VOIX AUX CHAPITRES (ENCORE ET TOUJOURS) Depuis le mois passé, PJI a ouvert ses colonnes aux proses des librairies indépendantes. Nous en avons approché beaucoup, nous attendons le fruit de ses contacts. Et Marie Musy, de La Librairie du Midi, continue ses chroniques sur Facebook. Elle nous a donné la permission de les réunir. Voici la moisson de février.
1er février
Despentes. Elle qui a perdu son prénom sur la couverture de son dernier roman, et c’est – peut-être – tant mieux, la littérature n’a pas de sexe, elle a une âme. Despentes. Elle qui m’accompagne depuis oh quoi, 23 ans, un truc comme ça.
Despentes. Elle qui vit le monde, l’écrit, le regarde, le comprend, essaie, elle qui l’atomise, le console, le berce, le gerbe, le baise, l’aime, malgré tout.
Despentes. Elle qui me bouleverse, féroce, sensible, belle, elle qui a sous les yeux des années qui ressemblent – un peu – aux miennes, et devant eux, un avenir qu’elle semble éclaircir, avec ses bleus.
Despentes. Virginie. Vernon Subutex, Grasset.
2 février
Le jour où, à un retour de vacances – et donc après une semaine de fermeture de la librairie – les gens arrêteront de dire, vous nous avez manqué, alors, peut-être, je changerai de métier. Parce qu’au-delà de ma pomme, et de mes gags débiles, bien au-delà, ce sont les livres, en papier, l’accès aux livres, à l’imagination, à la réflexion, à l’évasion, à l’émotion, au divertissement, à l’humain, c’est tout ça, qui leur a manqué.
4 février

devient incollable sur les bisons, merci le Diable. « Wild Idea », Dan O’Brien, Au Diable Vauvert, à paraître en mai.
5 février
est cette meuf qui s’écrase de rire en faisant de la spéléo dans ses vieux écrits, parce que le 9 avril 1994, ça : « c’est décidé, je laisse tomber Diderot, ça me fait trop chier. Pour le travail écrit dessus j’inventerai. Merde putain Kurt Cobain est mort. J’ai pas envie de lire Diderot, je veux lire American Psycho. »
7 février
a sauvé la vie ( c’est lui qui l’a dit ) d’un papa qui avait oublié les moufles Hello Kitty de sa fille dans le rayon Jeunesse. En échange le papa a dit, vendez-moi trois romans français récents que vous aimez. Blondel, Coher, Despentes.
7 février


Et hop nouvelle table rentrée janvier-février 2015 ( ce truc de ouf qui te donne envie d’avoir 8 yeux et 4 cerveaux ), sept coups de cœur rédigés, apéro now à Librairie du Midi.
Les coups de coeur, photo 1 : Giraldi » Aucun homme ni dieu « , Autrement / Blondel » Un hiver à Paris « Buchet Chastel / Nadler » Un été à Bluepoint « Albin Michel / Coher » Nord nord ouest « Actes Sud.
Photo 2 : Braverman » Bleu éperdument « Quidam / Despentes » Vernon Subutex « Grasset / Drury » Les fantômes voyageurs « Cambourakis.
9 février
Je suis allée au cimetière, je cherchais une tombe, je ne trouvais pas. Alors je me suis assise un moment sur un banc, j’ai lu quelques pages, une histoire avec des bisons, des hommes, des grands espaces, de la liberté. Derrière moi j’entendais des sanglots, à mes pieds il y avait des oiseaux.
J’ai posé mes mains sur des branches de sapin et j’ai dit qu’est-ce que tu fous là ?
Un jardinier est passé, j’ai levé les yeux, bonjour je cherche une tombe. J’ai pensé, il doit se dire comme moi, quand quelqu’un me dit, à la librairie, bonjour je cherche un livre. C’est le bon endroit, pour chercher ça. Il m’a expliqué où aller, descendre, et puis remonter. Et j’ai trouvé, un prénom, un nom, deux dates, quarante et quelques années d’une vie, moi, traversant l’une d’elle. J’ai posé mes mains sur des branches de sapin et j’ai dit qu’est-ce que tu fous là ? J’ai regardé au loin, les montagnes, le lac. Et comme tu ne répondais pas, j’ai préféré penser, c’est là-bas, que tu vas.
13 février
Bon alors le truc débile du jour c’est l’éditeur – respectable – de livres en poche qui met des bandeaux « satisfait ou remboursé ». En gros, ça signifie que vous lisez un livre de chez lui, vous êtes satisfait ok tout va bien, vous ne l’êtes pas, il faut envoyer vos coordonnées bancaires et hop il vous rembourse.
Caser autant d’émotions dans un seul adjectif, pardon, mais que c’est con.
Alors je ne sais pas. Je ne sais pas si l’éditeur est super sûr de lui, et se dit, jamais personne ne se fera rembourser ce bouquin – parce qu’on imagine que c’est un peu chiant, quand même -, mais surtout j’ai l’impression qu’on ne lit pas pour être « satisfait ». Je lis pour être émue, secouée, pour apprendre des trucs, pour voyager, pour rire, pleurer, me divertir, m’énerver – oui, parfois – , jamais je n’ai lu pour être « satisfaite » et je pense que les autres lecteurs non plus. Caser autant d’émotions dans un seul adjectif, pardon, mais que c’est con.
15 février

