.mireillezagolin.com/). Je découvre que Mireille, expatriée à Nyon, possède des racines valaisannes. De Bovernier. Et qu’elle connaît une fille que j’ai fréquentée aux Nouveaux Buissonnets, Léonice. Facile à retenir, il ne doit pas y en avoir 36 000 avec un tel prénom…
«Léonice, nous étions à l’école primaire ensemble et sa maman était enseignante de travaux manuels. Tu lui fais une grosse bise de ma part… », me répond Mireille, ce 21 janvier.
Depuis quasi trente ans, je n’ai pas recroisé Léonice, cela serait coton, côté bises.
Entre nous, c’est Mireille qui me tutuoie en premier. Je n’aurais pas osé une telle familiarité en tant que timide contrarié. La glace se brise, se fond dans ce terrain d’intersection patriotique. (petite pause, ici pour entamer «Sentiers valaisans»)
Opiniâtre patate
D’autant qu’une idée commence à germer dans ma tête, telle une opiniâtre patate.
Je pourrais très bien partir à Nyon, avoir une très agréable conversation avec Mireille, prendre des notes sur mon carnet noir et tapoter ensuite sur le clavier de mon Mac les impressions de la chose.
J’ai passé l’âge de m’emmerder avec du conventionnel.
Du basique. Du pas original. J’ai passé l’âge de m’emmerder avec du conventionnel.
Je recoupe tout ça avec plusieurs conversations que j’ai eues avec mon ami Claude Lonfat.
Après la sortie des livres «Soleil Noir» et «Victoires», cette tête de mule, originaire de Finhaut et habitant à Drône-Savièse, s’est fourré dans son crâne à lui de commettre un troisième bouquin avec moi.
Je lui ai répondu «Banco!» en posant une condition. Qu’il accepte de sortir de sa zone de confort, si on peut parler ainsi avec un homme qui est passé par les épreuves les plus immondes. Depuis bien des années, Claude n’a pas eu le choix que de se rassurer en recréant le monde à ses mesures.
La publication de ses deux ouvrages l’ont sorti de son isolement social.
Question de peurs
Auparavant, Claude faisait peur. Un gars qui a tout perdu – son boulot, sa vue, sa femme, son fils aîné – cela pourrait déteindre au lavage de la fréquentation. Il en a entendu des excuses foireuses, Claude, pour que l’on ne vienne pas chez lui. «Y’avait pas la voiture garée devant ! » ou «J’ai pas vu de lumière, alors j’ai pas osé sonner…»
Dire ça à un aveugle, cela vaut son pesant de cacahuètes décortiquées avec une sale âme de faux culs. Passons… Dès que «Soleil Noir» est sorti, en septembre 2008, les gens ont mieux compris son parcours.
Dans les écoles d’infirmières, j’ai entendu Claude ne pas laisser la langue dans sa poche, exposer la réalité crue de sa vie.
Claude est parti sur les sentiers de la dédicace. Il a été témoigner dans les écoles devant toutes les classes d’âge. Son chien borgne, Cajal, servant souvent d’ambassadeur auprès des plus petits.
Dans les écoles d’infirmières, j’ai entendu Claude ne pas laisser la langue dans sa poche, exposer la réalité crue de sa vie. Sans rien cacher. Il ne manquerait plus qu’il se ménage des zones d’ombre ! (lire http://www.pjinvestigation.ch/?p=2197)
Dans «Victoires», son ami et aussi journaliste Pierrot Métrailler, détaille quelques-unes des aventures de Claude dans certains congrès dédiés aux dons d’organes. Claude n’y parle jamais en froid spécialiste. Son vécu se révèle le meilleur des ambassadeurs.
En six ans, la nouvelle galaxie de Claude s’est élargie. Il reçoit bien plus de visites, il voyage, il s’exprime régulièrement dans les médias car il est ce que ma profession appelle «un bon client». Libre de toutes contraintes, Claude ? Je ne dirai pas ça.
Claude a ses repères, son territoire.
Chez lui, il connaît les places. Le tire-bouchon, exemple cité en aucune façon par les voies du hasard, c’est rangé LA. Pas autre part. Sinon, panique à bord, il rame, il galère et c’est pas gai (jeu de mots à deux balles qu’il adore !).
Quand cela est bien balisé, cela le rassure. S’il connaît moins bien, le calvaire commence.
Quand cela est bien balisé, cela le rassure. S’il connaît moins bien, le calvaire commence. Plutôt que d’apaiser ses craintes avec des petites pilules, il préfère descendre des salves de canons. Et Claude détruit ainsi à boulets blancs ses angoisses chauffées au rouge. Voire le contraire. J’ajouterai qu’il tire beaucoup et cela le fera bien rire quand il l’entendra…
Pourtant, sans aucun sadisme, c’est exactement ça que j’ai en tête. Que Claude casse ses habitudes et qu’il rencontre de nouvelles personnalités. De son histoire à lui, il a raconté l’essentiel. Il doit s’en créer une nouvelle. Elargir son cercle, trouver d’autres terrains de jeu.
