Jaune est la couleur de La Poste, comme le citron que l’on presse. Car les collaborateurs du géant jaune voient leurs conditions de travail se détériorer, comme la qualité des prestations offertes à leurs clients.

L’an dernier, la directrice générale de La Poste Suisse, Susanne Ruoff, a perçu un salaire de 984 521 fr. Le chiffre frappe, car il correspond à plus du double de celui octroyé à un conseiller fédéral. Et les cadres supérieurs de La Poste ont vu leurs paies grimper de 24% grâce à des bénéfices consolidés du dernier exercice
(645 millions), soit une hausse globale de 7 millions de francs. Or, la majorité des 54 520 collaborateurs, elle, ne connaît guère d’augmentations. Une vendeuse, au guichet et à plein temps, dépasse rarement 5000 fr. par mois.

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Olivier Cottagnoud ©Robert Hofer

«Nous sommes entrés dans une véritable course au fric qui n’a plus rien à voir avec un service public. Cela dégrade notablement les  conditions de travail», déplore Olivier Cottagnoud, président du Syndicat autonome des postiers. En parallèle, les prestations ne cessent de diminuer. A un point tel que Peter Hasler, président sortant du conseil d’administration de La Poste, en appelait, à la fin mars encore, à la «compréhension des clients»…

Deux exemples

⇨ Le facteur ne peut plus apporter une missive à l’étage, comme en témoigne cet employé de La Poste, sous couvert d’anonymat: «Avant, le facteur avait le temps de sonner, plus aujourd’hui. Tout ce qu’il scanne calcule son temps de déplacement.»

⇨ Le facteur qui devient un fantôme, Julien Jaquet sait ce que c’est. Depuis sa ferme du Pâquier (FR), il a rameuté les responsables postaux et les médias pour en revoir un: «Il a fallu de nombreuses interventions médiatiques pour que je recommence à recevoir mon courrier dans un lieu que La Poste considérait comme trop isolé. Ce fut un véritable parcours du combattant… L’administration a essayé de me piéger avec des accords écrits comprenant des clauses de confidentialité. Et même Doris Leuthard m’a écrit en disant qu’il n’y avait rien à faire. Réponse de doris L. suite à la remise des pétitions Et moi, je voyais bien que la base – les facteurs, les buralistes – subissait des pressions de fous!»

Démantèlement programmé

Des pressions qui conduisent, de plus en plus, à la fermeture des bureaux de poste. Il en existe toujours 1447, mais il y en avait 3400 en 2001! «C’est un démantèlement programmé, estime Jean-François Donzé, secrétaire régional de Syndicom. Rien n’est fait au hasard: ils ont une liste précise. Et vous vous doutez bien que le personnel le vit très mal…» Ce à quoi Peter Hasler, rétorque: «Nous n’avons pas à garder ouverts des offices dans des vallées reculées, qui sont soi-disant un point de rencontres sociales, alors même qu’il n’y a pas de clients.» Nathalie Dérobert Fellay, porte-parole de La Poste, ajoute que «ce n’est qu’au terme de consultations avec les autorités locales que des décisions sont prises».

A Neuchâtel, pourtant, La Poste a décidé de supprimer quatre offices d’un coup dans les quartiers de La Coudre, l’Ecluse, Vauseyon et Serrières. «On l’a appris en décembre 2015 par un article de L’Express, lui-même informé par un employé de La Poste qui devait rester anonyme, car il rompait sa clause de confidentialité», explique Claudia Rizzo qui, avec d’autres, se bat contre cette décision via «Touche pas à ma Poste», un mouvement de citoyens apolitique. «Il y a eu des réunions entre La Poste, la commune et nous. La Poste évoquait des baisses de fréquentation de 64% aux guichets.» Le chiffre surprend Claudia Rizzo qui, de surcroît, indique que, sur Serrières et Vauseyon, plus de 300 logements vont être construits.

«Il s’agit de chiffres globaux au niveau suisse, indique Jean-François Donzé, de Syndicom. Il n’y a aucune transparence réelle de La Poste. Certains bureaux neuchâtelois sont rentables, puisqu’ils ont dû augmenter les heures d’ouverture et le personnel…»

«Dans ce registre, La Poste est championne de la mauvaise foi, assène Olivier Cottagnoud. Elle impose des horaires d’ouverture et prétend, ensuite, s’adapter à la clientèle. Les chiffres fournis ne sont pas crédibles. Par ailleurs, La Poste contacte nos grands clients pour leur proposer de venir chercher les colis et les lettres gratuitement, avec des prix d’envois moins chers qu’aux guichets. Il ne faut pas alors s’étonner que nous enregistrions des baisses dans les bureaux postaux. Qui surveille tout ça? Le Parlement regarde passer le train…»

Ce qui n’ébranle guère Nathalie Dérobert Fellay: «La Poste doit exploiter un réseau d’offices et d’agences postales couvrant l’ensemble du territoire et, simultanément, améliorer encore son orientation clientèle et sa rentabilité.»

«Mais La Poste est liée au pouvoir, commente l’une de ses collaboratrices. Elle fait ce qu’elle veut! Certains élus pleurent, certes, mais ils ne bougent pas. Et nous, on se sent pris dans un étau qu’on ne cesse de serrer.» A preuve, une donnée fournie par La Poste: 550 emplois à plein temps ont été supprimés en 2015. Côté ambiance, au cœur du géant jaune, cela se ressent.

Ce facteur colis ne cache pas non plus son amertume au sujet des statistiques. Il voit son volume de travail augmenter et son chef s’arrange, en biaisant les chiffres, pour ne pas augmenter le temps de travail. Au final, ses heures supplémentaires – plusieurs centaines par année – n’existent donc pas! «Lorsque je m’en suis ouvert à mon supérieur, il m’a dit que c’était ainsi ou, sinon, je pouvais changer de travail.»

Buralistes vendeurs

Lorsque, en 2016, on franchit le seuil d’un bureau postal, on a l’impression de se retrouver dans un supermarché. Ce qui génère d’autres problèmes. «Cela me dérange, sur un plan éthique, de devoir proposer des produits qui sont parfois plus chers qu’ailleurs. Je ne peux pas accepter cela vis-à-vis d’une mère de famille qui a de la peine à joindre les deux bouts… Nous devons aussi proposer des assurances, alors que nous ne sommes pas formés pour ça. En un jour de cours, il nous faut tout comprendre et être au top!»

Questionnaire de satisfaction

Pourtant, La Poste affirme, questionnaire interne à l’appui, que ses collaborateurs baignent dans le bonheur. «La satisfaction du personnel sert d’indicateur pour une vue d’ensemble et fait l’objet de diverses questions approfondies dans le sondage», souligne Nathalie Dérobert Fellay.

Normal, réplique cette collaboratrice: «si les réponses ne correspondent pas à ce qu’ils attendent, ils organisent des réunions pour nous expliquer comment bien remplir le questionnaire!»

Joël Cerutti

Cette enquête est parue dans l’édition du journal « Bon à Savoir » de ce mois. D’entente avec la rédaction en chef nous la publions sur PJI.

http://www.bonasavoir.ch/recherche.php?id=923550

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