RETOUR A LA CASE DEPART Ce printemps, Jean Treccani annonce sa « reconversion » professionnelle. Quelles sont les véritables raisons qui ont poussé ce haut magistrat à quitter sa charge? N’est-ce que de la » lassitude » ? Ou alors ses amitiés avec une famille de pédophiles ont -elles pesé sur sa décision?
On pouvait lire le lundi 21 avril 2014 dans 20 Minutes que «Le No2 du Ministère public vaudois prépare sa reconversion». Seul le quotidien gratuit annonçait ainsi le départ à la retraite anticipée de M. Jean Treccani (58 ans). Francesco Brienza, le journaliste avait découvert la nouvelle en consultant par hasard le site des embauches de l’Etat de Vaud.
Comment et pourquoi l’adjoint et bras droit du Procureur général Eric Cottier, à cinq ans de la retraite, a-t-il décidé de quitter son poste ? Dans sa réponse à «20 Minutes», Jean Treccani explique qu’il s’en va dès cet été par « lassitude après trente-deux années de service pour l’Etat et par désir de s’investir dans d’autres domaines».
Mais les causes de ce départ ne sont peut-être pas aussi simples.
Une tragique histoire
Le 13 mars 2014, suite à une très longue enquête, PJ Investigations était en mesure de poser une série de questions à Jean Treccani. Elles portaient sur ses liens d’amitié avec la famille A*, connue sur la Riviera vaudoise. Dans cette famille, le patriarche Jack* A et son fils Dany* ont été accusés, tous les deux, de délits pédophiles sur leur propre descendance. (Voir l’article: http://www.pjinvestigation.ch/fr/?p=154)
La famille Treccani, à notre connaissance, ignorait tout des penchants pédophiles de leur «ami » Jack.
Jack A. le patriarche de la famille, pianiste et musicien international est très proche des milieux de la Culture romande. Ainsi, il se lie d’amitié avec Jean Treccani, un magistrat promis au plus bel avenir et dont l’épouse est membre d’une fondation culturelle de la Riviera qui ne manque pas de soutenir des artistes aussi célèbres que Jack A.
Cette amitié entre le pianiste Jack A. et la famille Treccani est devenue si proche que durant plusieurs années, la fille des époux Treccani a pris des leçons privées de piano avec Jack. Lequel l’a même emmenée adolescente dans un festival de musique classique sur les rives françaises du Léman.
La famille Treccani, à notre connaissance, ignorait tout des penchants pédophiles de leur « ami » Jack. Mais les actes du musicien sont d’autant plus graves qu’ils se sont exercés sur ses propres enfants.
De père en fils
De 1975 à 1982, il a abusé de sa fille Léa*, âgée de 7ans au début des faits. Et d’après plusieurs témoins, le frère de Léa, Dany* a, lui, été violenté par le meilleur ami de Jack, Yves., un célèbre directeur de festival de musique classique, pédophile notoire et actuellement réfugié dans son pays, la France.
L’affaire va rebondir en 2002. Anita D.* a épousé Dany, le fils du pianiste, en 1995 à Vevey. Leur fils Gary* nait peu après. Le couple divorce en 1999. Et en 2002, Anita apprend que Dany, son ex-mari, se livrait, lui aussi, à des actes pervers, pédophiles et incestueux sur son propre fils, Gary.
Curieusement ces examens sont reportés à plusieurs reprises par le juge d’instruction de l’Arrondissement de l’Est Vaudois.
Gary a 7ans, lorsqu’il ose enfin parler des sévices que lui inflige son père. Anita dépose plainte pénale pour «actes d’ordre sexuel avec des enfants» contre son ex-mari Dany A.
Toutes les procédures pénales qui s’en suivent accumulent, d’après notre enquête, de troublants dysfonctionnements :
- Deux médecins, à Montreux et au CHUV, constatent le 26 octobre 2002 que le jeune Gary 7 ans, est victime d’abus sexuels et peut-être même de pénétrations anales et demandent d’urgence de nouveaux examens, notamment génétiques pour tenter de trouver les coupables. Curieusement ces examens sont reportés à plusieurs reprises par le juge d’instruction de l’Arrondissement de l’Est Vaudois. De telle manière que ces investigations deviennent irréalisables.
- Durant la période de l’instruction contre Dany A., qui a duré de 2002 à 2006, Jean Treccani est vu à plusieurs reprises en compagnie du musicien Jack A. et notamment dans le restaurant veveysan «Les Trois Sifflets». Suite à une altercation où il est traité de «pédophile», Jack dépose une plainte en diffamation contre ceux qui l’accusent. Jean Treccani, présent sur les lieux, dit aujourd’hui «n’avoir jamais soupçonné son ami Jack d’actes de pédophilie avant de l’apprendre en 2008».Quand quelqu’un se fait traiter de pédophile en plein bistrot, pourquoi un citoyen (à fortiori s’il est magistrat !) ne se pose-t-il pas certaines questions ?
