Ils deviennent « intelligents » et leurs créateurs les annoncent prêts à nous « voler » des emplois. Un détail manque à cette annonce pas si futuriste que ça : les robots sont obsolètes, ringards et dépassés. Il existe déjà mieux sur le marché du travail.
Le robot con – du moins celui à qui on ne demande pas beaucoup – sévit déjà. Il remplace les humains aux caisses des supermarchés, dans la distribution de paquets via des automates, il se glisse depuis longtemps le long des chaînes qui assemblent des voitures, il délivre (sauf bogue) des billets CFF. Hier, mardi 2 mai, un article – paru sur Slate et repris par différents sites – annonce que les robots, « intelligents » cette fois, jouent des coudes métalliques avec des ambitions plus hautes.
Camionneurs et routiers, tremblez, il vous remplacera au volant de vos poids lourds.
Maçons, craignez-le, il bosse trois fois plus vite que vous !
Conseillers juridiques, médecins, comptables, rédacteurs, vendeurs, vos bases vacillent. Les robots futés s’apprêtent à vous supplanter !
Avec une certaine pudeur, le papier ne te parle pas d’Harmony, un robot sexuel dernier cri aux formes féminines. Pour 15 000 dollars, elle te cite Shakespeare, elle tient une conversation épicée par des blagues. Bien sûr : Harmony est « docile et soumise, construite comme une star du porno et toujours sexuellement disponible », détaille Jenny Kleemann, journaliste dans un dossier publié par le Guardian.
Y’aurait-il comme un frisson qui parcourt ton échine et soulève tes vrais poils ? Sereins, les rédacteurs te le garantissent. Oui, ton job passera à la poubelle mais de nouveaux métiers se créeront. Ce qui ne calme aucune appréhension. Ce discours rabâché, tu le connais. Depuis quelques décennies, on te le mouline et toi, tu timbres. L’automatisation permet surtout d’augmenter les profits sans que ne disparaissent des labeurs avilissants pour autant. Sinon, cela se saurait. Déprimé ? Fataliste ? J’égaye le raisonnement.
À court terme, ces robots ne vaudront que tripette face à un modèle bien plus performant : TOI.
Tu n’entres pas dans la catégorie de l’obsolescence programmée, ô frère humain. Avec un peu de pragmatisme, certaines données remontent en surface. Aux États-Unis, comme dans d’autres pays européens, les modèles d’hypermarchés décentralisés sans aucune âme vivante se cassent la gueule. Le bipède revient vers le bipède, il préfère la chaleureuse proximité de quartier à la froideur commerçante.
Le bipède revient vers le bipède…
Il suffit que le boycott prenne de l’ampleur, que les sousous tombent moins dans l’escarcelle, et le rétropédalage ne tardera pas. Il se présentera bien un moment où le con-sommateur le sera un peu moins, il comprendra que c’est lui qui tient les cordons de la bourse. Ce qui est le meilleur moyen de taper juste – dans les couilles donc – des « robotisateurs » à outrance.
Après quelques délires inévitables, le destin te sera plus favorable. Le robot intelligent est tributaire du développement numérique. Sans réseau pour le coacher, il pétouille. Tu sais qu’internet commencera sous peu à présenter de sérieuses limites. Ajoute à ça quelques attaques massives de hackers, paralysant les routes, les processus de fabrication de A à Z. Les circuits foireux et défectueux, cela fait claudiquer le libéralisme. Les machines agricoles robotisées assurent des profits, certes. À un certain stade, le secteur primaire n’aura plus d’autres possibilités que d’engager une main-d’œuvre de chair et d’os. Cela crée des emplois, offre de la qualité artisanale, donne des garanties de santé aux clients.
Toi, tu carbures à la nourriture, le robot à l’énergie, aux batteries, avec certains matériaux peu courants qui viendront à manquer ou coûter bonbon. Contrairement à toi, il peut se révéler peu recyclable, tributaire des réparations de plus en plus fréquentes. Il bosse plus vite, il monte des murs à une vitesse phénoménale ? Qu’en est-il de ses capacités à appréhender l’imprévu ? La surprise ? Les changements imposés par un environnement fluctuant ? Bête et discipliné, cela pose des limites.
Trouve-moi béat et niais, dans cette chronique, mais le discours futuriste à outrance m’amuse de plus en plus. Le galop vers la productivité aveugle s’emmêlera fatalement les pieds dans son illogisme. La « démachinisation » des services se posera comme une évidence. De Harmony à harmonie, de silicone à chair authentique, il n’y a pas photo. La réalité du futur peut se révéler plus bandante, moi, je dis…
Joël Cerutti
Pour en savoir plus : « L’Age des Low Tech, vers une civilisation techniquement soutenable » de Philippe Bihouix, au Seuil.
Et si vous n’aimez pas lire : http://dai.ly/x20m2hy