Aaaah enfin, le premier éblouissement littéraire TOTAL de 2015 est arrivé. Génial, fou, romanesque, drôle, rythmé, humain, fort, émouvant, fabuleux, original, oui « Au bord du monde » de Brian Hart ( premier roman !!!! ) est tout cela. Admirablement traduit par Charles Recourse, aux éditions du Seuil. Euh mais cette puissance, ce souffle, cette force, ce rythme, cette intensité, tu lis 10 pages bam ! tu sais que c’est grand. Et que ça deviendra immense !
18 février
Bon voilà, je ne pensais pas aborder ce sujet, en tout cas pas ici, mais la réflexion d’une cliente m’a fait changer d’avis. En ce moment nous vendons, pour des élèves, L’Avare de Molière (Folio). 2 Euros, 2,90 CHF. Aujourd’hui j’ai donc entendu, hein quoi mais 2 Euros ça fait pas 2,90 CHF. Et là j’en ai marre.
J’en ai marre que les gens pensent que ce sont des cigognes qui déposent, gratuitement bien sûr, les livres sur le seuil des librairies.
J’en ai marre du livre, en Suisse, jugé trop cher. J’en ai marre que les gens pensent que ce sont des cigognes qui déposent, gratuitement bien sûr, les livres sur le seuil des librairies. J’en ai marre que certains clients ne pigent pas que 90% de ce que nous vendons, en Suisse, vient de France. J’en ai marre qu’ils pensent qu’un intermédiaire en plus (un distributeur pour être précise) ne change rien au coût d’un livre. Si les distributeurs étaient bénévoles ça se saurait. Et il n’y a aucune raison pour que des gens bossent sans être payés.
J’en ai marre qu’on considère qu’un produit culturel devrait être gratuit.
J’en ai marre qu’on considère qu’un produit culturel devrait être gratuit. Et je me prends à rêver que si on avait expliqué ça aux enfants d’il y a dix ans, le marché du disque ne serait pas le désert qu’il est devenu. Et qu’on ne paierait pas 80 balles une place de concert, parce qu’un artiste n’a plus que ça, pour vivre. J’en ai marre que les Suisses ne comprennent pas cela : le salaire moyen en France est de 2000 Euros, le salaire moyen, en Suisse est de 6000 CHF. Je vais être franche, sincère et transparente : je suis libraire depuis 20 ans, je gagne 3700 CHF, je ne connais aucun libraire français (ou belge) qui gagne 3700 Euros. J’en ai marre que les Suisses se voient comme des moutons tondus. Le prix du livre, en Suisse, a baissé de 15% ces trois dernières années. Regardez vos fiches de salaire, et réfléchissez deux secondes, ce serait bien.
20 février
Un éditeur annonce un « évènement choc », l’auteur s’appelle « Anonyme », la chose s’intitule « Confidentiel ». Wouah, ça me fait tellement peur, je ne vais en commander aucun.
23 février

Le jeune homme aurait eu 71 ans hier, le bébé aura 42 ans, dans quelques semaines, et retournerait bien, le temps d’une balade, dans le panier tenu par son papa. Nous remarquerons que les marchands de poussettes devaient sérieusement tirer la gueule en 1973.
24 février
Pffff les éditeurs, que j’aime bien, qui publient – souvent – des bons livres, qui soutiennent, et suivent des auteurs que j’aime bien – voire beaucoup – et qui mettent la clé sous la porte, ça m’attriste. Et ça m’énerve. Parce que d’autres publient n’importe quoi, savent qu’ils ne vendront rien, ou presque, mais s’en foutent. Prendre de la place en librairie, bouffer des cm2, suffit à les satisfaire.
La semaine dernière, un commercial m’a expliqué que certains éditeurs avaient été sauvés par le succès de leurs livres de coloriages anti-stress.
Après on détruit, on pilonne, on s’en tape, on a créé du flux. La semaine dernière, un commercial m’a expliqué que certains éditeurs avaient été sauvés par le succès de leurs livres de coloriages anti-stress. Et ça me stresse, d’apprendre ça. Je crois toujours que la meilleure manière de colorier sa vie est de lire. Lisez. Et coloriez les marges des romans publiés par des éditeurs indépendants.
25 février

passe vous dire qu’elle est dans ce livre magnifique & surprenant, fascinant & si habilement construit, poétique & beau, tellement beau. Si vous aimez l’imaginaire, les textes si éclatants qu’ils font briller vos yeux, si vous aimez les univers étranges & élégants à la David Lynch, foncez dans ce labyrinthe de mots.
Nina Allan » Stardust », traduit de l’anglais par Bernard Sigaud, Tristram
26 février
découvre que l’inspiration, pour écrire des chroniques, peut venir en pelant des légumes. C’est con. Et surtout pas pratique.
27 février




ouvre grand ses bras à L’Univers de Jean-Philippe Blondel. Je l’aime depuis « Accès direct à la plage », ça ne me rajeunit pas Je n’ai pas franchement le temps de lire ( en plus…) de la litté ados- jeunesse, mais je la fais lire à d’autres et ils aiment tous Blondel !
28 février
Le temps consume toute chose si on le laisse faire. Ne se conserve que ce qui est écrit. On pourrait dire que toute notre civilisation est fondée sur l’écriture. Considérez-vous comme des écureuils qui stockent des noisettes.
Nina Allan « Stardust », Tristram.
Marie Musy – Février 2015