A CHACUN SA VOIX Avec les CFF, il y a les voies et la voix. La dame qui parle dans les hauts parleur de toute la Suisse romande. Désolé, je ne m’y fais pas. Chronique Funi Wor(l)d en pleine une parano sonore!
Où que tu sois en Suisse romande, où que tu sortes, où que tu embarques, elle te poursuit. PARTOUT ! Omniprésente, omnisciente, comme l’œil de Caïn dans la tombe, tel un sparadrap cloné avec du velcro issu de fibres de morpions, la VOIX se scotche à ton pavillon. Auditif. Elle, c’est la Dame Numérique qui t’annonce les trains sur les quais.
Moi ça me flanque quand même un peu beaucoup les jetons.
De la plus petite gare issue des entrailles de la cambrousse jusqu’aux grandes cités urbaines, c’est toujours elle, encore elle, immanquablement elle. Toi, je ne sais pas. Mais moi ça me flanque quand même un peu beaucoup les jetons.
On dirait une amante genre «Liaison fatale» qui te poursuit des ses assiduités sonores. Avec ce côté Big Sister qui ne te lâche jamais. Les CFF – je me suis renseigné – te la présente comme «humaine».
Ouaip.
C’est une VRAIE femme, avec ses cordes vocales d’authentique bipède qui articule bien tous les mots, les lettres devant le micro. Toujours la même comédienne, hein ?! Les CFF, toujours, garantissent un contrat longue durée avec cette artiste. Cela en fait au moins une qui a des représentations toutes les minutes dans notre brave pays.
Je trouve que l’on pourrait avoir une pensée émue, une dédicace spéciale, envers son travail. Elle a enregistré des milliers de messages type, prononcé juste avec application labiale les destinations les plus reculées.
Après s’arrête l’humain et commence l’informatique.
Cela tombe dans le monstre de Frankenstein des tympans.
Entre en action, l’ordinateur qui assemble les bouts de textes pour que les informations se diffusent sur une partie du quai. J’écris «partie» car les CFF ont aussi limité les zones de diffusion. Des hauts-parleurs se condamnent au silence en bout de quai. C’est là que ma terreur naît. Même avec un léger acouphène (oreille droite), je ne suis pas sourdingue au point de ne pas ouïr les micro-coupures dans les annonces. Sans tendre l’oreille, tu perçois la pièce montée, assemblée, par la grâce de la petite souris. Cela tombe dans le monstre de Frankenstein des tympans, des mots collés comme les parties de cadavres recousues les unes aux autres.
Les jours d’humeur moins crade, cela me rappelle la voix uniforme de l’ordinateur Hal dans «2001, l’Odyssée de l’Espace». Ce timbre si posé qui cache une machine psychopathe.
Oui, je sais, tu vas trouver que je m’acharne contre cette pauvre lectrice. Je ne la hais pas… Sur le fond, désolé, je n’encadre pas le principe du nivellement des différences. Lors du Paélolithique inférieur des CFF, soit voici quelques décennies, le chef de gare ou un de ses collaboratrices/teurs se chargeait des annonces. Avec des accents, des mots souvent raides et maladroits dans l’officialité, mais au moins, cela te typait un lieu, TA gare.
Tu appréciais que des frères humanoïdes veillent sur tes destinées ferroviaires.
Là, depuis l’hégémonie acoustique, c’est fini. Les petites puces nivellent les imperfections et ça me gratte méchamment ma fibre sociale. Moi, je dis…
Joël Cerutti