AFFAIRE  NICOLE DUBUIS, SUITE  PJ Investigations vous a parlé, le 23 mai 2017, de l’affaire Nicole Dubuis, morte à l’Hôpital de Sion après 47 jours d’agonie et 13 opérations. Nous nous étions concentrés sur le volet de l’instruction, que la famille, jamais entendue par la justice valaisanne, estime bâclé. Aujourd’hui, Jean-Claude Pont et le Collectif RSV publie un communiqué qui traite plus de l’aspect médical. PJ Investigations le diffuse en intégralité.

De Frankenstein à Kafka en passant par la justice : le triste sort d’une famille valaisanne aux prises avec la chirurgie

Après avoir atteint tous ses objectifs (1), notre Collectif-RSV s’est mis en veilleuse, avec la ferme intention d’y rester. Bien plus, recevant positivement les changements d’orientation initiés par la gouvernance qui succéda au décrié Charles Kleiber, notre collectif collabora à plusieurs reprises avec la direction de l’Hôpital du Valais.

Il fallut l’appel au secours d’une famille dans la détresse pour nous sortir de cette réserve et emprunter une nouvelle fois les voies et la voix de la révolte. Détresse double. Celle de voir décéder une maman des suites d’erreurs médicales, affirment avec conviction la famille et son avocat. Celle ensuite de se retrouver l’otage d’une justice valaisanne sur le fonctionnement de laquelle on est en droit de s’interroger. Décès au printemps 2013 de Mme Nicole Dubuis (première opération le 8 mars 2013, 13 fois reprise en salle d’opération, décès le 25 avril 2013), âgée de 60 ans et mère de trois enfants ; quatre ans plus tard, l’affaire est toujours en cours, comme si on jouait la montre en misant sur la prescription. De surcroît, la famille et son avocat dénoncent les dysfonctionnements de l’enquête et la légèreté dans la conduite du dossier.

Texte de PJI du 23 mai 2017 sur le volet judiciaire du dossier Nicole Dubuis : http://www.pjinvestigation.ch/?p=9218

Tromperie de la patiente

– En présence du conjoint de Nicole Dubuis, le Dr Vincent Bettschart propose une intervention (résection de la tête du pancréas), alors que, sur la base des quelques examens effectués, cette opération ne pouvait, ne devait pas être proposée. L’opération a été pratiquée par deux chirurgiens.

– Ensuite, la patiente est induite en erreur sur le risque de décès lié à ce genre d’opération. Le Dr Bettschart annonce à la patiente un taux de mortalité pour cette opération de 5 à 10 % (qui est la moyenne suisse). Alors que, comme le démontre le rapport Houben demandé par le Département valaisan de la santé, celui en lien avec l’opération en question était à l’Hôpital de Sion à l’époque de 29 %. C’est un taux de mortalité hautement anormal élevé (voir graphique en annexe dans le communiqué).

Le procureur n’a pas jugé utile de tenir compte de cette fausse information fournie à la patiente. Quand bien même il s’agit là d’un point du droit de la patiente qui a été bafoué.

Manipulations dans les protocoles opératoires

– Alors que le protocole opératoire doit être rédigé immédiatement après l’intervention, soit ici le 8 mars 2013, celui-ci a été en réalité rédigé 47 jours après, soit quelques heures après le décès de la patiente le 25 avril 2013. Une fois le protocole clos et signé, il ne peut plus être modifié. Méfiante et demandant à voir les incorruptibles archives informatiques, la famille eut la stupéfaction d’y découvrir que le protocole du 25 avril avait été purement et simplement supprimé du dossier médical (obligatoirement demeuré toutefois dans le système informatique) et remplacé par un second protocole opératoire le 26 avril à 12h33. Coïncidence, le nouveau protocole a été fabriqué peu de temps avant le transport du corps à l’institut de médecine légale.

La stupéfaction devait se transformer en révolte lorsqu’il fut constaté que le (ou les) auteur(s) en avai(en)t supprimé l’adjectif « latéral » qui permettait de localiser très clairement ce que l’un des chirurgiens opérateurs avait décrit comme un trou fait dans l’artère mésentérique supérieur. De nombreuses complications ont découlé de ce geste chirurgical mal maîtrisé. Ces complications n’ont pu être comprises et gérées normalement par les équipes soignantes car « ce trou dans l’artère » leur a été caché ainsi qu’à la famille.