Les plaisirs tactiles
Entrez dans ma tête de Tordu.
Sur le site de Mireille Zagolin-Bourgeois, j’ai repéré ses sculptures de femmes. Claude ne se lasse jamais d’évoquer les courbes du sexe faible en balançant des vannes plus ou moins vaseuses qu’il a entendues aux Grosses Têtes.
Je l’imagine déjà à Nyon, promenant ses paumes sur les sculptures de Mireille. En plus, Claude réalise aussi des œuvres en pierre olaire sur lesquelles il passe des années. Si, avec tout ça, vous ne préfigurez pas tous les points hors du commun entre lui et Mireille, vous pouvez prendre votre abonnement aux Non Intelligents Anonymes… Une périphrase qui vous traite de cons, je me demande si je vais la laisser…
Pour que la surprise soit totale, je cache à Claude qui nous allons rencontrer.
Pour que la surprise soit totale, je cache à Claude qui nous allons rencontrer. Je dois d’abord me dépatouiller avec mon agenda. Ce qui ne constitue pas une mince affaire, j’ai beaucoup trop de casseroles sur le feu et j’ai de la peine à savoir où sont les priorités pour allumer les diverses plaques. A l’approche de la fin de mon chômage, je concède paniquer un peu et cumuler les futurs mandats sans maîtriser mon planning aussi bien que je ne le souhaiterais. Un chouïa mal organisé, si vous voulez mon avis.
Le jeudi 6 mars s’impose finalement comme la date idéale pour croiser nos destins avec celui de Mireille. Beaucoup par mails, Facebook, on s’organise avec celle Outre en Là de Bovernier.
Claude propose d’y aller en train. Cela efface le stress de la route et, en plus, on peut lever le coude dans les compartiments 2e classe.
Ce matin du 6, je débarque à Drône avec ma poubelle diesel – une Citroën qui résiste à ses quinze ans de service actif sur le goudron. J’ai reçu, depuis des années, l’interdiction de sonner chez Claude. Mon quatre roues dégage assez de décibels pour qu’il m’entende venir de loin. En plus, le carillon a pour effet de faire descendre Cajal et sa quarantaine de kilos le long des escaliers. Il vient vous empoigner la manche avec sa gueule pour vous guider vers Claude. En théorie. Car le rusé essaie surtout de se jouer «L’évadé d’Alcatraz» dans la nature saviésanne. On vous souhaite bien du plaisir pour le récupérer ensuite !
Patauger dans la semoule, il n’aime pas. Perdre du temps pour des prunes avec noyau, encore moins.
Pas de fugue canine, j’entre comme d’habitude chez Claude, je grimpe un étage. Je le déniche tout stressé derrière son comptoir, à la cuisine. En tant qu’accompagnant, dans le train, j’ai droit à un billet gratuit. Il manque juste la carte idoine et adéquate qu’il faut montrer au contrôleur. Claude l’a trouvée mais il a dû fouiller. Cela l’énerve quand les objets ne sont pas posés à leur place exacte. Je vous l’ai déjà expliqué. Patauger dans la semoule, il n’aime pas. Perdre du temps pour des prunes avec noyau, encore moins.
J’appaise l’ambiance, on embarque un petit sac de toile blanche où Claude a mis deux bouteilles de rosé bien glacées, deux verres en plastoc. A la gare de Sion, je tourne un peu, la rareté des places oblige à prier pour qu’une se libère abruptement. C’est le cas, presque en face de la pharmacie.
Après l’achat du billet, Claude insiste pour que l’on prenne des mouchoirs en papier. Je le laisse en face d’une jeunette en tablier blanc et je finis par dénicher un paquet compact. Sur l’escalier roulant qui conduit au quai 3, Claude ne sait pas trop où poser ses pieds et manque de se rétamer la figure.
En tant que guide humain – Cajal est resté à la maison – j’aurais dû aussi mieux anticiper la chose. Même si j’ai apprivoisé les rudiments de la technique, parfois, je nous fais trop confiance. Il suffit d’un temps d’inattention pour chuter.
Un Indien que pour nous
Sur le quai, premier téléphone de Mireille que j’entends enfin de vive voix. Elle s’inquiète de savoir si nous aimons la nourriture indienne car elle doit réserver. On ne sait jamais. Avec la cohue alimentaire de midi, cela serait bêta de rester debout, l’estomac vide et gargouillant, par manque d’anticipation. On adore les mets made in Gandhi, c’est bon.
