ETABLISSEMENT OVNI   En plus de servir des repas frais et sains, le restaurant Baraka ambitionne de devenir une fabrique de biens communs. Cette coopérative qui veut être un lieu de rencontres ouvert sur le quartier met le marchand au service du non-marchand en facilitant l’émergence d’initiatives à destination des riverains.

En arrivant dans la rue Sébastopol, difficile de ne pas remarquer le restaurant Baraka tant sa façade en bois tranche avec les briques rouges de ce quartier populaire de Roubaix. Mais l’établissement n’est pas qu’un ovni architectural.  En effet, les produits qui finissent dans l’assiette des clients sont essentiellement issus de l’agriculture biologique et locale et sont tous transformés sur place. «Même votre crème anglaise est faite maison!», s’étonne un stagiaire habitué à servir des produits surgelés. Chaque jour, Caroline, chef de cuisine, propose également un repas végétarien à ses clients.

Et ce n’est pas la seule particularité de ce restaurant coopératif qui s’est donné pour objectif de «mettre le marchand au service du non-marchand», comme l’explique Pierre, co-gérant de l’établissement. Avec le chiffre d’affaires dégagé, l’équipe de Baraka veut «fabriquer du bien commun».

Un bâtiment écologiquement exemplaire

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Ainsi, 2 des 6 employé(e)s étaient en réinsertion avant d’arriver, dont certains dans une situation financière compliquée. «Le but est de monter en qualification avec elles», indique Pierre. Les coopérateurs sont également soucieux de leur impact sur l’environnement. Le bâtiment qui accueille le restaurant est exemplaire à plus d’un titre. Un système qui réinjecte l’air chaud dans les pièces permet de réduire au maximum les besoins de chauffage. Le toit est végétalisé et les matériaux utilisés (bois et paille principalement) sont issus de la région. On trouve également des jardinières destinées à accueillir tomates et salades afin de sensibiliser les habitants du quartier au potentiel de l’agriculture urbaine et un hôtel à insectes sur la terrasse.

Mais ce n’est pas tout, Pierre, ancien journaliste qui voulait «créer quelque chose de concret» ambitionnait de construire «un lieu de rencontre et d’hybridation ouvert sur l’extérieur». Une volonté qui a pris corps avant même l’ouverture avec la venue de 80 jeunes, dont une douzaine de déficients mentaux, à l’occasion de chantiers participatifs.  Les initiateurs de la coopérative Baraka veulent créer un «terreau fertile» à l’innovation sociale et environnementale. Ils invitent donc les associations de la ville et les riverains à mettre en place des activités dans les locaux.

Invitation au partage

On peut y assister à un atelier bricolage autour d’une imprimante 3D, une soirée lecture de conte ou encore un atelier cuisine saine et pas chère avec les enfants et parents de l’école d’à côté. Une bibliothèque de «livres voyageurs» invite également les clients au partage. Chacun peut repartir avec un ou plusieurs livres sans contrepartie, même si on est encouragé à en ramener un autre lors de son prochain passage. Sur la terrasse, des opérations de sensibilisation à l’agriculture urbaine sont également prévues afin de montrer qu’on peut cultiver sa petite surface en ville.

Le restaurant coopératif qui organise des séminaires pour les entreprises met également à disposition ses salles à prix réduit ou à titre gracieux à des associations du coin. Caroline veut également mettre en valeur les richesses de cette ville déshéritée où se croisent chaque jour plus de 60 nationalités. Elle propose aux cuisiniers amateurs de venir faire des plats autour de leur pays d’origine lors de soirées dédiées.

Venez avec vos idées

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«Venez avec vos idées», résume cette ancienne infographiste passée derrière les fourneaux par intérêt pour cette expérience coopérative. «Je ne me serais pas reconvertie dans la cuisine sans ce projet, assure-t-elle. La cuisine est notre cœur de métier, mais je la fais dans un projet global qui réunit des valeurs qui me sont chères comme le respect de l’environnement, l’ouverture sur l’extérieur et le mode de gouvernance.»

Mais pour réussir à fabriquer des biens communs, « il faut que le marchand tourne, rappelle Pierre. Pour ça, il faut que les gens viennent bouffer». C’est donc pour pour attirer les quelques 10 000 cadres qui viennent travailler à Roubaix tous les jours que le menu, simple et sain, ne ressemble à aucun autre des alentours. «Je veux que quelqu’un avec une Porsche Cayenne puisse venir manger ici», ironise Pierre. Autrement dit, la clientèle du restaurant n’a pas besoin d’être militante.

Neuf mois après l’ouverture, le pari des coopérateurs est en passe d’être gagné. Ils sont très proches du nombre de couverts espérés et leur panier moyen est généralement supérieur aux prévisions. Une réussite à laquelle l’organisation de l’entreprise n’est pas totalement étrangère. Baraka est en effet une société coopérative d’intérêt collectif (Scic). L’entreprise compte une centaine de sociétaires qui ont tous pris une ou plusieurs parts à 20€. Le sociétariat est composé des salariés et de gens de la métropole gravitant pour la plupart autour des réseaux de l’économie sociale et solidaire. Le reste des 800 000€ nécessaires à la mise en place du projet ont été prêtés par deux banques et une aide à l’investissement de l’Ademe et de la région pour les bâtiments à faible impact environnemental.

La force de l’intelligence collective

Peu importe la mise de de départ, chacun dispose d’une voix à l’assemblée générale et tous sont invités à s’approprier l’entreprise, la faire vivre. La diversité des profils présents a d’ailleurs permis à la coopérative Baraka de remonter la pente lorsqu’elle a subi un incendie criminel 7 jours après l’ouverture. Les avocats, experts-comptables, assureurs parmi les sociétaires ont apporté les compétences à la toute jeune entreprise, ce qui a permis à Pierre et ses acolytes de continuer l’aventure. «En tant que petit patron de PME avec sa femme et ses économies, j’aurais arrêté. Là, l’intelligence collective a vraiment fonctionné.»

Après 9 mois d’ouverture, où la plupart des efforts étaient concentrés sur le lancement du restaurant, les coopérateurs vont pouvoir consacrer un peu plus de temps à la fabrique de biens communs. Et même s’ils espèrent que le restaurant deviendra un lieu d’éducation populaire, ils n’ont pas pour «ambition de transformer tous les prolos en classe moyenne. Il ne faut pas être dans le romantisme un peu con. On ne va pas effacer 80 ans de société de consommation et du spectacle d’un coup», prévient Pierre.

Et même s’il refuse de tomber «dans l’angélisme du pauvre qu’il faudrait sauver», il veut néanmoins «croire en l’intelligence humaine» et espère que ce lieu de rencontre permettra de «construire avec les gens qui sont là.»

Emmanuel Daniel

Aller plus loin

Le site de la coopérative Baraka

Un reportage intéressant réalisé sur la coopérative dans le cadre du projet:

L’économique au service de l’utilité sociale : mémoire universitaire sur Baraka

En savoir plus sur les sociétés coopératives d’intérêt collectif

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