HOMMAGE  Voilà quarante ans, mon père allait acheter «Hara-Kiri», puis «Charlie Hebdo» au kiosque de Madame Goeltz, à Sierre. Juste pour voir la dame – rouge, confuse, honteuse – sortir l’hebdomadaire d’en dessous de son comptoir. Presque en cachette.

Mon père dépliait alors le journal devant la clientèle, genre grenouille de bénitier, et se marrait longuement devant la couverture. Derrière elle, il y avait toute l’exigence d’un Cavanna.

Tu lis «Bête et Méchant», tu comprends qu’ils en chiaient pour arriver à se satisfaire eux-mêmes. Que ce qui paraissait facile était issu d’un travail acharné. Ils se bidonnaient, ils picolaient, mais ils ne lâchaient rien sur l’exigence de la provoc. Cela devait te cueillir au menton, te balancer une belle mandale et toi tu devais t’écrouler…  de rire. Bon. Toi, tu te fendais la gueule , on ne pouvait pas en dire autant des officiels, ces chafouins qui vont arroser le futur cercueil de Cavanna de larmes de crocodile consensuelles.

Ton humour, François, heureusement que tu nous l’as offert  voici un demi-siècle

Qu’est-ce qu’ils t’en ont fait baver à toi, François  et à ton équipe ! Que je t’interdis à la jeunesse, que je retire de l’affichage, que je te fais crever financièrement parce qu’il y a des choses qui ne se font pas, qui ne se disent pas, qui ne se dessinent pas, qui ne se publient pas, môssieur !

Posant les bases d’un humour vachard, sans tabou, sans concession, la rédaction de Cavanna n’a jamais débandé. A la censure d’un gouvernement succèdent aujourd’hui une horde d’associations de culs bénis, épaulées par des lois à double tranchant, portée par des avocats collabos. Ton humour, François, heureusement que tu nous l’as offert  voici un demi-siècle. Aujourd’hui, tu n’aurais pas le temps de pondre un mot que déjà tu aurais trente plaintes pénales-civiles au cul.

François, une fois, tu es passé chez Pivot et quelqu’un, sur le plateau, avait jugé ton écriture «simple». Et tu as expliqué combien tu en chialais pour arriver à ce que cela semble ainsi. La bataille avec le mot juste, la réécriture multipliée par dix d’une phrase pour qu’elle sonne comme elle le devait. Le verbe et la pensée en juste adéquation avec le sujet et le complément. Tu crois que cela vient sans sueur ? Tu te mets l’index, le majeur, le pouce, voire le petit doigt dans l’œil, mon gars !

Et dans tes biographies, François, on a vu que le fleuve tranquille était sorti du lit plus d’une fois ! Un torrent de merde autant que de joie, la pauvreté de l’enfance, le travail obligatoire, ta femme qui meurt et cette saloperie de maladie qui arrive, voici trois ans. Parkinson ou pas, tu as continué dans ta lucidité.

Tu n’as jamais aimé les curés, les militaires, les sportifs, les chasseurs, les publicitaires, les adeptes du consensus. Ce 30 janvier, ces faux-culs seront soulagés et mais diront tous qu’ils vont te regretter. Nous, qui t’avons vraiment aimé depuis quarante balais, on ne sera pas dupe. Tu as dégusté dans ton existence mais nous, qu’est-ce qu’on a dégusté ce que tu nous as servi. Garçon, tournée générale d’humour bête et méchant, cela changera de certaines piquettes distillées en 2014 !

Joël Cerutti

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