De cela, le procureur en charge du dossier n’a pas tenu compte.

Expertise judiciaire fantaisiste

L’expertise, ordonnée par le procureur et confiée à deux experts de Lyon, les professeurs Adham et Feugier, comporte plusieurs biais dont l’importance pour l’issue de la procédure ne saurait être sous-estimée. Mais cela paraît avoir échappé au procureur.

– Les experts ont pu prendre connaissance des arguments médicaux de Vincent Bettschart mais pas de ceux de la famille. Malgré leur insistance à être entendu à ce sujet, ni les membres de la famille ni leur avocat n’ont pu exposer leur point de vue contenu dans plusieurs expertises privées. Non seulement le procureur n’a pas accédé à leur demande mais encore il a retiré du dossier toutes les pièces présentant le point de vue de la famille.

– Les experts n’ont pas lu le dossier. La preuve de cette troublante information est imparable. Elle se trouve en page 28 du rapport des experts de Lyon, qu’il vaut la peine de citer. Pour parer à l’accusation faite au Dr Bettschart d’un mauvais suivi postopératoire, ils écrivent en effet : « La lésion de l’artère mésentérique supérieure est mentionnée dans le protocole opératoire du 8 mars 2013. Cette information est suffisante pour le suivi puisque le protocole opératoire fait partie du dossier médical et il est consulté par tous les acteurs de soins qui prennent en charge la patiente. ». Leur conclusion est la suivante : « nous ne pouvons donc dire que cette information n’a pas été prise en considération dans la prise en charge de la patiente ». Cela est manifestement faux, comme le prouvent les recherches effectuées au service informatique mentionnées ci-dessus et qui montrent précisément que durant la prise en charge de la patiente, il n’y avait aucun protocole de l’opération du 8 mars 2013 dans son dossier médical. Cela ressortait du dossier judiciaire. Dès lors, comment les experts, qui étaient en possession du dossier judiciaire, ont-ils pu dire que ce document essentiel pour la prise en charge de la patiente était consulté par les équipes soignantes puisqu’il n’existait pas ?

On peut se demander d’où sort cette date du 8 mars puisque, nous l’avons vu, le vrai protocole est du 25 avril. Il a été supprimé et remplacé par un second protocole du 26 avril.

Il y a là une double contrevérité. Il n’y a pas de protocole opératoire du 8 mars et, conséquemment, les « acteurs des soins » n’ont pas pu le consulter.

Autre perle des experts français : alors que l’un des chirurgiens opérateurs dans un procès- verbal tenu par le Ministère public et transmis aux experts dit que son collègue a fait un trou dans l’artère mésentérique, les mêmes experts écrivent qu’il n’y avait pas de plaie sur la paroi de cette artère.

Aucune réaction du procureur à la demande de la famille qui sollicite des explications aux experts sur ces énormités. Le procureur Olivier Vergères refuse leur demande. Il leur a écrit: «aucun élément du dossier ne fait apparaître un doute sur l’exactitude de l’expertise ». D’où son intention de rendre une décision de classement.

Ça fait beaucoup, non ?

La famille de Nicole Dubuis, prise entre Frankenstein et Kafka, se demande à juste titre comment sortir de ce monde de biais, de manipulations, d’absence d’écoute.

Il faudrait pouvoir une fois pour toutes emmurer, solidement et pour l’éternité, les douloureux événements de ce triste passé. Mais bien sûr, pas à n’importe quel prix, pas avant que la justice, une vraie justice, ne soit rendue à des citoyens qui ont vécu et vivent l’horreur.

Collectif-RSV  Jean-Claude Pont

(1 ) Voir la brochure que nous avons publiée en mai 2015 Action du Collectif pour le Réseau Santé Valais (RSV). Succès total. Texte qui se trouve également à l’intérieur du livre « Devoir d’inventaire », rédigé avec le Dr Savioz. (NDLR)

Texte de PJI sur « Devoir d’inventaire »: http://www.pjinvestigation.ch/?p=4655

Communiqué original du Collectif RSV: FamilleVS-Chirurgie_Communique_Collectif-RSV_20170616Gr

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