Le train entre en gare un peu après dix heures. Les wagons – habituels rebuts des CFF qui roulent sur les lignes valaisannes – comme la hauteur du quai ne facilitent pas l’entrée de Claude. Il doit repérer la main courante, à droite, et sentir la première marche. Ensuite, je me place devant lui et on s’amuse à «La Chenille qui remet ça» – rappelez-vous vos 31 décembre, cela précisera l’image – jusqu’à une place, toujours sur la droite, qui nous convienne. Claude décapsule son rosé, récupère de ses tensions.
Je jure n’avoir rien bu avant 11 heures. Parce que ma cyrrohose naissante a quand même quelques principes !
Mireille nous attend, avec sa petite chienne Fabia, pile poil (ras pour Fabia, 4 kilos toute mouillée) à l’endroit convenu. L’artiste entre dans la catégorie des personnes avec lesquelles on ne peut avoir que des sympathies immédiates. En quelques secondes, c’est comme si vous la connaissiez depuis toute une vie. Nul besoin de tenir de grandes envolées lyriques, c’est là, c’est comme ça, c’est posé, on en jouit. Les discours chiants – qui salissent ce que dit l’instinct – n’ont pas besoin d’être. Expliquer bousille le plaisir de l’entende immédiate. Les affinités spontanées, un vrai bonheur.
Mireille dégage beaucoup d’énergie. On perçoit chez elle les forces rieuses et les tendres fragilités qui alimentent ses créations.
Mireille dégage beaucoup d’énergie. On perçoit chez elle les forces rieuses et les tendres fragilités qui alimentent ses créations. Dans le train, Claude a deviné qu’il s’agissait d’une femme – même si je m’ingéniais à lui rabâcher «la personne» dans toutes mes phrases – mais il ne sait toujours pas ce que Mireille fait.
Vous dire s’il scanne, s’il est attentif à la moindre bourde. Avec certains mots, le secret finit par s’éventer. Mireille rit beaucoup par naturel, un peu sans doute par émotion. Car elle a anticipé, s’est renseigné sur Claude, a lu l’article sur mon blog où j’ai publié quelques dizaines de photos sur l’année 2012 le concernant.
Les sensibilités se rejoignent très vite.
Mireille se réjouit de ce «hasard qui n’existe évidemment jamais» car «ce genre de rencontre devait se faire».
Les aveugles n’ont pas de sixième sens. Il faut comprendre que nous n’avons pas un en plus mais bien un en moins !
Embarqués dans sa grosse voiture noire, nous arrivons au restaurant indien. Totalement vide. Et qui le restera durant tout le repas. Comme si nous avions l’établissement que pour nous. Claude laisse «travailler son imaginaire» pour approcher Mireille. Il devine les bracelets à ses poignets par leur bruit. «Mais les aveugles n’ont pas de sixième sens. Il faut comprendre que nous n’avons pas un en plus mais bien un en moins ! »
Il perce la démarche artistique de Mireille quand celle-ci parle d’«atelier». Ils mixent leurs univers. Claude évoque son travail sur la pierre olaire. «Tu sculptes tous les jours ?», demande Mireille. A la lime, puis au papier de verre, Claude s’épuise sur ses morceaux, ils maigrissent, passent de 25 à 8 kilos.
Le service du restaurant se révèle un poème surréaliste. Le serveur ignore beaucoup de choses de la langue française. Encore plus à quoi ressemble la carte des vins. Il nous demande de choisir en posant toutes les bouteilles sur la table ! On se laisse aller pour un Italien dont l’étiquette promet des merveilles œnologiques.
Emotions des formes
Je suis frappé par l’intensité du regard brun de Mireille lorsqu’elle échange avec nous. Elle explique «l’émotion qui passe aux travers des formes». Le repas se révèle une parenthèse intemporelle où les secondes d’emmerdement n’existent pas. Vers les 14 heures, retour dans la grande voiture, cap sur l’atelier, trop éloigné pour y aller à pied.
Les gens croient que nous, les artistes, sommes «glinglins». Mais on est plus dans le monde des banques qu’eux…
Lorsque l’on gravit les deux étages qui y mènent – pas du pipeau pour Claude ! – Mireille nous détaille d’autres réalités artistiques. «Les gens croient que nous, les artistes, sommes «glinglins». Mais on est plus dans le monde des banques qu’eux…», remarque Mireille. Pas immenses les lieux, mais cosy, bien utilisés, les statues alignées, les tableaux rangés. Une ordonnance réfléchie.
Claude capte les vibrations. Il ignore être entouré de femmes nues… en bronze.
Nous asseyons Claude au milieu de l’atelier. Il adopte une attitude que je lui connais bien, le menton reposant sur sa main droite. Il capte les vibrations. Il ignore être entouré de femmes nues… en bronze.
