WAGONS ET FIER DE L’ETRE   Quand on accélère les cadences en diminuant le personnel, les CFF gèrent ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont. La base assure, la tête nie les problèmes. Souvenirs d’une enquête de 2009. Un Funi Wor(l)d qui salue l’exploit quotidien des petites mains de nos wagons.

Bloquée, coincée, grippée, souvent, dans le train CFF, tu te retrouves face à une porte qui ne fonctionne pas. Une étiquette t’indique son «hors d’usage». Normal. Avant Rail 2000, les wagons s’offraient le luxe d’être bichonnés, chouchoutés durant un jour. En 2009, le personnel cavalait, chrono en main, durant trois heures pour que cela puisse être vaguement opérationnel. A chaque fois que je vois ce panneau «hors d’usage», le souvenir d’un visage rubicond me remonte en mémoire. Je te raconte.

Je me remémore des gars de terrain qui avaient la nostalgie d’une ex régie plus ou moins fédérale qui s’éloignait de leurs idéaux.

On revient en février 2009. J’avais fait de l’immersion via mes contacts au sein de la base des CFF. En grand secret, j’avais rencontré les petites mains, les prolétaires du rail, ceux qui avaient un aiguillage au moral rouillé. Je me remémore des gars de terrain qui avaient la nostalgie d’une ex régie plus ou moins fédérale qui s’éloignait de leurs idéaux.

Voici peu, ils avaient le temps de la qualité. La cadence d’alors le permettait. Peut-être trop. Puis, avec Rail 2000, les décideurs avaient mis le convoi AVANT la locomotive, considérant les collaborateurs comme des bœufs. Trime, tire, sue et boucle-là. Je ne m’étais pas gêné de le pondre, aidé par de l’encre et du papier.

Pas content. Furax. Ulcéré. Pas le droit d’écrire ça ! Tout faux ! Pas vrai !

Après des dizaines de témoignages recueillis, le sujet avait été mis sur les rails du Matin. Soutenu, j’avais remis deux ou trois couches avant d’être convoqué, dans la banlieue bernoise, par un ponte des CFF. J’avais répondu à cette impérieuse invitation, accompagné par un photographe. L’officialité allait pouvoir s’exprimer, aux aurores, un matin d’hiver 2009.

Je garde l’image d’un monsieur, la cinquantaine, tout rouge dans son costard au-dessus de sa cravate. Pas content. Furax. Ulcéré. Pas le droit d’écrire ça ! Tout faux ! Pas vrai ! Le cœur des CFF pulsait en toute harmonie. Pas de surcharge de travail. Un monde heureux, beau, gentil, équilibré. Qui avais-je rencontré pour oser cracher un tel venin ? Des vipères dans le sein des compartiments ! Des agitateurs ! Des aigris ! Des menteurs ! Des syndicalistes ! Certes, il pouvait y avoir des problèmes, mais aussi microscopiques que le pénis d’un Pygmée croisé avec un Appenzellois qui aurait eu une relation LGBT avec Ant-Man. Vraiment pas de quoi, MAIS VRAIMENT PAS DE QUOI, en faire un fromage…

Pas à dire, il était vraiment investi de SA réalité. Pour peu, sa bonne foi aurait gommé toutes les cirrhoses chafouines.

Dans sa veine de cou, à cet énarque, le sang pulsait. Pas à dire, il était vraiment investi de SA réalité. Pour peu, sa bonne foi aurait gommé toutes les cirrhoses chafouines. On lui aurait donné plein de divinités sans confession. Aaammmennnn !

Cet épisode CFF m’a conforté dans une grande vérité existentielle.

Mon rôle, à ce moment précis, était d’écouter, sans juger. En théorie. Je le voyais, lui, le cadre, dans cette salle de réunion, bien chromée avec moquette. Quelques semaines auparavant, j’avais taillé le bout de gras, dans des buffets de gare, avec des gars, souvent encore en habits de travail, certains presque la larme à l’œil. De fatigue et de dépit. Au sortir de cette entrevue plutôt tendue, j’avais appelé mes contacts. «C’est qui, ce sous-directeur Machin ? Je ne le connais pas ! Je peux t’assurer d’un truc ! Ce cadre, on ne l’a jamais vu dans un train ou dans nos ateliers ! Il a quelle gueule ? Tu peux nous le décrire ? »

Cet épisode CFF m’a conforté dans une grande vérité existentielle. Le grade dans l’entreprise te rapproche de la tête et t’éloigne des orteils. Ta tronche peut décider des stratégies d’entreprise sans savoir comment fonctionnent les semelles. Quand un décérébré donne des ordres à un cul de jatte, il n’est pas certain que le tandem gagne un rallye. Moi, je dis…

Joël Cerutti

PS : le sujet du Matin : http://www.zpvleman.ch/PDF/presse/LeMatin06_02_09.pdf

Une réponse

  1. Une vraie galère tennue par des pirates bon dans ce cas inchangé du réseau de transport le plus dense et cher du monde. Je dirais plutôt un train conduit par un voyou qui n’en a jamais vu un, mis à part depuis la fenêtre de son bureau.

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