- Le procès contre Dany A. s’est tenu le 8 novembre 2006 devant le Tribunal correctionnel de Vevey. Et malgré la gravité de la cause, le Ministère public n’a pas désigné de procureur pour requérir au nom de l’Etat. C’est un choix que plusieurs juristes que nous avons consultés décrivent comme «étonnant et inhabituel».
- Et ce d’autant que, dans leurs considérants, les juges écrivent : «Dany A. doit donc être condamné pour actes d’ordre sexuel avec des enfants et actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance. (…) Ces éléments dicteraient incontestablement le choix d’une peine privative de liberté incompatible avec le sursis». Et pourtant, Dany A. ne sera condamné qu’à une peine de 18 mois avec sursis. Et le Ministère public ne fera pas recours contre ce jugement.
Juste un ami de la famille…
A nos demandes, M. Treccani répond: « Je n’ai fait qu’apporter du réconfort moral à un père et une mère, un couple d’amis confrontés à un profond désarroi devant l’action de la justice, qui les privait de tout contact avec leur petit-enfant (Gary), qui accusait leurs fils (Dany) de choses abominables et qui, selon eux, tardait à statuer ; bref, une justice qu’ils ne comprenaient pas. (…) Ma relation avec M. Jack A. et sa femme fut interrompue peu après le jugement qui prononçait la condamnation de leur fils en 2006. J’ai eu le sentiment qu’ils me reprochaient la condamnation de leur fils comme si je personnifiais la justice pénale. Il y avait beaucoup d’aigreur. »
Jamais je ne suis intervenu dans l’enquête, même pas pour prendre des nouvelles auprès du juge d’instruction en charge.
En résumé, Jean Treccani dément tout: « Jamais je ne suis intervenu dans l’enquête, même pas pour prendre des nouvelles auprès du juge d’instruction en charge.»
Le dernier rebondissement de cette tragique affaire date de novembre 2012. Malgré l’interdiction d’approcher son fils, son père Dany n’aura de cesse, depuis 2006, de harceler Gary pour qu’il revienne sur ses accusations. Ainsi le 9 novembre 2012, le jeune homme âgé de 17 ans est «embarqué» dans la voiture de son père qui le menace : «Je me suis fait licencier de mon travail. A cause de toi, j’ai une étiquette de pédophile sur la tête! Je vais me suicider si tu ne retires pas tes déclarations ! »
D’après ses propres termes, Gary est «terrorisé» par les propos et l’attitude de son père et se décide à déposer plainte contre lui.
Un enregistrement compromettant
Le sergent C.* de la gendarmerie vaudoise entend le jeune homme le lendemain et consigne sa déposition. La plainte est déposée contre son père pour «menaces» et «contraintes». Pourtant quelques heures plus tard, le même gendarme C. appelle Jim*, le nouveau mari d’Anita. Voici quelques extraits authentiques de la conversation :
TUUUT (5 fois)
GENDARME : Gendarmerie de Vevey… Oui, je suis le sergent C.
JIM : Bonjour. Est-ce que vous pouvez me réexpliquer ce que vous m’avez dit ce matin, parce que j’étais en plein travail et pis là j’ai une petite pause… J’ai pas bien compris c’qui va se passer ?
G : C’qui va se passer, alors donc moi le cas que vous m’avez présenté, je m’en suis référé à la Brigade des mineurs. J’ai eu le contact avec l’inspecteur principal qui est déjà au courant de ce dossier, on va dire…
JIM : Il a connaissance parce qu’il y a une affaire en cours, ou bien ?
G : Non, y a quelque chose en cours, justement qui est… c’est monsieur Treccani, le premier procureur à Lausanne qui s’occupe de cela et lui (l’inspecteur principal), sur ses instructions (du procureur Treccani), il m’a demandé de lui faire juste une information interne que j’ai faite ce matin et que je lui ai transmise et lui-même (l’inspecteur) va en informer M. Treccani. Voilà pour ce cas-là, pour nous (la Gendarmerie) ça s’arrête là.
(…)
G : A la limite, (la plainte de Gary contre son père), je la prenais. Maintenant moi je me suis référé plus haut dans la hiérarchie… là on va à la Brigade des Mœurs qui traite des affaires. Je les informe de ce qu’il en est… Est-ce qu’il y a matière pour la plainte et tout… Voilà, on me dit comme-ci, comme-ça. Maintenant, heu… moi en ce qui me concerne j’ai passé le témoin plus loin…heu… Plus loin, on va faire le nécessaire pour en aviser le procureur… heu…pour nous le nécessaire à ce niveau-là, il est fait.
JIM : Ouais… mais le procureur, c’est qui ?
G : Pardon ?
JIM : Le procureur, c’est qui ? Vous savez ?