Mireille ne le laisse pas en plan longtemps. Elle le conduit vers le bord d’une table où sont posées ses sculptures. Eclats de rires. Cette première rencontre, dictée par un instinct que je devrais écouter plus souvent, dépasse toutes les espérances. Le quotidien de Claude s’étoffe, s’enrichit, il s’extirpe d’une petite routine. Ce que je voulais au plus profond de moi se réalise grâce à Mireille.
Les paumes partent à l’aventure.
Chacunes et chacun va être touché à sa manière. «C’est sensuel, très féminin», dit Claude au bout de quelques secondes. «C’est du bronze ? Du marbre ?», questionne-t-il. «Elle n’a pas de tête?», demande-t-il en découvrant une œuvre dont le modèle est cambré à l’extrême. «Ce sont des oreilles ?», reprend-il, les doigts posés sur une paire de seins.
L’incertitude anatomique ne dure pas longtemps.
Dans les minutes qui suivent, Claude «comprend» la patte de Mireille. Il identifie les pauses à une vitesse phénoménale. «Là, c’est l’intérieur d’un pied droit», «Ici, j’ai les mains à l’envers !» – «C’est ma première œuvre ! », pétille Mireille – «On dirait une femme enceinte, c’est intriguant…». Rigolard, Claude se couche et adopte les mêmes attitudes que les sculptures qu’il vient de palper. Tout aussi hilare, Mireille se met aussitôt à côté de lui. Il émane d’elle un côté latin, naturel, vif. Cela fuse.
Mireille guette, se prête au jeu, apporte des modèles qui ne sont pas encore finis, imparfaits, en masse de terre glaise. Il y a des attentes, une ouverture au jugement, que traduisent ses attitudes, ses regards.
Claude remarque que Mireille «a tendance à creuser les dos». Il trouve «cette partie anguleuse, pas en harmonie avec le reste». Impudiquement, il pose le pouce entre deux cuisses. «Tu peux en enlever un peu…», s’amuse-t-il, estimant l’entrejambe un peu rêche.
C’est très émouvant car Claude me dit des choses qu’un voyant ne me dirait pas forcément…
Les minutes se nourrissent en intensité. La complicité évidente accélère la compréhension mutuelle. Mireille lâche plusieurs fois un «C’est magnifique ! Cela me touche !» qui tombe sous ce sens.
Elle me prend à témoin : «C’est très émouvant car Claude me dit des choses qu’un voyant ne me dirait pas forcément…»
Je me tiens en retrait, avec mon appareil photo, j’essaie de suivre les mouvements, voler des attitudes. Je dois me gommer pour ne pas gâcher ce lien. Cela fuse, se passe avec des fulgurantes intensités. Combien de temps s’écoule dans l’atelier ? Environ une heure. Un moment ensoleillé par les chaudes nappes de rayons lumineux qui embrassent les lieux.
Sous la surface des choses
Les deux protagonistes prennent du repos. «Je suis crevé, concède Claude. A un niveau énergétique, ce vient de se passer, c’est énorme !» Mireille n’a pas eu besoin d’expliquer son approche artistique. Les pleins, les déliés ont servi d’interprètes fidèles. «Quand je sculpte une pierre, reprend Claude, c’est presque un acte d’amour. Faut pas me faire chier !» «Après trois heures d’atelier, je suis vidée », complète Mireille. On aimerait s’incruster, prolonger, ne pas finir. Dans mon monde sans contraintes horaires, peut-être…
J’ai été très touchée… par son toucher, sa façon de lisser la matière et de la sentir.
Le train nous attend, Mireille enchaîne sur un cour de danse. Plus tard, elle m’avoue être partie de son atelier en oubliant son sac devant la porte. Encore sous le coup de l’échange, elle a laissé son téléphone, son iPad. La rencontre sort de l’anecdotique. «J’ai eu trop d’émotions, aujourd’hui. J’ai été très touchée… par son toucher, sa façon de lisser la matière et de la sentir.» Mireille repense encore à cette expérience une semaine plus tard. Elle remercie même la personne qui avait suggéré, via Facebook, que je prenne contact avec elle. Comme quoi un ordinateur incite à dépasser la surface des choses.
Cette première rencontre me réjouit et m’interpèle. Grâce à Mireille, il y a eu une symbiose, une fusion. Claude a pu découvrir une œuvre qu’il ignorait. Jamais, il aurait pu se comporter ainsi dans le cadre d’une exposition bien sage et classique. J’espère avoir «nourri» deux destins et que ceci se prolonge ensuite d’une façon ou d’une autre. Cela ne m’appartient plus.
J’ai servi de relais pour déclencher des émotions positives.
Je suis curieux, en dehors de mes propres mots hégémoniques, de savoir, bien des semaines après ce que l’une et l’autre ont gardé, ce qu’ils souhaitent pour continuer leurs contacts. Je suis curieux mais je me garde d’imposer quoi que ce soit…
Et je ne me trompais pas. Suite il y a eu…
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Joël Cerutti