G : Je vous l’ai dit déjà, le premier Procureur à Lausanne, M’sieur Treccani
Aux questions que nous lui avons posées en mars dernier, le procureur général adjoint Treccani répond : « Je n’ai eu aucun contact avec le Gdm C. – que je ne connais pas – ni direct ni indirect. Ni n’ai demandé que l’on me transmette quoi que ce fût. Il est absurde d’émettre l’idée que j’aurais voulu mettre la main sur une plainte déposée par le jeune Gary A. Ignorant tout d’ailleurs de cette plainte avant de lire les scories journalistiques, je vois mal comment j’aurais pu intervenir auprès de qui ce fût ».
Pourtant il existe cet enregistrement des propos du gendarme C. Pourquoi donc un sous-officier de police aurait-il cité à plusieurs reprises le nom de «Treccani», si celui-ci était totalement étranger à l’affaire ?
Pas de liens officiels
Tout ceci n’indique pas de manière formelle que le procureur Treccani soit intervenu durant toutes ces procédures et rien ne nous permet de l’affirmer. Dans sa réponse à nos questions, en date du 21 mars 2014, le magistrat est clair : « Les faits tel que vous les évoquez sont faux, tant dans l’idée générale et calomnieuse qu’ils donnent de ma conduite dans cette affaire que dans les faits eux-mêmes. »
M. Treccani n’a en aucune manière manqué à ses devoirs de magistrat.
Son supérieur hiérarchique, Eric Cottier le confirme : « Des éléments à ma disposition, il me parait ressortir de manière limpide et définitive que M. Treccani n’a en aucune manière manqué à ses devoirs de magistrat. Il n’a pas plus déployé quelque activité que ce soit au niveau judiciaire pour protéger qui ce soit. »
Officiellement, il n’y a plus de liens entre la famille A. et Jean Treccani depuis le jugement de 2006 qui condamnait Dany A. à 18 mois de prison avec sursis. Pourtant en 2008, dans un mail en notre possession, Dany A. écrit à Treccani : «Cher Jean, Maman a essayé de te contacter à plusieurs reprises afin de t’annoncer une sale nouvelle. Ma sœur Léa nous a avoué dernièrement avoir été abusé sexuellement par notre père Jack A. de 7 à 14 ans. Papa a dans un premier temps nié et a ensuite avoué avoir abusé Léa (…) J’ai évidemment demandé si c’était lui qui avait abusé de Gary, il m’a répondu par la négative (…) Je suis désolé de t’apprendre ces horribles nouvelles mais je me tenais de t’en parler, toi qui a suivit de près cette affaire».
A aucun moment, le procureur Treccani ne suggère que Léa dépose plainte.
Jean Treccani répond : «Je ne souhaites pas m’impliquer plus dans cette sordide affaire de famille. (…) Si tu es innocent (des abus contre Gary) et si ton père est l’auteur de cette horreur, il se doit de te l’avouer pour te sauver de l’injustice dans laquelle il t’a plongé. (…) Merci de ne plus m’impliquer dorénavant. Je suis dégoûté par autant de bassesse et de trahison de la part de quelqu’un (le patriarche Jack A.) que j’ai pris pour un homme droit. Stp, dis à ta mère que je suis très attristé pour elle, que si j’avais pu deviner l’importance de son désespoir, je lui aurais parlé lors de ses nombreux appels. Adieu. Jean ».
Notons qu’à aucun moment, le procureur Treccani ne suggère que Léa dépose plainte.
Pour quelqu’un qui ne connait «qu’à peine» la famille A – donc depuis le début des années septante (!) – ce genre d’échanges semble démontrer une toute autre familiarité. Et ce d’autant que les contacts et les «interventions» du procureur vont se poursuivre jusqu’au dépôt de plainte du jeune Gary contre son père en décembre 2012. Comme nous l’avons démontré avec les révélations du gendarme C qui parle clairement du Procureur général adjoint Treccani dans sa conversation avec la famille de Gary
Qui veut classer l’affaire?
Notons qu’en date du 8 octobre 2013, le procureur du Ministère central du canton de Vaud qui devait statuer sur cette plainte, a émis une Ordonnance de classement (art.319 ss CPP) . Un classement contre lequel le défenseur du jeune Gary a évidemment fait recours.
Nos questions au Ministère public vaudois et le départ du procureur Treccani n’ont jusqu’à ce jour pas poussé le procureur à reprendre son enquête.
Mis au courant des questions que nous posions à son adjoint Treccani, le procureur général Eric Cottier nous a répondu : « Reprocher à un magistrat d’avoir violé les devoirs de sa charge en protégeant par amitié les auteurs potentiels de crime est une accusation extrêmement grave. »
Nous n’accusons en rien le procureur Treccani. Nous n’avons fait que mettre en perspective des faits tels que nous avons pu les apprendre et les vérifier.
Patrick Nordmann
*Noms connus des auteurs
Du côté de Zürich on en connait aussi beaucoup qui manquent à leur devoir de magistrat, mais à la lecture de cette article ce qui paraît certain c’est si ce n’est pas le procureur général adjoint vaudois qui ment c’est un autre gus de l’institution. Or quand on a rien à se reprocher on se met à table, procureur adjoint ou pas.